Blocus, expulsions, visas : la difficile diplomatie française dans les pays de l’AES

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Blocus, expulsions, visas : la difficile diplomatie française dans les pays de l’AES
Blocus, expulsions, visas : la difficile diplomatie française dans les pays de l’AES

Fatoumata Diallo

Africa-Press – Niger. Alors que les relations entre Paris et les pays de l’Alliance des États du Sahel sont au plus bas depuis l’arrivée des juntes au pouvoir, les ambassades françaises à Niamey, Bamako et Ouagadougou fonctionnent au ralenti dans un climat hostile.

L’image est inédite. Fin juillet 2023, à peine le coup d’État militaire qui a renversé le président Mohamed Bazoum consommé, partisans du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP, dirigé par le général Abdourahmane Tiani) et activistes de la société civile se sont réunis devant l’ambassade de France pour protester contre la présence française au Niger.

Tentatives d’intrusion dans le bâtiment, jets de pierres: les manifestants, qui brandissent des pancartes où l’on peut lire « Dégage la France » et « La France tue au Niger » ont été dispersés par les grenades lacrymogènes des forces de sécurité présentes pour assurer la protection du corps diplomatique français et surtout de l’ambassadeur français, Sylvain Itté, bloqué durant plusieurs jours dans l’enceinte du bâtiment.

Démarches via l’Espagne ou le Togo

Si le pire a pu être évité, l’arrivée de Tiani au pouvoir a rompu les relations diplomatiques entre Niamey et Paris. Les quelque 600 ressortissants Français qui vivaient au Niger au moment du coup d’État ont pour la plupart quitté le pays, profitant des avions mis à disposition par les autorités françaises. Le 2 janvier dernier, la France a officiellement fermé son ambassade au Niger.

« Depuis cinq mois, notre ambassade subit de graves entraves rendant impossible l’exercice de ses missions: blocus autour de l’ambassade, restrictions des déplacements pour les agents et refoulement de tous les personnels diplomatiques qui devaient rejoindre le Niger, en violation de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques », avait alors fait savoir le Quai d’Orsay dans un communiqué.

Neuf mois après, l’ambassade de France au Niger n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les services consulaires – enregistrement d’état civil, légalisation de documents, protection consulaire en cas d’arrestation – sont aux arrêts. Les ressortissants nigériens et étrangers désireux de faire une demande de visa Schengen doivent désormais se tourner vers le service consulaire espagnol.

Celui-ci, selon nos informations, traite les dossiers « au cas par cas » à cause des tensions diplomatiques. Cela s’accompagne par la mise en place d’une politique de quotas pour la délivrance des visas tourisme et affaires. Quant aux résidents français encore présents au Niger, comme les employés du géant de l’uranium Orano, ils sont obligés de passer par la permanence en ligne pour entamer des démarches administratives. Certains sont renvoyés vers les ambassades de France voisines, notamment celle de Lomé, au Togo.

« Le Niger a été le plus radical »

Du côté de la rue de Longchamp, dans le 16e arrondissement de Paris, l’ambassadrice nigérienne officiellement reconnue par la France, Aïchatou Boulama Kané – nommée par Mohamed Bazoum et qui s’est opposée à la junte au lendemain du coup d’État -, a désormais perdu toutes ses prérogatives. Et, dans ce contexte de rupture diplomatique entre les deux pays, le général Abdourahamane Tiani n’a procédé à aucune nouvelle nomination d’ambassadeur à Paris.

« Le cas nigérien a surpris tout le monde, explique une source diplomatique européenne. Au sein des trois pays sahéliens dirigés par des juntes, le Niger a été le plus radical dans ses prises de décisions. Sur le plan diplomatique, la rupture est aujourd’hui totale entre Niamey et Paris. En plus de la fermeture de l’ambassade de France, l’école française a fermée. De plus, la France, qui gérait l’Institut français avec le Niger, s’est retirée de la cogestion de cet organisme qui était pourtant le symbole du soft power culturel français dans le pays. »

Les crispations diplomatiques avec Paris ne concernent cependant pas que le Niger. L’image de la France est également entachée au Burkina Faso et au Mali, en raison entre autres des positions du président français, Emmanuel Macron, lequel a toujours affiché une posture ferme à l’endroit des juntes des trois pays de l’Alliance d’États du Sahel. Depuis septembre 2022 et l’arrivée du capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir au Burkina Faso, les relations entre Paris et Ouagadougou se sont ainsi fortement dégradées.

Si, officiellement, les services administratifs sont maintenus – délivrance de visa au cas par cas –, la chancellerie est gérée par le premier conseiller Philippe Duporge, et ce depuis l’expulsion de l’ambassadeur Luc Hallade en décembre 2022. Et Paris doit composer avec des postes vides. Les deux conseillers politiques qui avaient été déclarés « persona non grata » pour « activités subversives » puis expulsés du pays par le pouvoir burkinabè en avril 2024 n’ont selon nos informations pas été remplacés.

« La méthode de l’étouffement »

« Certains diplomates et agents français se heurtent au refus des autorités burkinabè à leur délivrer des visas, nous confie une source au fait du dossier. Faute d’autorisation d’entrée, le nouveau proviseur de l’école française est bloqué en France et va certainement rater la rentrée scolaire. Il en va de même pour certains gendarmes, qui devaient se rendre au Burkina pour assurer la sécurité du chargé d’affaires. »

L’accès au bâtiment de l’ambassade de France à Ouagadougou devient également de plus en plus difficile pour le personnel de l’ambassade, qui doit systématiquement passer le cordon sécuritaire des forces de sécurité burkinabè. La pression est grandissante. Début juin déjà, la Coordination nationale des associations de veille citoyenne (CNAVC), un collectif de soutien à la junte d’Ibrahim Traoré, a posé un ultimatum à la France en la sommant de déménager son ambassade.

En cause, la proximité géographique de la chancellerie française avec le Palais de Kosyam, où le capitaine Traoré a pris ses quartiers. Celle-ci constituerait une menace pour la sécurité des autorités de transition, a estimé la Coordination. « Les autorités burkinabè utilisent la méthode de l’étouffement, comme le Niger, nous confie notre source précédemment citée. Quand il n’y aura plus d’agents de sécurité pour assurer la sécurité du personnel de l’ambassade, les Français seront contraints de partir. »

Si l’ambassade française à Bamako tourne aussi au ralenti, le nouveau chargé d’affaires, Marc Didio, arrivé trois mois après l’expulsion en janvier 2022 de l’ambassadeur Joël Meyer, œuvre activement pour un réchauffement des relations entre la France et le Mali. Alors que la montée en puissance de la Russie sur l’ancien « pré carré » de la France en Afrique inquiète de plus en plus les pays européens, ceux-ci semblent ainsi vouloir ouvrir un canal de dialogue avec les juntes. Reste à savoir si celles-ci se montreront coopératives.

Source: JeuneAfrique

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