La relance de l’Accord de Paix et de Réconciliation au Mali réussira-t-elle ou est-elle vouée à l’échec ?

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La relance de l'Accord de Paix et de Réconciliation au Mali réussira-t-elle ou est-elle vouée à l'échec ?
La relance de l'Accord de Paix et de Réconciliation au Mali réussira-t-elle ou est-elle vouée à l'échec ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Mali. Si l’accord de paix parfait n’existe pas, il semble que le texte signé en 2015 souffre de profondes lacunes, car il reproduit pour l’essentiel les recettes du passé, en favorisant par exemple une politique de décentralisation et de clientélisme qui n’a jamais apporté la paix.

Cet accord propose de renforcer les institutions d’un système politique déjà malade, et les parties maliennes, réticentes à s’engager dans un dialogue direct, héritent d’un texte largement rédigé par la médiation et qui reflète ses intérêts. Celle-ci privilégie la restauration de l’ordre et de la stabilité dans une situation marquée au contraire par l’aspiration des populations du Nord au changement. L’accord évoque peu les questions d’accès aux services sociaux de base, d’emploi et de justice, pourtant au cœur des préoccupations de la population. La priorité donnée à la sécurité a relégué au second plan le difficile combat pour restaurer l’utilité sociale de l’Etat sur l’ensemble du territoire malien.

Nous vous offrons l’occasion de parcourir tout le texte de l’accord de paix et de réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger, en allant sur le lien ci-après : https://library.fes.de/pdf-files/bueros/fes-pscc/14325.pdf

Rétrospective de l’escalade du conflit armé entre le gouvernement malien et les mouvements séparatistes

Congrès du MNLA

Dans le contexte de l’escalade du conflit armé au Mali depuis 2012, entre le gouvernement malien et les mouvements séparatistes armés dans la région de l’Azawad au nord du Mali, réclamant leur droit à l’indépendance pour gouverner la région, en signe de protestation contre la marginalisation des « Azawads » par le gouvernement et l’insistance sur l’intégrité territoriale du pays, la scène politique malienne a récemment connu des développements importants et fondamentaux résultant de la rencontre qui s’est tenue dans la capitale, Bamako, au cours des dernières semaines entre le gouvernement malien et les représentants des mouvements de l’Azawad, en présence d’émissaires de l’Algérie en tant que médiateur entre les deux parties, dans le but de réactiver « l’accord de paix et de réconciliation », qui s’est tenu avec la médiation algérienne en 2015, pour arrêter le conflit armé qui a entraîné la mort et le déplacement de milliers de civils et de militaires, et pour mettre l’accent sur la réconciliation nationale , en tenant compte de la diversité ethnique sans compromettre l’unité du pays.

La réunion de Bamako est donc intervenue quelques jours après que le Bureau exécutif pour la coordination des mouvements de l’Azawad ait annoncé le gel de l’accord de paix à la suite de sa réunion tenue à Kidal, les 16 et 17 juillet 2022, accusant le conseil militaire d’en violer les dispositions depuis qu’il a pris la tête du gouvernement de transition après le coup d’État de mai 2021, et le membre fondateur du « Mouvement national pour la libération de l’Azawad », Bekai Ag Hamad, a déclaré que : « Si le Mali choisit la confrontation militaire, les Azawads n’ont d’autre choix que de se défendre ou d’attaquer pour contrôler toute la région ».

Caractéristiques du nouvel accord

Selon le communiqué des autorités maliennes du vendredi 5 août 2022, la réactivation de « l’Accord de paix et de réconciliation » conclu en 2015 avec la médiation algérienne, a été signé. La diversité ethnique est prise en compte sans compromettre l’unité du pays.

Les caractéristiques les plus saillantes et les plus importantes du nouvel accord tournent autour de la mise en œuvre des dispositions relatives au processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des combattants du mouvement Azawad dans la vie civile et les emplois publics, Y compris l’armée et la police, et reflète une plus grande représentativité de la population, notamment dans le nord du pays, sous la forme de brigades mixtes composées à parité des forces armées maliennes, d’anciens combattants de l’Azawad et de groupes armés fidèles au pouvoir malien. Le nombre de combattants censés être intégrés est estimé à environ 26 000 anciens combattants, à répartir en deux contingents égaux, sans annoncer la date de début du premier contingent à fusionner, et ne fixer que la date d’intégration du deuxième contingent, entre 2023 et 2024.

Ceci, alors que les parties concernées ont convenu d’établir et d’activer un comité spécifiquement chargé de préparer et de soumettre des propositions concernant les cadres civils et militaires dans les mouvements signataires de l’accord, de déterminer la part qui sera accordée à chaque mouvement armé, au cours du processus d’intégration des éléments au sein de la hiérarchie de commandement dans les rangs de l’armée nationale à reconstruire, et ce au milieu d’un grand accueil et soutien du Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, et du Président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, qui a exprimé « la disponibilité de leur organe permanent, dans le cadre de la médiation internationale conduite par l’Algérie, à mener à bien le processus de paix, et leur aspiration à la prochaine réunion du Comité de suivi de l’Accord de paix ».

