Mali : Les Russes prennent le pas sur les Français !

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Rapporté par
Mustapha Ouarab

Africa-PressMali. À Paris comme dans d’autres capitales occidentales, l’inquiétude est réelle de voir les Russes prendre pied au Mali via leur sulfureuse société paramilitaire «Wagner». Selon des sources anonymes consultées par Reuters, le groupe Wagner serait sur le point d’obtenir un accord avec la junte malienne pour la formation de ses militaires et la protection des hauts-fonctionnaires.

Pays clé de l’opération Barkhane, la France perd de plus en plus de terrain dans ses anciennes colonies Africaines. Paris s’arme du soutien de ses alliés occidentaux, pour prévenir qu’il s’agit bien d’une nouvelle ligne rouge que s’apprête à franchir Moscou. Mais dans les coulisses, ce nouveau bras de fer cache mal une guerre froide d’influence et d’intérêts, que mènent les grandes puissances au Mali comme dans bien d’autres pays d’Afrique noire.

Colère des occidentaux

Ainsi, selon une information relayée par l’agence de presse Reuters, en début de semaine, sur la base de «sources diplomatiques concordantes», les autorités maliennes seraient en passe de conclure un accord avec la célèbre société paramilitaire russe Wagner. Accord dit-on d’un montant de six milliards de francs CFA (environ 10,8 millions de dollars) par mois, qui donnerait accès à Wagner à trois gisements miniers, deux d’or et un de magnésium, rapportent pour leur part, certains médias Maliens. Ce qui rappelle encore le scénario centrafricain et fait craindre une mainmise russe sur un pan minier de l’économie malienne.

A l’annonce de l’information, la tension n’a cessé de monter et les réactions se multiplier très vite. Mardi dernier, la ministre française des Armées Florence Parly a jugé, qu’un tel accord serait «extrêmement préoccupant et contradictoire avec l’action menée par les militaires français au Sahel». Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian trouve pour sa part, que l’arrivée même du groupe russe serait « absolument inconciliable avec la présence des soldats français» au Mali. La France possède encore plus de 5000 hommes au Sahel, dans le cadre de l’opération Barkhane, dont des centaines au Mali.

Mercredi, l’Allemagne s’associe à la France pour indiquer sans détours que si accord il y aura avec la célèbre société de mercenaires russes, cela remettrait en cause le mandat de l’armée allemande au Mali. Une présence importante, faut-il le rappeler, de quelques 1500 soldats y sont déployés dans le cadre de la mission de formation de l’Union européenne, mais aussi au sein de la force Onusienne Minusma. «Un tel accord contredit tout ce que l’Allemagne fait au Mali depuis huit ans, aux côtés de la France, de l’Union européenne et de l’ONU », a indiqué mercredi, la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer dans un tweet.

Pour l’instant, les termes de l’accord passé entre la junte au pouvoir à Bamako et les russes ne sont pas encore très clairs. Ils concerneraient, selon des sources officieuses, environ un millier d’hommes armés de la Wagner, chargés de la formation des troupes maliennes, et aussi de la protection de hautes personnalités Malienne. Mais, comme en Centrafrique où les missions de Wagner sont officiellement les mêmes, ses hommes pourraient parfaitement s’impliquer directement dans des combats.

Conjoncture pro-Russe

Au-delà d’un simple renforcement de ses relations avec l’Afrique, la nouvelle offensive de la Russie sur le continent noir peut aussi s’analyser sous l’angle de la rivalité qu’elle entretient avec la France. L’influence Française au Mali qui était considérée comme faisant partie de l’«héritage» colonial de l’Elysée en Afrique, n’a en réalité cessé de s’affaiblir progressivement dans ce pays.

L’enlisement de l’opération Barkhane dans la guerre interminable contre le «terrorisme», alors que les attaques djihadistes se multiplient, a entraîné des contestations populaires contre la présence militaire de l’ancien colonisateur au Mali.

Et depuis le coup de force des militaires contre le pouvoir exécutif de la transition au Mali, le 24 mai dernier, bien des voix réclament tout haut le départ de la France et son remplacement par la Russie. Plusieurs pages à forte audience sur les réseaux sociaux, se sont même appliquées à présenter ce coup de force militaire comme étant un acte patriotique pour contrer la France. Le 28 du même mois, en soutien aux Forces armées maliennes et en faveur d’une coopération entre le Mali et la Russie, une manifestation fut organisée à Bamako.

La conjoncture est donc favorable pour Moscou, avec de hauts responsables Maliens formés dans les écoles Russes. Surtout le premier ministre Malien, Choguel Maïga, et le ministre de la défense, Sadio Camara, qui est présenté comme étant l’artisan du rapprochement de Bamako avec Moscou. Et le Kremlin pourrait en profiter grandement, dans le jeu de rivalités qui l’oppose à plusieurs nations européennes.

