« Le récit de la reconquête d’une souveraineté perdue est martelé à Bamako »

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« Le récit de la reconquête d’une souveraineté perdue est martelé à Bamako »
« Le récit de la reconquête d’une souveraineté perdue est martelé à Bamako »

Emma Larbi

Africa-Press – Mali. Pour le chercheur Adib Bencherif, « il existe une défiance de longue date entre les autorités et les groupes à majorité touareg et arabe qui contrôlent dans les faits le nord du pays depuis plus de dix ans ».

Spécialiste des conflits armés au Sahel et des élites politiques touareg, Adib Bencherif est professeur adjoint en sciences politiques à l’université de Sherbrooke (Canada) et chercheur associé à l’université de Floride (Etats-Unis). Il revient sur les affrontements entre les forces armées et les anciens groupes rebelles au Mali qui menacent de faire voler en éclat l’accord de paix signé à Alger en 2015.

La zone de Ber, dans les environs de Tombouctou, est depuis quelques jours le théâtre d’affrontements entre les forces armées maliennes (FAMa), leurs alliés du groupe paramilitaire russe Wagner et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, l’ex-rébellion touareg). Pourquoi ces tensions ont-elles éclaté vendredi 11 août ?

Adib Bencherif Il semble qu’il y ait eu deux accrochages ce jour-là : l’un entre les militaires maliens en route vers Ber et la CMA, l’autre entre ces mêmes militaires et les groupes djihadistes présents dans la région. Ce qui est certain, c’est que les troupes maliennes veulent enregistrer des victoires, notamment depuis qu’elles sont soutenues par Wagner. Pour elles, reprendre pied dans le camp militaire de Ber, d’où s’est retirée définitivement la Mission des Nations unies au Mali, est une première étape.

L’objectif est de se repositionner dans le nord du Mali. A Bamako, le récit de la reconquête d’une souveraineté perdue est martelé pour galvaniser la population. Malgré les risques, il n’est donc pas impossible que les forces maliennes essaient, dans un second temps, d’atteindre Kidal, le fief de la rébellion touareg. Pour les anciens insurgés, il en est évidemment hors de question.

Jeudi 10 août, la CMA avait annoncé le départ de Bamako de tous ses représentants pour des raisons de « sécurité ». Etait-ce un signe avant-coureur d’une détérioration de la situation ?

Ces représentants touareg ne vivaient pas, pour la plupart, en permanence à Bamako. Ils faisaient souvent des allers-retours au Nord. Est-ce qu’ils ont craint d’être arrêtés dans la capitale ou ont anticipé des affrontements à venir ? Difficile à dire, mais le signal est inquiétant. Il montre que la situation peut basculer dans une logique conflictuelle.

Quelles relations entretenaient les autorités maliennes et les anciens groupes touareg depuis l’accord pour la réconciliation et la paix au Mali, signé en 2015 à Alger ?

Depuis quelques années, et malgré les défiances, il y avait une forme de statu quo entre la CMA et les forces armées maliennes, engagées dans la lutte contre les groupes djihadistes. L’épisode de vendredi est l’un des premiers – pour ne pas dire le premier – vrais affrontements. Depuis 2015, la mise en œuvre de l’accord de paix a été extrêmement laborieuse. Sur le papier, il prévoyait notamment une plus grande autonomie des différentes régions du Mali et une recomposition de l’armée dans laquelle doivent être intégrés d’anciens rebelles.

Mais il existe une défiance de longue date entre les autorités et ces groupes, à majorité touareg et arabe, qui contrôlent dans les faits le nord du pays depuis plus de dix ans. Après le coup d’Etat de 2020 et 2021, il y a eu de nombreuses discussions au sein du comité de suivi de l’accord, qui ont pu donner l’impression que les gouvernements de transition voulaient renégocier les termes de l’accord.

Quel rôle joue la fin de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) – demandée par les autorités maliennes en juin 2023 – dans cette crise ?

La présence de la Minusma permettait de calmer les velléités des acteurs. C’était notamment vrai pour les forces armées maliennes et leurs associés de Wagner, dont la Minusma a dénoncé les exactions, ce qui lui a valu de devoir se retirer. Aujourd’hui, les autorités comme les rebelles voudraient réoccuper les anciens camps des casques bleus. L’armée malienne a déjà annoncé qu’elle contrôlait désormais l’ancienne base d’Ogossagou.

Pensez-vous que le coup d’Etat au Niger du 26 juillet peut avoir joué un rôle dans la montée des tentions au Mali ?

Je ne ferai pas de lien entre les deux dossiers. L’instabilité au Niger risque de profiter aux groupes djihadistes, présents sur la frontière nigéro-malienne, mais je ne pense pas que le coup d’Etat a eu un impact sur les ex-groupes rebelles.

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