Africa-Press – Niger. Le visage plissé par la concentration, votre descendance lève ses doigts l’un après l’autre avant d’annoncer fièrement le résultat de son calcul. Contrairement à des craintes répandues en France, compter sur ses doigts est une méthode essentielle à l’apprentissage des mathématiques et dont l’adoption est prédictive du niveau de performances, révèle Catherine Thevenot, chercheuse en psychologie cognitive et développementale à l’université de Lausanne (Suisse).
Compter sur ses doigts, une méthode que l’on craignait délétère au développement de l’enfant
« Avant de mener ces études, je pensais que le calcul sur les doigts serait bénéfique aux enfants possédant une capacité en mémoire moins élevée que les autres, et qui utiliseraient cette méthode comme une aide externe », se souvient Catherine Thevenot. Alors que les études scientifiques sur le sujet étaient encore peu nombreuses et le consensus absent, les opinions de certains chercheurs reflètent les craintes exprimées auprès de la chercheuse par de nombreux enseignants: à long terme, le comptage sur les doigts serait délétère au développement de l’enfant, puisque limitée à la manipulation des petits chiffres dans des opérations simples.
Publiés en 2018, les résultats de Catherine Thevenot démontrent tout le contraire. « Les enfants de 5 ou 6 ans qui utilisent leurs doigts ont non seulement des meilleures performances en mathématiques que ceux qui ne les utilisent pas, mais aussi de meilleures performances générales et de mémoire de travail (qui permet de conserver en mémoire à court terme les données que l’on est en train de manipuler, ndlr) », relate-t-elle.
Jusqu’à l’âge de 7 ans, ceux qui comptent sur leurs doigts sont les plus forts en maths
Or, quasiment tous les enfants – minimum 93%, d’après ses estimations – utilisent le comptage sur les doigts à un moment ou à un autre, la moitié d’entre eux l’adoptant autour de leurs 6 ans. Ils abandonnent ensuite cette méthode quelques mois, un an plus tard, une fois qu’ils ont internalisé la stratégie de comptage. « Mais à partir de 7 ans, il y a une inversion de la corrélation avec la performance », conclut Catherine Thevenot sur la base de ses plus récents travaux, publiés en novembre 2025 dans la revue Developmental Psychology. Si les moins de 7 ans qui comptent sur leurs doigts sont parmi les plus performants en mathématiques de leur groupe d’âge, passé ce seuil la plupart n’en ont plus besoin. Ceux qui adoptent le comptage sur les doigts à ce stade sont donc ceux qui ont les moins bons résultats. « Ce sont les enfants les plus intelligents qui utilisent leurs doigts le plus tôt, et qui les abandonnent aussi spontanément le plus tôt », résume Catherine Thevenot. 18% des enfants commencent même dès l’âge de 4 ans.
Pour ne pas inquiéter les parents qui ne verraient pas leur enfant utiliser leurs doigts, il faut préciser que ces résultats ne sont vrais qu’à l’échelle de la population, car au niveau individuel il y a toujours des exceptions. « Les enfants que nous n’avons jamais vu adopter le comptage sur les doigts sont globalement les plus faibles en mathématiques, pourtant nous en avons vu trois parmi eux qui avaient de bons résultats », précise la chercheuse.
Compter sur ses doigts, une méthode universelle d’apprentissage des maths
Loin d’être un frein pour l’apprentissage des mathématiques, compter sur ses doigts est une méthode intuitive et universelle. « C’est un outil que nous avons toujours sur nous, et qui avec de la pratique ne nécessite même plus qu’on les regarde pour lever le bon nombre de doigts », explique Catherine Thevenot. C’est le concept de cognition incarnée, qui suppose que l’on ressent la quantité dans son corps lorsqu’on lève un nombre de doigts donné. « Ce ressenti pourrait être une transition avec l’abandon de comptage sur les doigts. Au début les enfants qui font 4+2 vont faire 4 sur une main, 2 sur une autre, et tout recompter du début. Mais petit à petit, ils lèveront deux doigts supplémentaires et compteront à partir de quatre, ça aussi c’est la voie vers la mentalisation », décrit la chercheuse. Dans notre cerveau d’ailleurs, les aires motrices des doigts sont très proches des aires qui gèrent les représentations du nombre. « Les experts du domaine en neurologie, principalement chez les Anglo-Saxons, pensent depuis longtemps que ce n’est pas par hasard et que cela soutient la pertinence de la méthode du comptage sur les doigts. »
Classe sociale et biais genrés affectent l’utilisation du comptage sur les doigts
Loin de ne refléter qu’une capacité innée dans la manipulation des mathématiques, l’âge d’adoption du comptage sur les doigts est également influencé par le sexe et le milieu socioéconomique. « Les enfants de milieu plus défavorisé scorent moins haut sur les tests de QI, ils adoptent le comptage sur les doigts plus tardivement et le conservent plus longtemps que ceux des milieux plus favorisés », révèle Catherine Thevenot. De même, les filles utilisent la méthode de comptage sur les doigts plus longtemps que les garçons, sans que la raison en soit encore bien claire.
Il se pourrait que cela soit un effet des biais genrés selon lesquels les garçons seraient naturellement meilleurs en mathématiques et donc plus encouragés que les filles à progresser. Une récente étude française a d’ailleurs démontré que ces biais, renforcés par nos méthodes d’enseignement, favorisent les performances masculines en mathématiques. En seulement quatre mois de CP, les garçons prennent ainsi une avance significative sur les filles en mathématiques, malgré des performances équivalentes en fin de maternelle. « Les filles peuvent devenir moins bonnes que les garçons tout simplement parce qu’on ne les a pas traitées de la même manière », confirme Catherine Thevenot, dont l’ouvrage Des mythes en maths – Brisons nos préjugés sur les mathématiques (Editions Tom Pouce) aborde justement le sujet et en révèle les ressorts.
Apprendre à utiliser ses doigts pour améliorer ses performances en maths
Suivant l’idée que le comptage sur les doigts est un outil quasiment indispensable à l’apprentissage des mathématiques, la scientifique cherche à présent à l’utiliser pour renforcer les apprentissages des enfants qui en ont besoin. Publiés en septembre 2024, de précédents travaux qu’elle a dirigés ont montré qu’un entraînement de seulement deux semaines au comptage sur les doigts a augmenté les scores en mathématiques des enfants de 5 à 6 ans de 37% à 77% de réussite !
« En revanche, 20% des enfants ne sont malheureusement pas perméables à cet entrainement et n’améliorent pas leurs performances. J’aimerais comprendre pourquoi ces enfants-là n’y arrivent pas », pointe Catherine Thevenot. Suivant cette idée, elle cherche à appliquer cet apprentissage aux enfants souffrant de trisomie 21 et du syndrome de Williams, dont les doigts manquent de mobilité. « Nous regardons s’ils parviennent à mettre en place le comptage sur les doigts spontanément ou, si ce n’est pas le cas, s’il est possible de le leur apprendre. »
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