Africa-Press – Niger. Au pouvoir à Niamey depuis le 26 juillet dernier et le renversement de Mohamed Bazoum, Abdourahamane Tiani tente d’asseoir son statut de chef d’État et de résister aux pressions extérieures. Une position fragile, malgré des soutiens de poids.
Il a surpris tout le monde, ou presque. Le 26 juillet dernier, Abdourahamane Tiani sortait de son relatif anonymat pour renverser le président nigérien, Mohamed Bazoum. Autoproclamé chef de l’État, il tente, depuis, de débuter une transition que refuse d’avaliser la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union africaine (UA) et les principaux partenaires internationaux.
Menacé d’une intervention militaire par la communauté ouest-africaine, l’ancien patron de la garde présidentielle compte ses alliés internationaux sur les doigts d’une main – le Mali d’Assimi Goïta, le Burkina Faso d’Ibrahim Traoré et, dans une moindre mesure, la Guinée de Mamadi Doumbouya, pour ne pas les citer – et s’appuie sur un populisme anti-français pour consolider une position fragile.
Il est aujourd’hui à la tête d’un quarteron d’officiers qui tient plus de l’alliance de circonstance que de la convergence de vues. Proche de l’ancien président Mahamadou Issoufou – dont l’ombre plane clairement au-dessus du coup d’État du 26 juillet –, il a autour de lui des généraux réputés hostiles au Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, fondé par Issoufou et Bazoum). Cet attelage est-il viable ? La Cedeao, qui brandit la menace d’une intervention militaire pour libérer Mohamed Bazoum, parie sur la négative.
Abdourahamane Tiani, lui, tente d’imposer sa transition et son gouvernement, en misant sur le renoncement de ses adversaires et sur une réplique des scénarios malien et burkinabè, dans lesquels les putschistes se sont finalement installés durablement au pouvoir.
Moins de deux semaines après avoir pris le pouvoir, les putschistes du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) ont choisi un Premier ministre civil : Ali Mahamane Lamine Zeine. Celui-ci a été, par le passé, directeur de cabinet et ministre des Finances du président Mamadou Tandja, renversé en 2010 par Salou Djibo, un an avant l’élection et l’arrivée au pouvoir de Mahamadou Issoufou. Ali Mahamane Lamine Zeine, 58 ans, n’en est donc pas à sa première expérience gouvernementale. En poste à la Banque africaine de développement (BAD) au Tchad jusqu’au coup d’État, le Premier ministre dispose de bonnes connexions à N’Djamena – auprès de la présidence de Mahamat Idriss Déby Itno.
Il est aujourd’hui chargé d’être le visage civil d’une transition refusée par la Cedeao, l’UA et l’ONU. Il a jusqu’ici échoué à se faire accepter : alors qu’il voulait prendre la parole à la prochaine Assemblée générale des Nations unies, la tribune de New York lui a été tout bonnement refusée par le secrétaire général de l’organisation, le Portugais António Guterres. Surtout, son gouvernement a actuellement les mains liées par les sanctions économiques de la Cedeao, qui ont pour effet de vider le budget du Niger.
Au sein du gouvernement Zeine, un homme est chargé de faire la liaison avec Abdourahamane Tiani : Soumana Boubacar. Ministre directeur de cabinet du président du CNSP, cet enseignant-chercheur occupait déjà cette fonction auprès du général Salou Djibo, le tombeur de Mamadou Tandja. Il a donc l’habitude de faire le lien entre civils et militaires.
Bakary Yaou Sangaré a quant à lui hérité de la difficile mission de ministre des Affaires étrangères, dans un gouvernement qui n’est pour le moment reconnu par aucune organisation régionale ou internationale. Ce diplomate était jusqu’ici en fonction à New York, où il représentait son pays auprès des Nations unies. Il a pour le moment échoué à y plaider la cause des putschistes, qui se sont vu refuser la tribune de l’ONU et la reconnaissance internationale.
Le ministère de la Justice est quant à lui occupé par un proche d’Abdourahamane Tiani, Aliou Daouda. Magistrat, il a présidé le tribunal militaire de Niamey. Ironie du sort, ce poste l’a conduit à faire condamner des soldats et officiers, notamment pour des tentatives de putsch contre Mahamadou Issoufou. Sa présence au gouvernement fait donc grincer des dents jusque dans l’armée.
Lors du renversement de Mohamed Bazoum, un nom est revenu sans cesse avec celui du général Abdourahamane Tiani : celui du général Salifou Mody, né en 1962 à Zinder. Rallié aux mutins au lendemain du coup d’État, après avoir visiblement hésité, il est aujourd’hui considéré comme le numéro deux de la junte et s’est vu confier le portefeuille de la Défense. Il a été le chef d’état-major des armées de Mahamadou Issoufou puis de Mohamed Bazoum, qui l’a relevé de ses fonctions en avril 2023 avant de le nommer ambassadeur aux Émirats arabes unis. Les proches du président renversé l’assurent, « le limogeage de Mody n’avait rien d’une sanction mais procédait d’un remplacement naturel après plusieurs années à occuper cette prestigieuse fonction ».
Il a été formé au Cameroun, en Côte d’Ivoire, à Madagascar ou encore en France et a été Haut commandant de la garde républicaine, devenue la garde nationale. Après le coup d’état de Salou Djibo, Mody avait participé au Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD). Selon nos informations, Salifou Mody est aujourd’hui le principal artisan du soutien de l’armée – il y est très respecté – au CNSP et à Abdourahamane Tiani, dont les liens avec Mahamadou Issoufou et le PNDS sont très critiqués et mal vus par une partie de l’establishment militaire. Il est aussi celui qui a négocié le soutien matériel offert par le Mali au Niger, se rendant notamment à Bamako pour y rencontrer Assimi Goïta dès le début du mois d’août.
