Entrepreneuriat et Charges Fiscales au Niger

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Entrepreneuriat et Charges Fiscales au Niger
Entrepreneuriat et Charges Fiscales au Niger

Africa-Press – Niger. Au Niger, de nombreuses personnes, surtout jeunes, se lancent de plus en plus dans l’aventure entrepreneuriale, avec la ferme volonté de réussir et aussi contribuer au développement économique du pays. Malheureusement, pour beaucoup, le rêve tourne rapidement à la déception ou au cauchemar. La cause, expliquent ces personnes, une fiscalité étouffante, un manque d’accompagnement, de sensibilisation ou simplement une mauvaise compréhension du système. Résultat, ce chemin parsemé d’embûches mène souvent au découragement.

Le tissu entrepreneurial national fait face à une pression fiscale écrasante. Une réalité qui pousse chaque année beaucoup de PME à fermer leurs portes, dans l’indifférence générale. Des jeunes femmes et hommes, pourtant motivés et déterminés à prendre leur destin en main, se voient couper les ailes avant même d’avoir pris leur envol. Les PME qui résistent encore continuent de lutter, espérant une réforme salutaire. Les innovations dans les secteurs industriel et entrepreneurial se multiplient, mais sans un cadre fiscal adapté, elles risquent de rester lettre morte.

Assise dans son bureau, stylo en main, Mme Hadiza Moussa fait ses derniers calculs. Trois ans après avoir lancé son entreprise, elle est contrainte de fermer. « La fiscalité est tout simplement insupportable », dit-elle. Amadou Issa, gérant d’une petite entreprise de transformation agroalimentaire, témoigne aussi: « À peine avons-nous le temps de respirer que les échéances fiscales tombent les unes après les autres », confie-t-il. Faute de trésorerie, il a dû cesser ses activités.

Au-delà des taxes de base, les PME doivent faire face à plusieurs prélèvements, souvent mal compris et peu adaptés à leur taille. Pour les jeunes structures, en particulier celles sans accompagnement, ces charges constituent un frein majeur à leur croissance et tuent l’innovation dans l’œuf. « Il ne suffit pas de prôner l’entrepreneuriat à longueur de discours. Il faut aussi créer un environnement favorable », déplore Fatou, fondatrice d’une start-up qui survit difficilement depuis des années.

Pour Idrissa, patron d’une entreprise évoluant dans le secteur du BTP, la fiscalité est un véritable calvaire qu’il ne cesse de dénoncer. Cela fait bientôt trois ans qu’il a créé son entreprise, et depuis, il n’a obtenu aucun marché, malgré le fait qu’il soit parfaitement en règle avec le fisc. Avant le 15 de chaque mois, il procède aux déclarations obligatoires, notamment la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et l’impôt sur les traitements et salaires (ITS), en fonction des activités réalisées. Toutefois, dès que le délai est dépassé, des pénalités sont automatiquement appliquées. En plus de cela, chaque début d’année, a-t-il expliqué, il doit s’acquitter de la taxe professionnelle, qu’il ait exercé une activité ou non. Cette taxe, d’environ 93 000 francs CFA, il la paie de sa propre poche, prélevée directement sur son salaire. À cela s’ajoute l’obligation de dépôt du bilan annuel, ainsi que la taxe immobilière sur les personnes morales. Là encore, a-t-il dit, tout retard est sanctionné par des pénalités. « C’est trop », lâche-t-il, le visage crispé et visiblement abattu par cette situation qui freine ses ambitions.

Un autre entrepreneur, ayant requis l’anonymat, partage une expérience toute aussi frustrante. Malgré le manque d’activité de son cabinet, il s’est toujours acquitté de ses obligations fiscales et des charges y afférentes. Un matin, il a reçu une notification de redressement consécutive à une vérification générale de comptabilité. En toute bonne foi, il a soumis l’ensemble des documents déclaratifs exigés. Quelques ‘‘pièces mineures’’ manquaient, mais, selon lui, elles étaient facilement justifiables et ne constituaient pas un manquement grave. « À ma grande surprise, la décision finale de redressement m’a imposé le paiement d’une somme dépassant deux millions de francs CFA, dont la majeure partie pour un prétendu défaut de création du système de facturation en ligne. Aucune notification préalable ne m’avait été adressée, contrairement aux dispositions prévues par la loi, et aucun délai de régularisation n’avait été fixé par l’administration au moment de la décision. Malgré plusieurs lettres explicatives envoyées au service des impôts pour exposer la situation réelle du cabinet, mes tentatives sont restées sans réponse. J’ai été contraint de régler l’intégralité du montant », a-t-il dit, bouleversé par cette réalité.

