La Décision de Retirer Ses Forces du Niger Serait-Elle le Dernier Clou Enfoncé dans le Cercueil de la Stratégie Américaine dans le Sahel ?

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La Décision de Retirer Ses Forces du Niger Serait-Elle le Dernier Clou Enfoncé dans le Cercueil de la Stratégie Américaine dans le Sahel ?
La Décision de Retirer Ses Forces du Niger Serait-Elle le Dernier Clou Enfoncé dans le Cercueil de la Stratégie Américaine dans le Sahel ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Mali. Les mesures d’escalade du Niger, y compris les retraits, les menaces, les expulsions et la fin de ses partenariats militaires et coopératifs et de ses relations bilatérales avec les puissances occidentales, se sont accélérées, affectant ses alliés traditionnels: la France, l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique (tout dernièrement). Pour ces derniers, cela représente une rupture avec la norme depuis 2012, et une évolution qualitative dans le cours de leurs relations bilatérales.

Malgré la cohérence de la position américaine et sa reconnaissance, à un degré ou à un autre, des autorités de transition au Niger, ces dernières ont immédiatement mis fin le 16 mars 2024 au partenariat militaro-sécuritaire avec les Etats-Unis, le considérant comme illégal, des dimensions injustes, insensibles aux ambitions et intérêts nationaux du Niger, et en violation de ses règles constitutionnelles et démocratiques, selon ce qu’a déclaré, le porte-parole des autorités de transition au Niger, Amadou Abdul Rahman.

En effet, le mois dernier, la junte militaire au pouvoir au Niger a annoncé la fin de l’accord de coopération militaire avec les États-Unis et a considéré la présence des forces américaines sur le territoire nigérien comme illégale et incompatible avec les intérêts du Niger.

Par ailleurs, dans les coulisses de la politique, le porte-parole du Conseil militaire nigérien, Amadou Abdul Rahman, a semble-t-il justifié la résiliation de l’accord en affirmant qu’une délégation américaine avait eu un « comportement condescendant » et aurait proféré des menaces de représailles contre le Conseil:

« La délégation américaine a faussement accusé la junte militaire de signer un accord secret avec l’Iran et a également exprimé son mécontentement quant aux relations de sécurité du Niger avec la Russie ».

• Les États-Unis cèdent aux pressions de la junte militaire de Niamey

C’est ainsi qu’après une période d’hésitation et de « tractation », le Pentagone a annoncé il y a quelques jours que les États-Unis ont entamé des discussions avec le Niger en vue du retrait de plus d’un millier de soldats américains du pays, car les efforts politiques et diplomatiques entrepris par les responsables des deux pays n’ont pas permis d’aboutir à une forme de coopération en matière de sécurité qui puisse répondre aux besoins et aux intérêts des deux parties.

D’ailleurs, le Département d’État américain a confirmé que les pourparlers avec la junte militaire, en cours depuis juillet 2023, n’ont pas abouti à un accord, et que les négociations sur un « retrait organisé et responsable » ont déjà débuté cette semaine, précisément dans la soirée du vendredi 26 avril 2024, et se poursuivront la prochaine semaine dans la capitale nigériane, Niamey.

Pour les observateurs, le départ de l’armée américaine serait une nouvelle victoire stratégique pour Moscou dans la région du Sahel, notant qu’un certain nombre de pays africains ont commencé à éviter de plus en plus les contacts avec les partenaires occidentaux et ont plutôt commencé à accroître et à renforcer leur coopération avec la Russie.

• Que signifie le retrait des forces américaines du Niger ?

Les experts dans ce domaine, estiment que la décision de retirer les forces américaines du Niger entravera les efforts américains de confirmer et renforcer leur présence en Afrique de l’Ouest, selon le Wall Street Journal américain.

Il s’agit là d’une mesure dure à avaler, à laquelle l’administration du président Joe Biden a longtemps résisté, et qui modifierait la position de Washington sur le continent africain dans la compétition d’influence des superpuissances en Afrique, selon le journal américain The Washington Post.

D’autre-part, selon le Wall Street Journal, la décision de retirer les forces américaines du Niger enfonce le dernier clou dans le cercueil de la stratégie américaine visant à vaincre le terrorisme qui, selon les Etats-Unis, déferle sur l’Afrique de l’Ouest.

Le journal a cité également les propos d’un officier supérieur de l’armée américaine: « La perte de la base au Niger complique la capacité du Pentagone à atteindre les objectifs de sécurité américains dans la région ».

• Un retrait qui peut prendre des mois

Le retrait attendu des forces américaines du Niger, qui pourrait prendre des mois, selon le Pentagone, n’était pas le seul retrait attendu. Le ministère américain de la Défense a annoncé qu’il retirerait dans les prochains jours des dizaines de forces spéciales américaines du Tchad voisin. Il s’agit du « deuxième coup dur » en une semaine porté à la politique américaine de sécurité (et sous prétexte de lutte contre le terrorisme) dans une région turbulente d’Afrique de l’Ouest et centrale.

