Africa-Press – Niger. L’artisanat occupe une place centrale dans la tradition, la culture, la vie de tous les jours des communautés nigériennes. Véritable source de revenus pour de nombreux ménages, cette activité participe non seulement au développement social mais également économique du pays. Selon le document portant sur le plan de développement économique et social du Niger, le secteur de l’artisanat qui occupe environ un million de personnes contribue au PIB à hauteur de 9,4% en 2022. Toutefois, bien qu’important, ce pilier économique est souvent sous-estimé. Il fait face à plusieurs défis, notamment la concurrence des produits industriels, ce qui, selon beaucoup d’artisans et de spécialistes, freine le développement du secteur. Sur le terrain, le constat est en effet préoccupant.
Trouvé dans son atelier situé sur une ruelle qui fait face à l’hôtel de ville de Niamey, Abdoul Aziz Malam Issoufou, fabricant de tapis et de poufs en cuir, parle avec amertume des conséquences de la non-consommation des produits artisanaux locaux par les nigériens au détriment de ceux importés. Pourtant, les poufs simples, fabriqués localement, sont vendus à 15.000 FCFA la paire, contre environ 60.000 FCFA l’unité, quand il s’agit de celui importé. « C’est seulement au Niger que les gens ne sont pas trop emballés par les produits issus de l’artisanat local qui pourtant sont uniques et de haute qualité. Dans d’autres pays, les populations consomment plus ce qui est fabriqué chez elles. Nous fabriquons des articles authentiques et originaux. Aujourd’hui, c’est par coup de chance que nous arrivons à écouler un à deux articles par jour », regrette Abdoul Aziz. Et pourtant, a-t-il ajouté, « les produits issus de l’artisanat local, contrairement à ce que pensent certains Nigériens, sont très résistants. Le cuir, même s’il s’abîme, avec quelques coups de pinceau, il retrouve son éclat et sa beauté. Ce qu’on ne peut pas dire de certains articles importés ». Dans l’atelier d’Abdoul Aziz, la présence de plusieurs articles accrochés ça et là témoigne de l’absence de la clientèle.
Au musée national Boubou Hama, Abdoulaye Idrissa, un autre artisan, regrette aussi cette situation qui, a-t-il dit, ne profite ni à l’artisan, ni aux Nigériens, et encore moins à l’État. « L’artisanat est une activité qui participe à la préservation du patrimoine culturel et à la valorisation de nos ressources locales. Il crée aussi des emplois. C’est un secteur qui apporte plus à l’État que les autres. Mais notre grand problème, c’est la non-consommation locale. Nos produits ne sont prisés que par les étrangers ; peu de Nigériens accordent de l’importance à notre travail », a-t-il déploré. Abdoulaye exerce depuis plus de vingt ans cette activité. Il fabrique des sacs en cuir, des portefeuilles, des cartables et autres accessoires de travail au musée national Boubou Hama.
Abdourahamane exerce, quant à lui, dans la bijouterie. Il est fabricant de bijoux et de trophées au musée national. La plupart des articles qu’il vend sont des commandes de gens qui veulent offrir des cadeaux à leurs amis. « Tout ce que nous fabriquons fait rentrer de l’argent dans le pays, et c’est ce qui nous différencie des commerçants. Alors, si nous gagnons de l’argent, c’est tout à fait normal que cela participe à l’essor économique du pays, parce que même la matière première que nous utilisons, nous l’achetons sur place, nous payons également des taxes. Nos produits artisanaux contribuent donc au développement de l’économie locale car ils génèrent des revenus et des opportunités de croissance. Aussi, cela réduit considérablement le chômage des jeunes. » Mais, les bijoutiers sont confrontés aussi à la mévente de leurs produits.. « Nos produits sont beaucoup aimés par les étrangers, contrairement aux Nigériens qui n’y accordent pas trop d’importance. C’est seulement ceux qui veulent offrir des cadeaux qui viennent vers nous, alors que, dans d’autres pays, ils achètent beaucoup plus leurs produits locaux que ceux importés. Et, c’est malheureusement cela notre plus grande difficulté », a-t-il affirmé.
Abdourahamane confectionne des bijoux en argent et en or. Outre les bijoux, il confectionne aussi des trophées, des médailles et des cuillères artisanales. Métier qu’il exerce depuis 1980. Grâce à cette activité, il a pu faire beaucoup de réalisations. « J’ai aussi beaucoup voyagé pour aller partager, à des foires internationales, mon savoir-faire, montré au monde entier les merveilles de l’artisanat nigérien », a-t-il dit avec fierté.
Cependant, outre cette insuffisance de la consommation locale, Abdourahamane a révélé un autre défi qui entrave le développement de l’artisanat au Niger, celui de la disponibilité de la matière première.
En effet, a-t-il expliqué, pendant la saison pluvieuse, la matière première se fait rare. « Nous sommes obligés d’importer depuis le Nigeria. Même maintenant, nous avons des difficultés pour avoir la pierre d’argent avec laquelle nous fabriquons beaucoup de nos articles », a-t-il confié. À la question de savoir ce qui doit être fait pour que l’artisanat participe effectivement au développement économique et social du pays, ces artisans ont insisté sur la promotion du «consommons local». Selon eux, l’État doit davantage encourager les Nigériens à utiliser les produits issus de l’artisanat local. Les artisans apprécient les initiatives prises par les autorités actuelles pour promouvoir l’artisanat nigérien à l’échelle internationale.
Activité à part entière de l’artisanat, la poterie n’est pas non plus épargnée par les difficultés auxquelles fait face l’ensemble du secteur. Les conditions pénibles d’écoulement des produits, l’accès difficile à la matière première sont autant d’obstacles qui freinent le dynamisme de cette activité. Zara Younsa, fabricante et vendeuse de pots, de canaris et marmites en terre cuite, témoigne des difficultés qu’elle rencontre pour écouler sa production. « Cela fait plus d’une trentaine d’années que je mène cette activité. Je fabrique, avec l’aide de mes sœurs, les pots dans notre village à Boubon pour ensuite venir les vendre ici (à la devanture du musée national Boubou Hama de Niamey(NDLR). Dans les années antérieures, la poterie était une activité florissante qui générait beaucoup de revenus. Aujourd’hui, certes, elle nous permet de ne pas dormir le ventre vide, mais elle ne nous enrichit pas non plus », dit-elle avec regret et une mine qui suscite la compassion. La poterie était jadis très prisée car très utilisée pour l’ornement des maisons. Outre cet aspect, elle permettait à la femme rurale d’acquérir une certaine indépendance financière et de subvenir aux besoins de leurs familles. Dame Zara Younsa nourrit l’espoir qu’un jour, le Nigérien aura à nouveau un regain d’intérêt pour la poterie pour que cela puisse profiter non seulement à la femme rurale mais aussi à l’Etat.
Rahila Tagou (ONEP)
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