Paris pour sa part ne voit dans ces manifestations multiples de refus, qu’une (autre) preuve flagrante de l’«ingérence extérieure». Début 2020 déjà, le président Emmanuel Macron avait accusé des «forces étrangères» d’être derrière ce genre de manifestations. Selon lui, les manifestations anti-françaises étaient destinées à servir «les intérêts d’autres puissances étrangères qui veulent simplement voir les Européens plus loin, parce qu’ils ont leur propre agenda, un agenda de mercenaires».

C’est dire combien les récents propos du président Français entrouvrant la voie à un possible retrait de ses troupes du Mali fin 2021, sont perçus par les Maliens que comme une «aubaine».

Cheval de Troie de Moscou

Véritable cheval de Troie de Moscou dans le monde, Wagner est une armée privée de mercenaires qui œuvre pour le compte de la Russie, même si celle-ci s’en défend, affirme «Amnesty International» dans une enquête publiée le 1er septembre dernier. Wagner serait composée de 2 500 à 5 000 mercenaires, et serait présente depuis 2014 sur les fonts de conflit où la Russie a des intérêts stratégiques à défendre.

Ces dernières années, les mercenaires Russes ont été vus dans 12 pays à travers le monde, dont la moitié sur le continent africain. Parmi lesquels on peut citer : la Libye, le Soudan, la Centrafrique, Madagascar, et pour un certain temps le Mozambique. Au cours des deux derniers mois, Wagner a aussi signé des contrats de «coopération militaire» avec les deux pays les plus grands d’Afrique, à savoir l’Éthiopie et le Nigéria.

Cette “armée secrète de Vladimir Poutine”, comme la surnomme Amnesty international, servirait d’armée «secrète» là où Moscou ne souhaite pas envoyer ses troupes régulières.
Depuis 2017, ces mercenaires Russes aident le président Centrafricain Touadéra à combattre la rébellion qui sévit dans son pays. Mais le Kremlin dément et nie même les connaître, en affirmant régulièrement que : «Ce groupe Wagner n’existe pas», et que «les sociétés militaires privées sont interdites en Russie».

Le président Français Macron a déjà critiqué la République centrafricaine, pour avoir utilisé Wagner pour renforcer sa sécurité, allant même jusqu’à juger que le président Touadero était devenu un «otage de Wagner». Le président de ce pays riche en minerais est gardé par des mercenaires de l’entreprise Wagner, tandis qu’un ancien responsable de la sécurité russe est, Maxim Shogali, est devenu son conseiller personnel. C’est cet homme mystérieux lié au Kremlin, qui a déjà joué un rôle dans l’intervention de la Russie en Libye et dans bien d’autres pays africains, qui aussi a déclaré que «la Russie est devenue un facteur de stabilisation en Afrique et plus important que la France».

Encadré : 
Guerre froide d’influence et d’intérêts

Prenant en considération l’enjeu diplomatique, la Russie n’est pas considérée comme ennemie, ni par la France, ni par l’Union Européenne, ni même par les Nations unies. Mais c’est ailleurs, sur le terrain que se mène une guerre froide, dont les paris sont les intérêts et les stratégies, diamétralement opposés entre les grandes puissances.
C’est précisément sur ce terrain que les relations entre la France et la Russie, sont au plus bas en Afrique. Moscou avait accusé la France de «piller» l’Afrique, Paris à son tour accusant Moscou d’y conduire des campagnes agressives qui visent à l’évincer de son pré carré.

Si l’accord passé avec le gouvernement Malien garantit à la société Russe Wagner l’accès à des gisements miniers, ce n’est pas une première. Les Russes ont déjà obtenu via leur société paramilitaire maints concessions et privilèges, ailleurs sur le continent Africain. L’exemple de la Centrafrique (RCA) est à ce propos est révélateur.
Dans ce pays ancienne colonie Française, qui est l’un des plus pauvres du monde mais aussi le plus important producteur de diamants, aux côtés de bon nombre d’autres minerais précieux, la présence paramilitaire Russe protège de très près les intérêts juteux de Moscou.

En RCA, en effet, les Russes ont une véritable armée de mercenaires, munie de véhicules blindés de transport de troupes, d’hélicoptères de combat, de drones, et même de mines antipersonnel.

Au début de l’année 2018, le président au pouvoir à Bangui Faustin-Archange Touadéra, avait rapidement conclu un accord octroyant à une société Russe, des droits d’exploitations dans plusieurs zones minières du pays.

En dehors de la capitale Centrafricaine Bangui, la présence armée des hommes armés de Wagner est concentrée dans des zones minières riches en or ou en diamants, notamment au Nord-Est, défendant ainsi les intérêts d’entreprises Russes, dont certaines bénéficient de concessions d’exploitation pour des durées de 25 ans.
La France qui voit d’un mauvais regard les hommes de Moscou la concurrencer partout où se trouvent ses intérêts «acquis» de l’héritage colonial, notamment en Centrafrique, mais aussi en Libye, et même au Tchad, se sent outragée par cette nouvelle percée Russe de taille au Mali.

Dans ce contexte de guerre froide sur les intérêts économiques et stratégiques, reste à savoir si Paris tiendra toujours parole et retirera ses militaires du Mali «avant la fin de l’année», comme elle s’est déjà engagée.

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