Outre la décision de retrait concernant plus de 1 000 soldats américains stationnés dans une base militaire majeure au Niger, centre des opérations antiterroristes de l’armée américaine dans la région du Sahel, le Pentagone a évoqué également le retrait d’environ 75 membres des forces spéciales travaillant à N’Djamena, la capitale du Tchad, qui fait suite aux demandes des gouvernements africains de renégocier les règles et les conditions dans lesquelles le personnel militaire américain peut opérer, mais les analystes affirment que les deux pays veulent des conditions avec les États-Unis qui servent mieux leurs intérêts.

La décision de se retirer du Niger est définitive, mais les responsables américains ont déclaré espérer reprendre les négociations sur la coopération sécuritaire après les élections au Tchad le 6 mai.

A noter qu’avant que l’armée ne prenne le pouvoir, le Niger était considéré comme un allié proche dans la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine vers l’Europe, et comme le seul partenaire démocratique de l’Union européenne et des États-Unis dans la région.

Le ministère américain de la Défense a annoncé que les États-Unis retireraient temporairement leurs soldats du Tchad, quelques jours après avoir accepté de retirer leurs forces du Niger voisin. Le général Pat Rader, porte-parole du Pentagone, a déclaré lors d’une conférence de presse que le commandement militaire américain en Afrique (AFRICOM) envisageait actuellement de repositionner certaines forces américaines au Tchad, notant qu’« une partie d’entre elles devait déjà partir ». Il a ajouté: « Il s’agit d’une étape intermédiaire dans la révision en cours de notre coopération en matière de sécurité, qui reprendra après les élections présidentielles du 6 mai au Tchad. »

• Départ des conseillers militaires américains et leur remplacement par leurs homologues russes

Dans la sphère politique américaine on parle également du départ des conseillers militaires américains des deux pays (Niger et Tchad) intervient à un moment où le Niger, ainsi que le Mali et le Burkina Faso, mettent un terme à des années de coopération avec les États-Unis, nouent des partenariats avec la Russie, ou du moins explorent des relations de sécurité plus étroites avec elle.

Le gouvernement militaire du Niger, qui est issu d’un coup d’État, a accepté de renforcer la coopération en matière de défense avec la Russie en janvier 2024, après avoir expulsé les forces françaises présentes sur son territoire, et début avril, l’agence russe « Novosti » a rapporté que des experts russes étaient arrivés au Niger pour former les forces de sécurité locales à la lutte contre le terrorisme, ajoutant entre-autres que: « Le Corps africain établira des relations ici et aidera également à former et à entraîner l’armée du Niger ».

De même, au début de ce mois, Moscou a fourni au Niger « un système de défense aérienne et 100 instructeurs militaires relevant des forces paramilitaires du groupe privé russe Wagner.

Le Niger se réjouit d’avoir imposé le départ des soldats américains de ses territoires, une décision qualifiée de « victoire » pour le Conseil militaire nigérien, surtout que les américains ont toujours cru que li Niger est pour eux la pierre angulaire de la stratégie antiterroriste de Washington en Afrique de l’Ouest.

Dans le même contexte, le Wall Street Journal a publié que le Département d’État américain a distribué au cours du mois de mars dernier un message diplomatique spécial à 15 gouvernements d’Afrique de l’Ouest.

Le document indique qu’une fois que les forces américaines auront quitté le Niger, les États-Unis ajusteront leur aide et leurs forces militaires pour assister les forces locales dans un certain nombre de pays d’Afrique de l’Ouest, tels que la Mauritanie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Nigeria.

• Les Nigériens et Nigériennes solidaires avec la Junte militaire crient « victoire »

Le mouvement réclamant le retrait des forces américaines se poursuit au Niger, au moment où Washington a décidé d’entamer les procédures d’un retrait organisé de ses soldats de ce pays. C’est ainsi que les organisations civiles et féministes de la capitale, Niamey, ont confirmé leurs exigences selon lesquelles les États-Unis doivent se conformer à la décision de la junte militaire au pouvoir de retirer les forces américaines le plus rapidement possible.

Dans la ville de Tillabéri (ouest du Niger), des sources locales ont fait savoir que des partisans de la junte militaire ont manifesté pour exiger le retrait des soldats américains de la base d’Agadez, dans le nord du pays.

Plusieurs villes du Niger, dont la capitale Niamey et Agadez, ont déjà été le théâtre ces derniers jours de manifestations au cours desquelles des banderoles ont été brandies exigeant le retrait des forces armées américaines.