Des raisons multiples

Ces étapes vers la voie de la relance de l’accord ont été motivées par les nombreux défis et menaces auxquels le Mali est confronté sur les scènes politiques et sécuritaires, en particulier depuis les coups d’État d’août 2020 et de mai 2021, tant au niveau local qu’au niveau régional. Les plus importantes et les plus frappantes de ces limitations peuvent être traduites comme suit :

• Éviter le vide sécuritaire et politique dans le pays

L’escalade des opérations terroristes lancées par les organisations « Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn, JNIM » et « Daech au Grand Sahara », a conduit à des défis croissants de la scène sécuritaire au Mali, notamment à la lumière des relations tendues entre les mouvements armés de l’Azawad et le gouvernement malien, d’une manière qui empêche la coopération et la coordination entre les deux parties dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme, et s’efforce de combler le vide laissé par les développements récents, notamment ceux liés à l’annonce par le Mali, le 16 mai 2022, de son retrait de tous les organes et comités des pays du Groupe G5 Sahel, y compris la force conjointe de lutte contre le terrorisme au Sahel, et le retrait des unités militaires françaises et européennes des opérations antiterroristes au Mali.

Cela peut révéler la faiblesse des capacités de surveillance et de réponse du Conseil militaire face aux menaces des groupes armés, surtout si la capitale, Bamako, tombait aux mains d’organisations terroristes, et que le ciblage d’installations militaires vitales s’intensifiait, ce qui menace l’efficience et l’efficacité du Conseil militaire dans la gestion et le gouvernement du pays pendant cette phase, et accroît la méfiance de la communauté locale envers l’armée nationale, où les dernières estimations des pertes lors d’une récente attaque lancée par Daech, le 9 août 2022, dans la ville de Tissit, qui comprend un camp militaire dans une vaste zone non contrôlée par le gouvernement malien à l’intérieur du triangle des « trois frontières », s’élèvent à environ 42 morts de l’armée malienne.

• La menace qui pèse sur la capitale, Bamako

Prés de 15 jours avant, le 22 juillet 2022, le Mali a été témoin d’une attaque menée par le « Mouvement de libération du Macina », l’un des mouvements armés opérant sous la bannière du groupe terroriste « Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn, JNIM » loyal à « Al-Qaïda ». L’attaque visait le service matériel, carburant et transport de la base militaire de Kati, à quelques kilomètres de la capitale, Bamako, près de la résidence de l’actuel président de transition du Mali, le colonel Assimi Goïta.

Outre le fait que cette attaque est la première du genre visant la base « Kati », considérée comme la plus grande et la plus importante du Mali, elle est considérée comme une menace pour la capitale, Bamako, dans le sud, d’autant plus que la plupart des attaques lancées par les groupes armés ciblaient des sites du nord et du centre du Mali. Il convient de noter à cet égard que cette opération a été suivie par la menace d’un membre du Conseil de la Choura du groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, Abu Yahya, lors d’un clip vidéo publié par le groupe le 28 juillet 2022, d’intensifier ses opérations terroristes et assiéger la capitale, Bamako, dans les prochains jours.

• Empêcher le déplacement de la population de l’Azawad et l’appropriation de ses richesses

La région de l’Azawad, située dans le triangle frontalier entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, est d’une grande valeur, que ce soit en tant que vaste territoire propice aux activités pastorales, ou comme une zone riche en ressources animales tel que le bétail et en ressources énergétiques tels que le pétrole et le gaz naturel, ce qui en a fait l’objet d’ambitions à la fois de certaines tribus voisines ou d’organisations terroristes et groupes armées au Mali.

De leur côté, les chefs des tribus “peuls” qui manquent de terres nécessaires pour s’occuper de leur bétail, dans le cadre de leurs efforts pour évacuer et s’emparer des terres de l’Azawad, d’autant plus que les Bédouins ne veulent pas vendre leurs terres, ont communiqué avec les leaders de Daech dans la région et ont signalé que les Touaregs et ceux qui les accompagnaient refusaient d’adhérer à l’organisation.

Une fatwa a conduit à une escalade sans précédent du rythme des activités terroristes, des meurtres et des déplacements d’individus causés par Daech contre les camps bédouins et touaregs, en particulier à la lumière de ses ambitions croissantes de s’emparer des richesses de la région après le déplacement de ses habitants. Par exemple, l’Etat islamique dans le Sahara (Daech) a récemment accru son ciblage des camps bédouins et touaregs dans la région de Ménaka, dont la population majoritaire appartient à l’Azawad et aux Touaregs arabes, et se caractérise par sa richesse en matières énergétiques, telles que le pétrole et le gaz.


