Les pays du Sahel et les grands échecs de leur « gouvernance » en matière de sécurité

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Les pays du Sahel et les grands échecs de leur « gouvernance » en matière de sécurité
Les pays du Sahel et les grands échecs de leur « gouvernance » en matière de sécurité

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Mali. Il n’échappe à personne que la région du Sahel africain souffre d’une escalade des menaces liées à la propagation du terrorisme et à l’augmentation de ses opérations à des niveaux sans précédent, en conjonction avec l’augmentation du laxisme politique et sécuritaire dans les pays, la détérioration de l’économie et l’effondrement des infrastructures, tandis que les avertissements de « catastrophes potentielles » auxquelles sont confrontés les citoyens de ces pays se multiplient.

Dans ce contexte, une récente étude publiée par le Centre de Recherche et de Concertation sur les Tendances a mis en lumière le problème du terrorisme en Afrique et sa réalité actuelle, les raisons de son aggravation récente, et ses conséquences futures.

Dans son étude intitulée « Approches alternatives : problèmes des menaces terroristes et hybrides au Sahel », le Dr Hamdy Abdel Rahman Hassan, professeur de sciences politiques, estime que la région sahélo-saharienne, qui s’étend de l’océan Atlantique à la mer Rouge, a été témoin au cours de la dernière décennie de l’existence d’États fragiles, au bord de l’effondrement, comme le Mali et le Burkina Faso.

A noter qu’au cours de la même période, cette région a connu également une expansion de groupes armés violents et adaptatifs liés à des organisations terroristes mondiales, et une augmentation exponentielle de la violence sectaire menée par des milices ethniques, selon l’étude.

C’est pourquoi nous avons vu utile de rappeler les facteurs ayant servi d’étincelles aux crises sécuritaires dans cette région du continent africain.

Facteurs de la crise sécuritaire dans la région du Sahel

Il est plus que certain que tout observateur qui suit l’évolution de la situation dans la région du Sahel peut aisément la qualifier de « détérioration croissante », notamment en raison de l’intensification des activités liées au crime organisé transfrontalier et du nombre de guerres civiles qui y sont déclenchées.

C’est d’ailleurs pourquoi beaucoup de ces pays sont confrontés à des conflits armés qui ont poussé la région sahélienne à vivre des crises sécuritaires successives, d’une part, et d’autre-part, les pays ont été influencés par les crises des pays voisins qui leur ont occasionné, à leur tour, d’autres crises, ce à quoi les puissances internationales ont pu facilement exploiter cette situation et créer des crises de toutes pièces afin de faire pression et d’arracher des conventions à des conditions très favorables pour piller les ressources naturelles de la région. Il leur suffisait ensuite de favoriser toutes les tensions et toutes les crises possibles pour pérenniser cet état de fait.

Parmi les principaux facteurs à l’origine de la crise dans la zone du Sahel, on peut citer :

• Echec des politiques de développement

L’échec des politiques de développement a transformé la région en zones où sévit la précarité. Il faut admettre désormais que tous les pays du Sahel ont échoué dans la réalisation des objectifs de développement au cours des cinquante dernières années, et les institutions gouvernementales ont connu des échecs cuisants et ont affronté également des défis immenses pour faire face à la communauté internationale.

Les pays de cette région sont ainsi classés parmi les pays à haut degré de précarité, ce qui en fait trop souvent les lanternes rouges à l’échelle mondiale en termes de développement économique, social, sanitaire, culturel…

Il importe de noter que « vivre dans un Etat où sévit la précarité implique d’être privé des services de base, de la sécurité et des droits élémentaires que devrait offrir et garantir l’Etat, ce qui implique des dégâts humains considérables et à large échelle.

Sachons d’abord que la précarité consiste en :

A – l’échec de l’Etat à imposer son autorité et son incapacité de fournir les services de base, outre son impuissance à préserver la légalité,

B – l’incapacité de l’Etat à protéger ses concitoyens contre la violence, et ni à offrir les services essentiels à tous les citoyens, ni acquérir leur reconnaissance de sa légitimité.

Généralement les spécificités des pays vivant dans la précarité se résument dans les points suivants :

a) la faiblesse de la capacité à mobiliser les ressources ;

b) la baisse des taux de croissance au niveau du développement humain ;

c) la baisse de la densité de la population ;

d) la hausse de la dette extérieure ;

e) le faible attrait des investissements étrangers.

