Gérard Araud – Pourquoi nous devons quitter le Mali… et vite

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Gérard Araud – Pourquoi nous devons quitter le Mali… et vite
Gérard Araud – Pourquoi nous devons quitter le Mali… et vite

Africa-Press – Mali. Les lecteurs de cette chronique se souviennent peut-être que, il y a quelques mois, j’attirais leur attention sur l’impasse dans laquelle se trouvait la politique française au Sahel. Je les avais peut-être surpris. Nous étions embourbés dans une lutte sans fin contre des groupes terroristes toujours renouvelés au sein d’une population qui nous voyait de plus en plus comme une force d’occupation. J’en concluais que la seule solution était un retrait ordonné de nos troupes de ce piège pour éviter une réédition africaine de la débâcle américaine de Kaboul.

Le président de la République s’est d’ailleurs engagé dans cette voie en annonçant la transformation de l’opération Barkhane en une mission plus légère de lutte antiterroriste. C’était bel et bien une manière discrète de commencer à partir sur la pointe des pieds.

Comme il arrive souvent, les événements sur le terrain viennent bouleverser les plans les plus étudiés. La transition que la France voulait progressive et prudente se heurte à la succession de deux coups d’État militaires au Mali et au Burkina Faso. Non seulement disparaît ainsi l’objectif d’établir des démocraties stables dans la région, mais la junte qui a pris le pouvoir à Bamako ne cesse de manifester son hostilité à la France et, au-delà, aux contingents internationaux qui luttent contre les groupes djihadistes sur son territoire. Elle vient ainsi d’exiger le départ des forces spéciales danoises.

Bien plus, elle fait appel au groupement de mercenaires russes dits « Wagner » qui sévit déjà en Syrie, en Libye et en République centrafricaine. On connaît la brutalité de cette association de prédateurs et de tueurs. Enfin, comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a imposé des sanctions au Mali putschiste, Bamako s’en prend à la France en expulsant son ambassadeur. Pas de jour sans que le pouvoir n’organise des manifestations antifrançaises et sans qu’un de ses représentants ne demande notre départ.

Fin de partie pour la France

En elles-mêmes, les déclarations d’une poignée d’officiers qui ont prouvé qu’ils sont incapables de défendre leur pays prêtent à sourire. Le général Tapioca a succédé au général Alcazar, dirait Tintin. Il est un fait que les pays africains de la région ne reconnaissent pas leur légitimité et exigent le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Mais ce qui ne serait qu’un accident de parcours s’il arrivait dans un contexte apaisé prend aujourd’hui la signification d’une fin de partie pour la France.

Les putschistes peuvent jouer de la lassitude compréhensible que ressentent de plus en plus les populations de la présence de forces étrangères, d’autant qu’aucun calendrier n’en fixe la durée. Et pour cause puisque la lutte contre le terrorisme est une entreprise sans fin.

Le risque d’incidents entre Maliens, agités en sous-main par la junte, et soldats internationaux, en particulier français, existe donc. Ce serait un triste paradoxe alors qu’à notre arrivée en 2013, nous avions été acclamés par la population que nous libérions du joug islamiste. Partons donc avant qu’il ne soit trop tard. Partons le plus rapidement possible.

Ne pas imiter les Américains

Après tout, jamais un attentat contre notre pays n’a trouvé son origine ou n’a même été préparé dans cette région. Si le Mali veut choisir lui-même son chemin, il en a le droit. Nous n’avons dans ce pays aucun intérêt économique ou autre qui justifie que nous nous entêtions à y rester contre la volonté de ses autorités de fait et d’une partie croissante de sa population.

Ce départ ne sera pas aisé. Sans le soutien de l’armée française, la force des Nations unies, la Minusma, qui contribue à stabiliser la partie nord du pays, risque de nous suivre. On voit mal ces officiers d’opérette et leurs soudards russes défendre leur pays qui pourrait alors devenir une République islamique, mais est-ce notre mission de lui dicter son destin ? La Mauritanie en est une et nous entretenons d’excellentes relations avec elle.

Nous ne pouvons pas quitter entièrement la région dans la mesure où d’autres pays, comme le Niger et le Tchad, sont attachés à coopérer avec nous. Nous devrons cependant recalibrer le soutien que nous leur apportons. Un piège serait d’imiter les Américains qui, à coups de drones et de forces spéciales, ont transformé la lutte contre le terrorisme en un jeu informatique que nul ne contrôle. On tue et chaque cible est qualifiée de « chef de groupe terroriste ». Nul ne se préoccupe du nombre des victimes civiles et nul ne peut affirmer que ces raids ébranlent durablement des groupes où un petit chef succède aisément à un autre, le plus jeune étant souvent encore plus radical que son aîné qui vient de disparaître.

Plutôt que de nous fonder sur le courage exemplaire de nos soldats ou sur le recours aseptisé à la technologie, le moment est venu de nous effacer derrière les forces locales et de les laisser jouer de leurs propres logiques. N’essayons pas de leur imposer des cadres d’action et de pensée qui ne sont pas les leurs ; acceptons des compromis avec des principes que les circonstances locales ne permettent pas d’appliquer. Démilitarisons notre présence, rappelons nos diplomates, nos universitaires experts de la région et nos spécialistes de l’aide et soyons modestes dans ce que nous pouvons faire d’efficace.

Nos intérêts, c’est la sécurité de nos citoyens ; ce n’est pas de régenter une région immense dont les problèmes le sont tout autant.

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