James Barnor, un géant africain de la photo

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James Barnor, un géant africain de la photo
James Barnor, un géant africain de la photo

Africa-Press – Niger. La première grande rétrospective en France de James Barnor, photographe ghanéen, se découvre dans la grande tour Luma, de l’architecte Frank Gehry, à l’occasion des Rencontres de la photographie à Arles. Plus de 40 ans d’images, piochées dans un fonds de 30 000 négatifs. Pour ce Portfolio, « Stories – 1947-1987 », James Barnor en dialoguant avec Matthieu Humery, commissaire de l’exposition, a choisi une centaine de photos parmi ses images préférées, dont quelques-unes qu’il a redécouvertes. Au-delà de cette exposition, les photographies et les documents associés entreront dans la collection de la Luma Foundation créée par Maja Hoffman, pour rejoindre un vaste projet multidisciplinaire intitulé les « Archives vivantes ». Si les deux tiers des images sont présentées sur les murs de l’exposition, pour découvrir l’ensemble des 100 photos choisies, il faut se plonger dans le superbe livre – portfolio édité à cette occasion*.

« Des photographes de studio, il y en a eu en Afrique, mais James Barnor a réussi à conserver l’ensemble de ses archives, ce qui est rare, et de manière assez bien organisée en plus », observe Matthieu Humery. « Je me suis rendu compte que pour James, une bonne photo est une photo pour laquelle il avait quelque chose à raconter. Évidemment, il a réalisé de belles œuvres, bien composées… Mais il me disait, non je préfère celle-ci, j’ai plus de choses à raconter. Le titre, Portfolio Stories, est devenu évident. On comprend bien qu’à chaque photo, une histoire se décline », poursuit-il.

Portraitiste et photojournaliste

Conçue sur un déroulé chronologique, l’exposition présente en parallèle les photographies de James Barnor, des tirages originaux, des documents d’époque, des revues et des magazines pour lesquels il a collaboré.

À 93 ans, James Barnor a traversé l’histoire et partagé sa vie entre deux pays, le Ghana et l’Angleterre, deux capitales, Accra et Londres, à une période où cela n’était pas courant. Le Ghana s’appelait alors la Côte de l’Or. Il a connu la période coloniale, l’indépendance, puis les années joyeuses du Swinging London, ces années soixante où Londres est devenue l’épicentre de la scène musicale et de la mode, avant de revenir à Accra au début des années 1970.

Contemporain des deux grands photographes maliens Malick Sidibé et Seydou Keïta, comme eux, James Barnor a commencé par le studio photo, en apprentissage chez un cousin, avant d’ouvrir en 1953 son propre studio Ever Young, dans le quartier de Jamestown à Accra. Comme son studio est petit, ses prises de vues se déroulent aussi souvent en extérieur. Mariages, naissances, baptêmes, passeports, réussites à un examen, tous ces moments de vie s’immortalisent devant l’objectif. James Barnor multiplie les expériences. Il devient le premier photojournaliste ghanéen.

Lucky James « la chance », comme il se surnomme, croise la route du président du groupe de presse londonien Daily Mirror venu lancer le Daily Graphic au Ghana au début des années 1950. Ce dernier cherche un photographe. James Barnor est là. Il collabore aussi avec le célèbre magazine sud-africain et anti-apartheid Drum, qui défend la culture urbaine et noire. Avec Jim Bailey, fondateur de Drum, il tisse une amitié profonde. À Accra, il couvre tout, la politique, le sport, s’intéresse à la musique. Le jour de l’indépendance, le 6 mars 1957, James Barnor est là pour fixer sur la pellicule le nouveau Premier ministre et futur président de la République du Ghana, Kwame Nkrumah (1909-1972), considéré comme le père du panafricanisme. « Il réussit aussi cette sublime photo de la duchesse de Kent, avec son éventail. La composition est vraiment intéressante, en contre-plongée, en premier plan le mari de la duchesse qui porte ce parapluie et elle dont on ne voit pas la figure, masquée par l’éventail. Cette photo marque le retrait des Britanniques sur le sol ghanéen. Le fait de ne pas voir son visage rend une autre dimension à l’image et la rend plus complexe », note Matthieu Humery.

Swinging London

En 1959, il prend le bateau pour l’Angleterre pour une folle décennie. James Barnor poursuit alors un but, apprendre et se perfectionner. En parallèle de son travail en usine, il suit des cours du soir au London College of Printing et découvre les techniques de développement couleur au sein du laboratoire photographique Colour Processing Laboratory (CPL), devient assistant technique au Medway College of Art, à Rochester, tout en continuant à collaborer au magazine Drum. Londres est un terrain de jeux formidable. Il met en scène avec humour le Ghanéen Mike Eghan, célèbre animateur de radio de la BBC à Piccadilly Circus, ou Erlin Ibreck, l’une de ses modèles préférées, posant à Trafalgar Square, entourée de pigeons ou, sur la même place, Marie Hallowi, en tête à tête avec le lion. Il prend aussi Mohamed Ali, de dos. Une photo qu’il affectionne particulièrement. On ne voit que le dos du boxeur, mais tout de suite on sait que c’est lui. Il ne faut pas l’oublier, à cette époque, aucun photographe noir ne pouvait photographier des modèles blanches. James Barnor documente aussi la vie de la diaspora africaine à travers des photos plus intimes, de soirées ou des dimanches à la campagne, avec ses amis.

Technicien

Techniquement, James Barnor sait tout faire. « Il développait ses photos lui-même. De la séance au tirage, à la retouche, il réalisait toutes les étapes. Cette constance dans son activité qui s’est déployée sur plusieurs décennies lui donne cette dimension d’artisan », insiste Matthieu Humery. Quand il rentre au Ghana en 1970, il est l’un des seuls à maîtriser la couleur. Il revient d’ailleurs comme représentant commercial des produits Agfa. Une des photos emblématiques de cette période est celle d’une jeune femme posant avec des bidons de différentes couleurs. En fait, c’était une photo test utilisée comme repère pour le développement couleur au début des années 1970.

Faute de véritables moyens accordés pour développer cette activité commerciale, il abandonne et ouvre un studio, couleurs, X 23 à Accra, répond à des commandes publicitaires, notamment pour le calendrier Agip, mais aussi pour illustrer les pochettes des groupes de musique. Sous son objectif, les femmes sont élégantes, modernes, accoudées à une voiture. Dans les années 1980, il se partage entre les photos institutionnelles pour l’ambassade américaine, puis le gouvernement de Jerry Rawlings, se consacre à sa passion pour la musique et part en tant que manager du groupe Free Hi (« Tout va bien », en langue ga), en tournée en Italie, et son studio qui marche moins bien. Il le ferme en 1992 et repart dans des conditions précaires en 1994 en Angleterre.

James Barnor a obtenu une reconnaissance mondiale tardive. À l’aube de sa vie, les grandes expositions s’enchaînent. À Arles, à 93 ans, à l’occasion d’une grande soirée où il était l’invité d’honneur, il a raconté, comme il aime le faire, des histoires, celles de ses photos qui témoignent d’une vie et documentent une époque.

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