Le danger de la transformation du pays en zone où sévit la précarité réside donc dans l’absence de volonté politique des dirigeants de s’acquitter convenablement de leurs devoirs envers leurs concitoyens et d’assumer leurs responsabilités face aux défis pressants, ce qui fait que les structures de l’Etat manquent des capacités requises pour accomplir leurs principales missions :

1) la lutte contre la pauvreté,

2) la réalisation des objectifs du développement et la protection des populations,

3) la défense de leurs intérêts économiques, politiques et humains.

Il s’agit ensuite de leur offrir les conditions de vie décente.

• Echec des politiques sécuritaires

Il est inévitable que les Etats du Sahel échouent face aux menaces sécuritaires auxquelles ils sont confrontés ces dernières années. Les raisons en sont multiples :

a) les carences de leurs services de sécurité,

b) la rareté de leurs ressources économiques et financières,

c) la faiblesse de leurs expertises humaines,

d) la dégradation de leurs infrastructures administratives, outre l’absence de préparation organisationnelle et opérationnelle pour contrer les menaces.

Cependant, si ces pays étaient en mesure de coordonner efficacement leurs appareils sécuritaires, ils pourraient compenser relativement les carences enregistrées au niveau national dans le domaine de la sécurité. Il est toutefois évident que la faiblesse en termes de coordination et l’inexpérience des appareils sécuritaires sont autant de facteurs qui les rendent inefficaces pour faire face au crime organisé transfrontalier qui menaçait et continue de menacer de manière directe la sécurité des Etats de la région. Les exemples les plus saillants en sont l’échec en matière de coordination sécuritaire pour faire face à Al Qaeda et à Daech, et l’échec dans la confrontation avec le crime organisé.

• Echec en matière de coordination sécuritaire pour faire face à Al Qaeda et à Daech

En dépit de l’existence d’une coordination sécuritaire apparente entre les pays de la région, connue sous l’appellation de « coordination sécuritaire commune entre les pays du Champ » ou encore « plan Tamanrasset », signé en 2009, où sont parties prenantes l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie, l’échec est patent. Le plan Tamanrasset a conduit à l’établissement d’un centre d’opérations militaires communes (CEMOC) à Tamanrasset, au sud de l’Algérie, sous parapluie franco-américain. Cependant, ce plan n’a pas donné lieu à une coordination véritable fondée sur une stratégie à vision et exécution communes, notamment face à AQMI, qui a menacé la sécurité de tous les pays de la région en intensifiant ses activités sur leurs territoires. Ainsi, AQMI a exécuté plusieurs opérations contre leurs gouvernements mais aussi contre des intérêts occidentaux sur ces territoires. Cela apparait encore de façon plus manifeste dans la politique algérienne, axée essentiellement sur la défense et les renseignements, alors que la Mauritanie, qui subit sur son territoire des attentats terroristes, a opté pour une politique d’attaques préventives à travers ses interventions militaires répétées au nord du Mali, mais sans coordination avec l’Etat malien, peu avant l’intervention directe de la France dans ce pays pour faire face à Al Qaeda. Le Mali a, quant à lui, choisi d’ignorer les activités d’Al Qaeda au nord de son territoire, ce qui a permis à AQMI de créer un « Etat » dans la zone de l’Azawad et d’en faire le point de lancement de ses attaques en vue d’une maîtrise complète du territoire malien.

Quant au Niger, pour sa part, il a préféré compter sur l’appui français et américain en leur permettant d’établir des bases aériennes de drones pour lutter contre les mouvements extrémistes.

• Echec dans la confrontation avec le crime organisé

La précarité de la situation des pays du Sahel et l’étendue de leur territoire géographique a permis aux bandes du crime organisé de se concentrer dans cette zone, en profitant du vide créé par l’absence de populations et en exploitant l’impréparation des appareils sécuritaires pour défendre le territoire national dans ces pays.

Finalement, il importe de savoir que les transformations majeures qui ont contribué à modifier la structure de la sécurité régionale dans la zone « Sahel africain », à savoir « la concurrence russo-occidentale, le changement du schéma de financement européen après la mise en place de la Facilité européenne de paix, les transformations du phénomène terroriste et guerres hybrides », sont des déterminants de l’impact sur la sécurité africaine

Quant à la coopération russo-africaine, elle s’est concentrée en grande partie sur les ventes d’armes russes. Plus important encore, l’expansion de l’influence de la Russie en Afrique s’est concentrée sur le recours à des sociétés de sécurité privées pour fournir une formation et des conseils en matière de contre-insurrection et de contre-terrorisme aux gouvernements locaux, lesquels luttent pour résoudre les problèmes de terrorisme et d’extrémisme idéologique, sans toutefois y réussir.

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