Pour rappel, les États-Unis exploitent deux bases aériennes au Niger: la première, la Base 101, qui est située à l’aéroport de Niamey, et la deuxième, la Base 201, qui a été construite pour un coût d’environ 110 millions de dollars dans la ville nigérienne d’Agadez (à environ 920 kilomètres au nord-est de la capitale, Niamey) et est utilisée depuis 2018 dans le cadre de la lutte contre les groupes armés.

• Retour sur les dynamiques du retrait imposé aux forces américaines

Les Nigériens soutiennent leur Junte militaire

La décision de mettre fin à cette coopération n’était pas absurde et n’est pas venue de nulle part, elle a plutôt été motivée par de nombreuses considérations et motifs, que l’on peut évaluer comme suit:

• 1- Confirmer la souveraineté et l’indépendance du Niger

On comprend du bien-fondé de la décision et des résultats des récentes réunions un état d’escalade de la part des autorités nigériennes, frénétiques avec un ton de souveraineté nationale et de protection de l’indépendance et rejetant les « politiques de diktats et conditions » des États-Unis d’Amérique. Concernant la décision, le Niger a annoncé la résiliation de l’accord comme étant unilatérale par les États-Unis. Les Américains n’ont fait qu’un simple mémorandum verbal depuis 2012, qui ne prend en compte aucune considération de la souveraineté, de l’indépendance ou des intérêts nationaux du Niger et ne sert que les intérêts américains, selon l’accord. Le porte-parole des autorités de transition au Niger indique que son pays n’a pas connaissance du nombre de personnels civils et militaires américains présents sur son territoire, ni des quantités d’équipements déployés, et n’a pas le droit de demander l’aide de l’armée américaine contre des groupes armés.

• 2- Réaménagement des partenariats sécuritaires et militaires

La décision de rupture ne peut être comprise en dehors des tendances affichées par les autorités de transition, disposées à revoir leurs partenariats militaires et sécuritaires et à réviser et amender leurs textes de manière à revoir les arrangements et les partenariats militaires une nouvelle fois, et confirmant la souveraineté, l’indépendance et les intérêts du Niger et le respect de sa souveraineté restaurée en juillet 2023. C’est ce qui est effectivement apparu en adressant au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération de l’État du Niger, le 22 décembre 2023, un lettre officielle aux missions diplomatiques accréditées au Niger, notamment aux États-Unis, en Allemagne, en Italie et en Belgique, indiquant que le Niger est en train de revoir les accords sécuritaires et militaires signés.

• 3- Désaccords sur les partenaires

Principalement, les autorités de transition ont confirmé que leur décision de mettre fin à l’accord de coopération militaire était une réponse aux tentatives des États-Unis d’Amérique de s’immiscer dans les affaires du Niger et d’écarter ses nouveaux partenaires militaires, sécuritaires et diplomatiques: (faisant allusion à l’Iran et à la Russie) afin de soumettre ses intérêts à l’exclusion de ceux du Niger.

Le communiqué du porte-parole des autorités de transition au Niger indique: « Le Niger regrette l’intention de la délégation américaine de priver le peuple souverain du Niger du droit de choisir ses partenaires et les types de partenariats susceptibles de l’aider véritablement dans la lutte contre les groupes armés ».

Dans ce contexte, de nombreux milieux universitaires ont plutôt tendance à associer la décision de mettre fin à l’accord aux responsables américains accusant le Niger de conclure un accord qui permettrait à l’Iran d’accéder à ses réserves d’uranium.

• 4-En évitant les pressions américaines, les autorités de transition au Niger sont conscientes des intérêts des États-Unis, conditionnés depuis juillet 2023, et conscientes de l’ampleur de leurs oscillations dans la description de leur position à l’égard de la junte militaire et de sa légitimité.

Bien que les États-Unis d’Amérique aient exprimé leur compréhension de la destitution de l’ancien président Mohamed Bazoum et du contrôle du Conseil militaire et le considérant comme une autorité de transition, en octobre 2023, ils ont qualifié la décision militaire de coup d’État et ont promulgué des lois qui suspendaient 442 millions de dollars d’aide économique, et a conditionné sa coopération et la reprise de l’aide en décembre 2023 à certaines conditions, dont l’accélération de la période de transition. Au contraire, elle a exprimé son inquiétude quant à l’avenir de la période de transition lors de la dernière réunion des 12 et 13 mars 2024, ce qui signifie que « la position américaine reste hésitante et qu’elle peut évoluer pour servir les intérêts américains ».

Ainsi, la littérature politique indique que la décision de résiliation n’est qu’un outil de la junte militaire et une carte de pression pour échapper à la pression américaine, contrôler le rythme de ses mouvements, l’harmoniser avec les intérêts de la junte militaire, contrôler le pouvoir et prolonger la période transitoire.

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