Comment le Mali a Ouvert la Porte et Consolidé le Processus de Pénétration de la Russie en Afrique

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Comment le Mali a Ouvert la Porte et Consolidé le Processus de Pénétration de la Russie en Afrique
Comment le Mali a Ouvert la Porte et Consolidé le Processus de Pénétration de la Russie en Afrique

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Mali. A ce propos, il faut avouer qu’avant le mois d’août 2020, la Russie n’avait aucune ambition pour s’implanter comme elle le fait actuellement en Afrique, sachant que cette période là fût témoin d’un coup d’État perpétré au Mali par le colonel Assimi Goïta, qui a fait preuve d’une hostilité sans précédent envers la France, l’ancienne colonie de son pays, en échange d’une ouverture remarquable à la Russie.

D’ailleurs, de nombreux pays ont suivi l’exemple du Mali en s’alliant à la Russie et en s’écartant de plus en plus de la France, notamment le Burkina Faso, le Niger et la République centrafricaine, où les membres du groupe paramilitaire privé russe « Wagner » circulent en toute liberté, à l’abri de la vue de l’Occident, dont les feuilles se sont successivement tombées.

Quatre ans après ce putsch, des années qui ont vu Moscou tendre la main à Bamako pour affronter les groupes armés rebelles, terroristes et autres, le Mali se félicite des grands progrès qu’il a réalisés dans le domaine de la sécurité « grâce à la Russie ».


Les ministres des affaires étrangères de Russie et du Mali: Sergueï Lavrov et Abdoulaye Diop

Pour rappel, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a récemment déclaré que « les plus hautes autorités maliennes restent déterminées à renforcer les relations bilatérales stratégiques avec la Russie », quelques mois seulement après que l’armée malienne ait obtenu d’importants progrès contre les séparatistes touaregs en contrôlant leur principal fief, Kidal, dont la chute a été un coup dévastateur pour les communautés « Touareg ».

Dans le même contexte, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré, à l’issue de sa rencontre avec Diop: « La coopération militaire et technique se déroule efficacement entre les deux pays. Nous constatons que les capacités de défense du Mali se renforcent grâce au travail de nos formateurs et à la formation inculquée aux soldats maliens en Russie, et grâce aussi à la livraison de matériel militaire russe ».

Quiconque a suivi la conférence de presse des ministres des Affaires étrangères russe et malien ne peut manquer d’être impressionné par les propos de Diop sur « la lecture claire de la Russie quant à la situation dans la région », lequel avait ajouté: « Je peux également remercier la Russie, qui respecte ses obligations envers le Mali, notamment en matière d’aide humanitaire et alimentaire ».

• Un processus trop clair qui fait couler la salive aux pays africains

Au vu des offres que la Russie fait au Mali, comme à d’autres de ses alliés en Afrique, il n’est pas improbable que cela incite d’autres pays à rejoindre le camp de Moscou, dont la présence ne se limite plus à des partenariats sécuritaires et militaires, mais qui s’est développée au-delà en injectant des investissements malgré les sanctions internationales imposées, à cause de la guerre en Ukraine, car la Russie semble déterminée à consolider son ancrage en Afrique, profitant ainsi de ses relations avec le Mali et d’autres pays comme la République centrafricaine, où elle dispose d’une base militaire d’une capacité de 10 000 soldats.

Et d’après des révélations publiées dans Jeune Afrique, la construction de cette base semble bien être une étape qui donnera à la Russie d’énormes capacités, notamment pour suivre de près la situation dans la région de l’Afrique de l’Ouest.

• Qu’en disent les experts en affaires africaines ?