Toute une population Azawad qui aspire à l’indépendance

• Exploitation de la région de l’Azawad dans des opérations de contrebande

Eléments armés du MNLA

Par constatation, la frontière Niger-Mali est l’un des points de contrebande les plus importants et les plus dangereux exploités par les organisations armées et les groupes de trafiquants et contrebandiers, pour faire passer clandestinement des armes, des personnes, du carburant et de la drogue au Mali, en particulier à partir de La Libye, le Tchad et le Nigéria, compte tenu de son extension et de l’absence de contrôle sécuritaire strict, et ce en raison du manque de coordination sécuritaire entre les pays de la région, notamment après le retrait du Mali du groupe du G5 Sahel. Le 28 juillet 2022, des mouvements armés de la ville d’Azawag dans la région de l’Azawad, à la frontière du désert aride entre le Niger, le Mali et l’Algérie, ont déjoué une opération de contrebande de carburant vers les positions de l’organisation Daech au Mali et ont confisqué des véhicules à quatre roues motrices transportant de l’essence en provenance du Tchad via le Niger.

• Unification des capacités et des efforts

On s’attend à ce que la question de la relance de l’accord de paix entre le gouvernement malien et le mouvement de l’Azawad, en intégrant les combattants de l’Azawad dans l’armée malienne, soit une étape importante vers le renforcement des capacités de l’armée malienne, et l’étendue de son contrôle sur les différentes régions du pays, à travers la coordination et l’unification des efforts et des capacités entre les deux parties face aux défis auxquels elle est confrontée. Le Mali, qui est lié à l’escalade des activités terroristes et des opérations de contrebande, d’autant plus que certains éléments des mouvements armés de l’Azawad coopèrent soit avec des organisations terroristes, soit dans le domaine des activités de contrebande aux frontières dans le but de récolter quelques gains financiers, ce qui accroît l’insécurité et la stabilité de la région, et peut ainsi transformer le processus de leur emploi et de leur intégration dans l’armée nationale et leur fournir des salaires gratifiants, sans leur implication dans de telles activités terroristes et criminelles.

• La tension dans les relations régionales

Par ailleurs, les menaces sécuritaires et les mauvaises conditions humanitaires au Mali coïncident avec d’autres défis économiques qui entravent la stabilité du pays, et donc le succès de ses efforts vers la voie démocratique, qui ont résulté des tensions qui ont entaché la relation entre l’autorité de transition du pays et l’Organisation économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) depuis janvier 2022, en raison de l’annonce du conseil militaire au pouvoir du pays de reporter la date des élections qui devaient se tenir en février 2022.

Cela a poussé la CEDEAO et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) à imposer des sanctions économiques et financières au Mali, l’isolant du marché financier régional et de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), et c, en plus de la fermeture des frontières avec elle et de stopper les transactions financières, ce qui a conduit au défaut de paiement de plus de 300 millions de dollars de ses dettes.

Néanmoins, malgré la levée des sanctions économiques et financières contre le Mali par la CEDEAO en juillet 2022, avec le respect d’une période de transition de 24 mois vers la démocratie, les sanctions individuelles visant les membres du conseil militaire au pouvoir et du Conseil de transition ont été maintenues, avec la suspension de l’adhésion du Mali au conseil économique, jusqu’à ce que la situation se stabilise dans le pays et assurer le retour à l’ordre constitutionnel.

En conclusion, malgré la multiplicité des motifs et des acquis pour la réussite de la relance de l’accord de paix d’Alger entre le gouvernement malien et les mouvements armés de l’Azawad, qui a été signé pour y travailler lors de la prochaine étape, la possibilité de mettre en œuvre l’accord, ou l’étendue de son succès dans l’arrêt de l’escalade de la crise entre les deux parties, dépend en grande partie de ces deux facteurs principaux :

1- Le premier est la position du gouvernement malien vis-à-vis des revendications des mouvements armés dans la région de l’Azawad, ainsi que la mesure dans laquelle ces mouvements adhèrent à leurs revendications, dont la plupart ont jusqu’à présent tourné autour de l’obtention d’une part des postes de direction dans l’armée, la police, la sécurité présidentielle et d’autres centres vitaux et sensibles de l’État, comme condition préalable et preuve de la crédibilité du gouvernement et de sa reconnaissance des droits de l’Azawad dans le nord.

2- Les assisses du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) se sont achevées, le lundi 29 août 2022, à Kidal, sur un ton de dénonciation de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. Intervenu dans un contexte plutôt encourageant, avec le déclenchement du processus de l’intégration 26.000 combattants dans les rangs des forces maliennes, le congrès a néanmoins jugé insuffisantes les avancées dans la mise en œuvre ledit Accord.


Bilal Ag Sharif SG du MNLA

Ceci dit, les troupes de Bilal AG Acherif, le secrétaire général du MNLA reconduit à ce poste dans la foulée, laissent entendre par ailleurs que l’Accord pour la paix est frappé de caducité après sept années d’immobilisme au point d’en perdre en crédibilité auprès des populations. «L’évolution des défis et la volatilité du contexte laissent penser que l’Accord en l’état ne puisse répondre aux exigences du moment», lit-on dans la résolution finale des assises qui appelle à prendre acte de ce besoin tacitement exprimé d’une mise à jour de l’Accord.

S’agirait-il donc d’une menace de ne plus reconnaître le contenu du document ?

C’est un dossier sur lequel nous reviendrons encore très bientôt…

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