Troisième figure du CNSP, le général Mohamed Toumba a été fait ministre d’État chargé de l’Intérieur et de la Sécurité publique. Avant le putsch, il était le chef d’état-major adjoint de l’armée de terre, nommé par Mahamadou Issoufou en avril 2021. À en croire certains proches de Mohamed Bazoum, il aurait été parmi les initiateurs du putsch, avec les généraux Tiani et Moussa Salaou Barmou, ex-patron des forces spéciales et aujourd’hui chef d’état-major des armées. Le 6 août, alors que les putschistes rassemblaient leurs soutiens au stade Seyni-Kountché, Toumba, au micro, a mis en garde la Cedeao contre toute forme d’intervention militaire. Au cours de sa carrière, il a commandé l’opération Maï Dounama, dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Il a aussi été le commandant de l’opération Almahaou, appuyée par les forces françaises.
Autre gradé au gouvernement : le colonel-major Amadou Abdramane, devenu le visage de la junte et en charge de lire les communiqués du CNSP à la télévision nationale. Cet officier issu des rangs de l’armée de l’air a hérité du ministère de la Jeunesse et des Sports. Le colonel Sahabi Sani, issu du génie militaire, est quant à lui secrétaire permanent du CNSP, avec rang de ministre, tandis que le colonel Salissou Mahaman Salissou est ministre des Transports et de l’Équipement.
Beaucoup le décrivent comme étant « l’homme des Américains ». Le général Moussa Salaou Barmou, qui était jusqu’au coup d’État à la tête des forces spéciales, est donc le nouveau chef d’état-major des armées. Lors de sa tentative de médiation, c’est avec lui et non avec le général Tiani que s’est entretenue la sous-secrétaire d’État américaine Victoria Nuland. C’est encore lui qui a joué les émissaires à Conakry, le 12 août. Formé aux États-Unis auprès des forces spéciales américaines, cet ancien ingénieur des Eaux et forêts a fait ses classes à l’étranger. Il a également participé à une opération au Mali. Au Niger, il a, comme Mohamed Toumba, commandé les forces de l’opération Maï Dounama. Lors du coup d’État, le ralliement de ses hommes des forces spéciales aux éléments putschistes de la garde présidentielle a beaucoup compté.
Si Salifou Mody conserve une grande importance au sein de l’armée nigérienne, c’est aujourd’hui Moussa Salaou Barmou qui est chargé de maintenir l’unité des troupes autour du général Tiani – diversement apprécié selon les corps et dont la proximité avec Mahamadou Issoufou est parfois jugée suspecte – et face à la menace d’une intervention militaire ouest-africaine. Il doit également élaborer la stratégie de défense, en lien avec Salifou Mody et Ibro Amadou Bacharou. Ce dernier est en effet le bras droit du général Tiani. Ancien numéro deux de la garde présidentielle, né dans la région de Tahoua, ce colonel a été nommé chef d’état-major particulier du président du CNSP. Surtout, il est un des visages du putsch : dans la première apparition télévisée des mutins, il se tient au centre du groupe et représente le général Tiani, qui n’est pas présent.
C’est encore lui qui représente le CNSP le 26 août au Stade Seyni-Kountché. Ce diplômé en sociologie de l’université de Niamey y a alors prononcé un discours très hostile à la présence militaire française. Il est considéré comme l’un des éléments les plus radicaux du CNSP, tout acquis à Abdourahamane Tiani, et l’un des fers de lance de la mobilisation de la population derrière les putschistes. Le patron de la junte a également procédé à une série de nominations pour verrouiller l’armée. Le colonel-major Maman Sani Kiaou, ancien patron des forces spéciales de l’opération Almahaou et ex-commandant au sein de la Force multinationale mixte (déployée dans le cadre de la lutte contre Boko Haram), a été nommé chef d’état-major de l’armée de terre. Formé au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Chine et en France, il était au commandement de la circonscription militaire de Niamey jusqu’au coup d’État.
Le colonel Ahmed Sidian, jusqu’alors Haut commandant en second de la garde nationale, a quant à lui pris la tête de cette dernière. Il y remplace le colonel-major Midou Guirey, mis aux arrêts par la junte et ayant refusé de se ranger derrière les putschistes le 26 juillet. Ahmed Sidian est aujourd’hui chargé par le général Tiani de s’assurer que la garde nationale – que Mohamed Bazoum avait entrepris de développer – ne bascule pas du côté des opposants au nouveau régime. Le colonel-major Karimou Hima Abdoulaye a lui aussi gravi un échelon après s’être affiché aux côtés des putschistes le 26 juillet. Haut commandant en second de la gendarmerie depuis janvier 2018, il a pris la tête de cette dernière. Karimou Hima Abdoulaye a côtoyé le général Tiani sur les bancs de l’école militaire de Thiès, au Sénégal.
Comme lui, Assahaba Ebankawel, nouveau directeur de la police nationale, et Sidi Mohamed, commandant des sapeurs-pompiers, sont chargés de s’assurer du soutien des hommes en uniforme à la junte. Enfin, le lieutenant-colonel Habibou Assoumane a été chargé de reprendre le commandement de la garde présidentielle, dirigée jusqu’ici par Tiani lui-même et dont l’ancien numéro deux, Ibro Amadou Bacharou, est désormais chef d’état-major particulier du patron du CNSP. Celui-ci était, avant le putsch, directeur de l’École nationale des sous-officiers (ENSOA).
Source: JeuneAfrique
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