Le chercheur soudanais spécialisé dans les affaires africaines, Al-Sadiq Al-Raziqi (ancien Président de l’Union des journalistes soudanais puis Président de la Fédération africaine des journalistes) a déclaré: « Le Mali est en train de préparer l’Afrique au contrôle exclusif de la Russie, d’autant plus qu’il est le premier pays à s’être rebellé contre la politique africaine de la France, à prendre l’initiative de se débarrasser de l’influence française et à devenir un modèle pour les autres pays », en ajoutant que: « Lorsque la France était présente au Mali, Paris a empêché Bamako d’exercer sa pleine souveraineté sur son territoire, déterminant les orientations du conflit, et même du dialogue avec le mouvement de libération nationale de l’Azawad autant qu’avec les mouvements extrémistes, sachant que la politique française cherchait une solution militaire et l’éradication de ces groupes armés, néanmoins il semble que le Mali ait senti ce danger menacer le tissu national et social, et que cette politique menaçait entre-autres le pays de désintégration », soulignant qu’« après le coup d’État et les changements majeurs qui se sont produits, le Mali aurait déduit que la Russie n’avait aucune ambition à la manière de l’ancienne méthode coloniale, et qu’il existe des intérêts et des bénéfices communs entre elle et la Russie, laquelle a utilisé Wagner pour accroître son influence, que ce soit par l’entraînement, la participation aux combats, ou autrement ».

A noter que la junte militaire au Mali a contraint la force française qui combattait les militants et les groupes séparatistes à se retirer en 2022, puis la mission de maintien de la paix des Nations Unies, en 2023, pour que le pays oriente enfin sa boussole vers la Russie, mais désormais il aspire aussi à renforcer ses liens avec d’autres puissances comme la Chine et la Turquie, selon les dires de Abdoulaye Diop.

De son côté, le politologue malien Hamdy Diouawaara a estimé que: « Moscou était assiégée au début de la guerre en Ukraine et la mainmise autour d’elle était assez sévère, et pendant ce temps, le Mali traversait également une crise de blocus étouffante alors qu’il avait besoin de ce dont disposait la Russie, c’est-à-dire des armes, afin de restaurer son territoire national et de liquider les terroristes ». De facto, Moscou et Bamako ont saisi l’occasion, et de là est née l’alliance la plus forte entre les deux pays.

Diouawaara a poursuivi: « Moscou devait faire pression sur la France pour l’obliger à se retirer de sa position avancée en Ukraine, en utilisant la carte du Mali contre le pays de l’hexagone, tandis que le Mali considérait la France comme un véritable dilemme dans sa guerre à l’intérieur de son territoire, et d’où la coopération russo-malienne venue sur un plateau d’or », a-t-il souligné, « la voie est libre des deux côtés: la Russie protège le Mali dans les organisations internationales, notamment au Conseil de sécurité, tandis que le Mali expulse la France et ses alliés du pays ».

C’est ainsi qu’en août dernier, la Russie avait utilisé son droit de veto pour bloquer un projet de résolution visant à renouveler les sanctions imposées au Mali depuis 2017, une décision soutenue par 13 des 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a conduit à un fort gain diplomatique et économique pour Bamako qui a vu les deux sanctions levées. Non seulement la Russie a protégé son allié, le Mali, au Conseil de sécurité de l’ONU ou dans d’autres enceintes internationales, mais elle lui a également généreusement fourni de la nourriture et de l’aide humanitaire.

Par ailleurs, en marge du sommet russo-africain de Saint-Pétersbourg, qui s’est tenu en juillet 2023, le président russe Vladimir Poutine avait annoncé la fourniture de milliers de tonnes de céréales à six pays africains, le Mali en tête.

• Le Mali: Un portail pour la Russie vers l’Afrique

Il importe de noter qu’au début, il n’y avait que de simples intérêts mutuels entre les deux parties, mais il semble que les choses se soient développées vers une plus grande coopération de cette ampleur, dans un sens plus large et dans de nombreux domaines.

Quant à Moscou, il considère Bamako comme sa porte d’entrée vers l’Afrique, plus précisément vers l’Afrique de l’Ouest. De leur côté, le Burkina Faso et le Niger ont suivi la voie du Mali qui les orientent de plus en plus profondément vers la Russie.

Selon Diouawaara: « Face à cette situation, Moscou en est satisfait et je crois que les prochains jours verront l’établissement de relations fortes entre la Russie et plusieurs pays africains ». Il a souligné également que « la preuve est que, malgré la présence de pays africains dans l’organisation des BRICS, Moscou estime que l’entrée du Mali encouragerait d’autres à s’y joindre, et cela pourrait renforcer l’idée de créer une nouvelle monnaie pour la Triple Alliance, et si cela se produisait, ce sera un acte de décès pour la France dans la région ».