Certes, la loi fiscale, en son article 368 bis, stipule que « toute personne physique ou morale, assujettie ou non à la TVA, qui livre des biens ou fournit des services pour les besoins d’une autre personne physique ou morale, ou pour ses propres besoins, est tenue de délivrer une facture électronique dans les conditions fixées à l’article 368 quinquies du code général des impôts ou un document en tenant lieu… ». Pour cet entrepreneur, cette disposition signifie littéralement qu’une facture ne devrait être émise que dans le cadre d’une prestation effectivement exécutée ou d’une livraison effectivement réalisée. Il estime qu’il est tout à fait logique et même obligatoire de créer un compte de facturation en ligne ou d’acheter la machine de facturation comme défini par la loi pour établir des factures pour des services effectivement rendus.

« Mais n’ayant exécuté aucune prestation durant cette période, je n’ai établi ni encaissé la moindre facture. Je ne vois donc pas pourquoi je devrais payer plus de deux millions de francs CFA au titre d’impôts. Je n’en ai pas les moyens et je ne vois pas de raison de le faire », déclare-t-il. Il ajoute que, face au montant exorbitant des pénalités exigées et à l’absence de revenus pour les couvrir, il se retrouve impuissant, incapable de régulariser la situation ni même de maintenir l’espoir de voir son cabinet se développer un jour comme il l’avait imaginé.

«… On nous demande trop, trop tôt, trop vite »

Depuis quelques mois, un témoignage largement partagé sur les réseaux sociaux a attiré l’attention. Rédigé par un entrepreneur, il traduit avec émotion les inquiétudes croissantes sur le climat entrepreneurial devenu, selon lui, un véritable parcours de combattant. « Pendant que la comptable s’empressait de finaliser les derniers documents, je faisais mes calculs. Et plus je comptais, plus je réalisais à quel point être en règle dans notre environnement fiscal relève de l’exploit », écrit-il. « Nous savions déjà qu’il fallait verser 5 % du montant du marché aux impôts dès l’enregistrement du bon de commande, et nous avions anticipé cela. Nous savions aussi qu’environ 3 % seraient à payer en fin d’année. Il fallait également coller un timbre fiscal de 25 000 FCFA sur le bon de commande, sans oublier les 2 % d’ISB lors du paiement», souligne l’entrepreneur.

Ce jour-là, a-t-il poursuivi, dans une note, « on nous apprend qu’il faut aussi verser 1 % du montant à une autorité de régularisation. Je ne parle même pas des autres charges qu’on assume au quotidien: électricité, achat de matières premières, internet, livraison, salaires, sécurité, la CNSS (pour les salaires mensuels) et tout ce qu’on ne voit pas forcément. À la fin, j’ai regardé les chiffres. Et j’ai compris. Compris pourquoi tant de jeunes entrepreneurs préfèrent rester dans l’informel. Compris pourquoi certains abandonnent, malgré le talent, malgré la volonté. Compris pourquoi certains rêvent de partir. Moi qui ai toujours encouragé les autres à être en règle, à formaliser, à structurer, je ressens maintenant cette fatigue. Cette impression qu’on nous demande trop, trop tôt, trop vite », a-t-il déploré avant de se demander: « Qu’est-ce qu’on peut mettre en place, concrètement, pour que les jeunes entreprises aient une vraie chance de survie? Pas seulement sur le papier mais dans la réalité du terrain. Parce que si cela continue ainsi, ceux qui veulent bien faire finiront par baisser les bras. Et c’est tout un pays qui y perdra».

Les conséquences des charges fiscales sont multiples, engendrant des pertes d’emplois, découragement des jeunes porteurs de projets et affaiblissement global du tissu économique local. Ces témoignages, lucides et poignants, soulignent la complexité et la lourdeur du système fiscal nigérien qui semble parfois freiner l’élan de jeunes entrepreneurs au lieu de l’encourager. Certaines entreprises, bien que toujours en activité, luttent au quotidien pour ne pas couler. Elles espèrent un geste fort de l’État, un allègement des charges fiscales, une réforme du système ou, au moins, un accompagnement adapté aux réalités des petites et moyennes entreprises.

Un problème de communication et de sensibilisation

Le problème des petites et moyennes entreprises, explique M. Souleymane Abdoulaye, accompagnateur Marketing et Communication du Centre Incubateur de l’Université Abdou Moumouni, se résume à un manque de soutien. Le plus souvent, les jeunes se lancent dans l’entrepreneuriat, sans avoir une base solide pour réussir. « C’est très rare de voir, dans le cursus scolaire nigérien, où on parle d’entrepreneuriat. On nous forme tout simplement pour nous dire, allez-y à l’école, il faut avoir un diplôme, vous allez avoir un travail. Maintenant, arrivé au niveau supérieur après le diplôme, on constate que ce n’est pas vrai, la réalité est tout autre. Voilà pourquoi le taux d’échec est plus grand que la réussite », dit-il.