• L’avenir de la présence russe en Afrique et les objectifs et ambitions russes

Le président Assimi Goïta et l’Ambassadeur russe à Bamako

Il n’échappe guère aux observateurs que la compétition internationale entre l’Occident et la Russie fera des pays africains une arène de règlements de comptes et de rivalités politiques entre la Russie et la Chine d’une part, et les États-Unis d’Amérique et la France d’autre part.

Cette ruée internationale pourrait provoquer la division des pays africains en axes multipolaires, ce qui accélérerait le rythme des armements entre pays africains concurrents qui soutiennent les projets des grandes puissances. Cela a été démontré par la crise russo-ukrainienne lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a voté, le 2 mars 2022, après l’échec du Conseil de sécurité de l’ONU à adopter une résolution condamnant l’invasion russe de l’Ukraine, du fait que les pays africains étaient divisés, l’Égypte, le Kenya, le Ghana, le Gabon, le Rwanda, Djibouti, le Congo, la Somalie et la République démocratique du Congo votant en faveur de la résolution de condamnation, tandis que 17 pays africains se sont abstenus de voter, parmi lesquels: le Burundi, Le Sénégal, le Soudan du Sud, l’Afrique du Sud, l’Ouganda, le Mali, le Mozambique, l’Éthiopie, le Burkina Faso, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Togo, le Maroc et le Soudan, et l’Érythrée, qui ont voté contre la résolution.

La position récente des pays africains sur la crise ukrainienne reflète l’ampleur de la polarisation, qui affecte négativement les indicateurs économiques et de développement.

La nature des systèmes politiques dans les pays africains, les transformations régionales et internationales et la concurrence internationale sur le continent africain contribueront donc à la croissance de l’influence russe en Afrique, car la Fédération de Russie est un pays influent sur la politique internationale en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et que l’utilisation de son droit de veto au profit de ses alliés est un avantage qui la rend importante pour certains pays africains, notamment ceux soumis aux sanctions des gouvernements occidentaux tels que le Soudan et Érythrée, ou ceux qui ont besoin d’une certaine forme de soutien politique et diplomatique pour faire face à l’influence française dans les pays francophones tels que la Centrafrique, le Mali, le Burkina Faso, la Guinée, et le Congo, ou encore ceux qui ont besoin de certaines formes de soutien militaire et sécuritaire pour faire face à l’activité croissante des mouvements jihadistes comme le Mozambique, le Mali, le Congo, et le Burkina Faso.

Pour ainsi dire, les relations de la Russie avec les pays africains sont complètement différentes des relations occidentales, car il n’y a aucune condition liée aux droits de l’homme, à l’instauration de la démocratie et à l’établissement des libertés de la part de la Russie en échange de l’obtention d’armements et d’une coopération militaire, et c’est ce qui a ouvert grandement la porte à des partenariats plus stratégiques entre Moscou et Bangui, par exemple.

• L’idée surréaliste de la formation de la « Légion afro-russe »

Africa Corps, le nouveau label de la présence russe au Sahel

Il s’agit là d’une idée qu’on peut qualifier de surréaliste ou encore « ingénieuse » trouvée par la Russie pour former cette légion afro-russe.

Selon « Igor Korotchenko » », un expert militaire russe proche du ministère de la Défense, la Russie nie que la Légion afro-russe ait pour but de menacer ou de déstabiliser les pays africains, en particulier dans la période actuelle où les pays africains traversent un état d’instabilité et la propagation du phénomène des coups d’État militaires.

Nous pensons donc que la Russie chercherait à atteindre un ensemble d’objectifs comme défini ci-dessous.

1- Fusion des activités du Groupe Wagner en Afrique:

Récemment, les efforts de la Russie se sont intensifiés pour renforcer sa présence et son influence dans un certain nombre de pays du Sahel et d’Afrique centrale. La Russie était présente dans 30 pays africains, et il semble que cette présence soit importante pour la Russie et qu’elle ne puisse pas l’abandonner facilement. Les divergences apparues entre le leader de Wagner et le gouvernement russe ont conduit à adopter une approche de réforme majeure afin de contrôler Wagner et de définir ses capacités et pouvoirs en Afrique, tandis que des rapports occidentaux indiquent que la « Légion africaine » est une tentative russe de créer un concurrent sérieux à Wagner et absorber ses activités par la suite.