Une autre raison, a noté M. Souleymane Abdoulaye, c’est la précipitation des jeunes à aller trop vite. Quand on commence tout de suite, on embrasse un train de vie qui dépasse largement ce qu’on gagne. S’agissant de la pression fiscale, ce n’est pas évident que les charges fiscales soient à la base de l’échec des entreprises, car c’est une contribution que chacun apporte à l’État qui vit sur la base des recettes fiscales. « Si les contribuables ne payent pas, c’est que l’État va disparaître. En fait, dès le temps de la création de l’entreprise, l’entrepreneur doit se mettre en tête qu’il doit payer les charges fiscales à l’État et doit s’organiser au niveau de la gestion financière pour payer régulièrement », affirme l’accompagnateur Marketing et Communication du Centre Incubateur de l’Université Abdou Moumouni.

Selon ce spécialiste, le payement de l’impôt se fait en fonction du type de NIF dont dispose l’entrepreneur. Si ce dernier n’arrive pas à faire des chiffres d’affaires, il faut faire une déclaration mensuelle pour dire que vous n’avez rien fait. Dans ce cas, on n’impose rien à l’entrepreneur. Par contre, lorsque ce dernier enregistre un chiffre d’affaires, il y a un pourcentage applicable sur le chiffre d’affaire que l’entrepreneur doit payer. « Quand l’entreprise est bien organisée, c’est qu’il n’y a pas de raison à ce qu’on dise que c’est trop. C’est parce que, dès le début, on n’a pas ça en tête. En réalité, ce n’est pas de l’argent cadeau qu’on donne », explique M. Souleymane Abdoulaye.

Créé en 2016, le Centre Incubateur de l’Université Abdou Moumouni a commencé ses activités en 2017. Il a, selon l’accompagnateur Marketing et Communication du Centre Incubateur de l’Université, créé au moins 22 entreprises appelées micro-entreprises qui sont en activité. A ce niveau, des mesures d’accompagnement sont prises dont un programme de 24 mois, 6 mois en pré-incubation et 18 mois en incubation. « C’est un cycle normal. On suppose que lorsque l’individu arrive à faire ce cycle, son entreprise est meilleure et il va quitter l’incubateur pour donner la place aux autres. Lorsque l’individu quitte, cela ne veut pas dire qu’on va couper tout lien avec lui, mais il y a toujours un circuit à travers lequel on fait régulièrement appel à lui. Et nous avons aussi un programme de visite», fait-il savoir.

Au Niger, le climat des affaires semble favorable pour beaucoup de raisons. D’après M. Souleymane Abdoulaye, la première raison est le dispositif d’accompagnement qui n’existait pas avant. Le deuxième élément se situe au niveau étatique, il y a une direction du Ministère du Commerce et de l’Industrie qui est chargée de l’accompagnement des jeunes entrepreneurs. En dehors de cela aussi, il y a beaucoup de structures étatiques ou même des partenaires de l’État qui financent les projets des jeunes entrepreneurs. « Un entrepreneur ne doit pas voir la fiscalité comme une difficulté, mais comme une charge qu’il doit payer. La difficulté, moi je pense, c’est un problème de communication et de sensibilisation. Logiquement, la Direction Générale des Impôts qui est chargée de la fiscalité doit faire des campagnes de sensibilisation à l’endroit des jeunes entrepreneurs. Cette campagne doit être permanente parce qu’il y a un problème d’information. Les jeunes ne savent pas comment cela se passe. Même pour les déclarations, nous avons eu beaucoup d’entrepreneurs qui ne savent même pas qu’on doit déclarer quand on n’a pas fait un chiffre d’affaires. Parce qu’en fait, l’État ne prend pas de l’argent sur toi gratuitement. Mais on dit que c’est sur le bénéfice réalisé que tu dois donner un peu », insiste M. Souleymane Abdoulaye.

Dans le souci d’apporter des éclaircissements concrets sur la question afin que les entrepreneurs, ainsi que ceux qui aspirent à se lancer dans le domaine, puissent mieux comprendre l’ensemble des fiscalités applicables aux entreprises sous toutes leurs formes, nous avons entrepris, pendant plus de trois mois, une série d’approches auprès de spécialistes, aussi bien du secteur public que du privé. Malheureusement, jusqu’à ce jour, aucun de ces experts n’a accepté de s’exprimer publiquement ni de fournir les explications attendues. Silence total. Pourquoi? La question reste entière. Est-ce par crainte, par contrainte administrative ou tout simplement un manque de volonté de communiquer sur un sujet aussi sensible et important? Quoi qu’il en soit, cette absence de communication contribue à entretenir la confusion et le découragement chez de nombreux jeunes entrepreneurs en quête de repères clairs dans un environnement déjà perçu comme difficile.

Fatiyatou Inoussa (ONEP)

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