2- Renforcement de la coopération sécuritaire avec les pays africains:

Il va sans dire que la rébellion de Wagner a suscité des inquiétudes quant à l’avenir de la sécurité de la Russie en Afrique, vu que ce groupe russe a participé de manière significative dans de nombreux pays africains, dont la République centrafricaine et le Mali, et ces forces disposent désormais de bases militaires et d’une coopération conjointe avec les pays africains dans plusieurs domaines. Cela menaçait l’orientation sécuritaire sur laquelle s’appuie la Russie en Afrique, qui s’oriente vers une augmentation du volume des exportations militaires russes vers l’Afrique.

La Russie souhaite davantage de contrôle sécuritaire sur les pays africains, notamment dans le domaine des exportations d’armes, dont la prévalence en Afrique atteint 26%, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, entre 2018 et 2022, et au total 49 % du volume des exportations vers l’Afrique, ce qui a poussé la Russie récemment, et depuis le récent Sommet russo-africain tenu à Saint-Pétersbourg où la Russie a annoncé ses efforts visant à accroître la participation des conseillers militaires du ministère russe de la Défense dans le soutien aux pays africains, notamment dans la région du Sahel, ce qui nous fait considérer que la formation du Corps afro-russe et son annonce s’inscrit dans cette nouvelle tendance militaire.

3- Renforcement de la présence stratégique et le profit de bénéficier de nouvelles alliances:

La géographie de ces visites préliminaires pour former le Corps afro-russe révèle la nature du déploiement attendu de ses éléments et les objectifs que la Russie cherche à atteindre à travers ce déploiement, en particulier l’accent mis sur la région du Sahel, qui couvre une partie importante de la géographie africaine, à commencer par le Mali, le Burkina Faso, le Niger et la République centrafricaine, riches en ressources, qui sont des pays qui étaient des colonies françaises, ont récemment été témoins d’un état de mécontentement public à l’égard de la France.

La Russie veut également exploiter le rééquilibrage et les nouvelles alliances entre les pays africains dans le but d’élargir ses relations à l’établissement de relations plus coopératives avec les pays africains, dont la plus récente a été l’annonce de la sortie du Burkina Faso et du Niger du groupe des pays du Sahel en décembre en 2023, et avant cela, le Mali en mai 2022, en plus de la formation d’une nouvelle alliance, sous le nom de « Alliance des États du Sahel (AES) », qui regroupe les pays du Mali, du Burkina Faso et du Niger, et qui pourrait bien accueillir probablement et bientôt le Tchad.

L’expansion de davantage d’alliances intra-alliances entre pays africains hostiles à la France renforcera le rôle russe et créera un réseau de soutien. Ces pays auront besoin d’aide et de transfert de compétences et d’expériences militaires et sécuritaires, ce que la Russie espère réaliser à travers ce corps.

Des rapports indiquent entre-autres que la Russie a contribué à la formation de l’« Alliance des États du Sahel », qui comprend les pays du Mali, du Burkina Faso et du Niger, en guise de confrontation avec la CEDEAO et sa politique à l’égard du Niger après le coup d’État qui a renversé, en juillet 2023, l’ancien président Mohamed Bazoum.

A noter que le Corps afro-russe serait prêt à opérer en Afrique d’ici l’été 2024 et serait déployé dans un certain nombre de pays africains, comme le Burkina Faso, le Mali, la République centrafricaine et le Niger.

Ce Corps, qui sera équipé des derniers équipements militaires tels que des chars, des pièces d’artillerie, des drones et des véhicules blindés de combat, comprendra des éléments venus de pays africains, outre des éléments de la compagnie Wagner et d’autres combattants qui ont quitté le groupe après l’assassinat de son chef, Evgueni Viktorovitch Prigojine.

Par ailleurs, ce Corps est directement lié, financièrement et organisationnellement, au ministère russe de la Défense et à la Garde présidentielle russe, après un amendement juridique qui a permis à la Garde présidentielle de superviser les formations militaires à l’étranger.

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