Le Niger est-il devenu le pivot de la stratégie sécuritaire de la France au Sahel ?

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Unités militaires françaises Barkhane
Unités militaires françaises Barkhane

Rapporté par
Anouar Chennoufi

Africa-Press – Niger. Après que Paris ait mis fin à son opération militaire « Barkhane » dans la région du Sahel en Afrique, l’attention s’est  tournée vers le Niger pour devenir le principal pivot de la nouvelle stratégie française dans la région, à la place du Tchad ou du Mali.

Il va sans dire qu’après la fin de l’opération Barkhane, l’un des indicateurs a démontré que le poids militaire du leadership français au Sahel, a fait déplacer le siège du commandement des opérations militaires de N’Djamena à Niamey.

Plus clairement, le quartier général de l’opération européenne « Takuba », la task force européenne au Mali, également dirigée par la France, qui était stationné à N’Djamena, a pris Niamey comme quartier général, après le 10 juin dernier.

La preuve de ce changement dans la stratégie française au Sahel est que le président du Niger, Mohamed Bazoum, était le seul parmi les dirigeants du Sahel (Tchad, Mali, Burkina Faso et Mauritanie) à avoir participé au sommet virtuel du Sahel de Paris aux côtés de son homologue français Emmanuel Macron.

Les médias français eux-mêmes n’y voient pas une coïncidence, ce qui confirme que Macron a fixé son choix sur « Bazoum » pour être le gendarme de la région, après l’assassinat du président tchadien Idriss Deby Itno, le 20 avril.

Outre Macron et Bazoum, le président mauritanien, Mohamed Oueld Ghazouani, et le président Roch Kaboré du Burkina Faso, en plus du président du Conseil militaire du Tchad, Mahamat Idriss Deby, et du président par intérim du Mali, le colonel Assimi Goïta, ont participé au Sommet du Sahel, qui s’est tenu le 9 juillet, par vidéoconférence.

Partisan de la démocratie ou partisan des putschistes ?

Putschistes
Putschistes

Le choix de Macron porté sur le Niger comme centre de sa nouvelle stratégie au Sahel, a soulevé plusieurs questions, étant donné qu’il ne dispose pas de l’armée la plus puissante de la région comme l’armée tchadienne, ni du bastion de la rébellion occupant la partie nord du Mali.

Seulement, la vraie raison est que Macron ne veut pas être entouré d’un groupe de chefs militaires qui n’ont pas accédé au pouvoir par les suffrages universels.

A noter que le président français fait face à des critiques internes et externes pour son soutien au CMT dirigé par le Mahamat Deby, que l’opposition accuse de s’être emparé du pouvoir après le meurtre de son père et d’outrepasser la constitution.

Le succès des militaires dans la prise du pouvoir au Tchad est peut-être l’une des raisons qui ont poussé le colonel Assimi Goïta, à mener un deuxième coup d’État au Mali, le 24 mai, contre le président par intérim Bah N’Daw, 9 mois seulement après son premier coup d’État contre le président Boubacar Keita, pour se déclarer finalement Président du Mali.

Choix d’Emmanuel Macron

Le Président Bazoum avec le Président Macron à Paris
Le Président Bazoum avec le Président Macron à Paris

Mais cette fois-ci, Macron a refusé de se ranger du côté des révolutionnaires du Mali et de ceux affiliés à la Russie, après avoir renversé un président proche de la France.

Dans ce contexte, le président français a déclaré au Journal du Dimanche (JDD) avoir informé les dirigeants régionaux que « la France ne soutiendra pas les pays qui n’ont pas de légitimité ou de transition démocratique du pouvoir ».

Malgré la menace de Macron de retirer ses forces du Mali, pour faire pression sur les putschistes, et même de suspendre les opérations militaires conjointes avec l’armée malienne pendant environ un mois, avant de décider de retirer progressivement ses forces du nord du pays, cela n’a pas empêché Goïta de se faire nommer président.

La France, qui « plaçait » autrefois des présidents en Afrique francophone, se retrouve impuissante devant un colonel dans une armée qui a perdu de nombreuses batailles face à de multiples groupes armés, notamment sur les fronts nord et centre.

Le rôle du Président Mohamed Bazoum

Mohamed Bazoum Pt du Niger
Mohamed Bazoum Pt du Niger

C’est pourquoi Paris tente de présenter le président nigérien Mohamed Bazoum comme un modèle pour les démocraties réussies dans le Sahel africain, qui a remporté la présidence en février dernier avec seulement 56%, même s’il appartient à une minorité arabe qui ne représente qu’environ 1% de la population.

Bazoum a également joué un rôle dans le siège des rebelles tchadiens lorsqu’ils ont franchi les frontières de son pays pour échapper aux attaques de l’armée tchadienne en avril dernier.

Cela explique pourquoi Macron a reçu Bazoum à Paris lors du sommet du Sahel, sans autres dirigeants de la région.

Mahamat Deby serait-il lui aussi un « atout » ?

Cependant, Mahamat Deby représente toujours une figure de poids malgré son manque de légitimité populaire et constitutionnelle dont bénéficiait officiellement son père.

Par ailleurs, l’armée tchadienne reste la seule force parmi les pays du Sahel à pouvoir apporter un soutien hors de ses frontières et efficacement dans la lutte contre les groupes terroristes au Sahara, ainsi que dans le bassin du lac Tchad, c’est pourquoi Macron l’a reçu à Paris, quatre jours avant le sommet du Sahel.

En revanche, la marginalisation de la Mauritanie semble intentionnelle, étant donné qu’elle a signé, le 23 juin, un accord de coopération militaire avec la Russie, ennemie de la France dans la région.

 Un conflit entre deux systèmes voisins et différents

« Les militaires ne devraient pas être autorisés à prendre le pouvoir parce qu’ils ont échoué sur les fronts où ils devraient être. Si les colonels deviennent ministres et chefs d’État, qui fera la guerre pour eux ? »

Cette déclaration ferme a été faite par le président Bazoum, lors d’une conférence de presse à Paris, en réponse à une question sur la situation au Mali, dans laquelle le colonel Goïta a mené deux coups d’État en moins d’un an.

Le président nigérien a intensifié sa rhétorique lorsqu’il a ajouté : « Ce sera facile à chaque fois qu’une armée dans nos pays échouera sur le terrain, elle viendra prendre le pouvoir. C’est ce qui s’est passé deux fois au Mali : en 2012, l’armée a échoué, alors ils sont venus et ont fait un coup d’État. Et encore en 2020, ils ont fait la même chose. Ce sont des actes inacceptables. »

Ceci dit, on constate que la position de Bazoum va de pair avec les déclarations de Macron, bien que son « ton » était plus sévère, ce qui a incité les autorités de transition au Mali à convoquer l’ambassadeur du Niger à Bamako, et lui ont signifié une « forte protestation » après s’être étonné des déclarations du président nigérien, selon des médias locaux.

La position acerbe de Bazoum sur le coup d’État au Mali n’est pas seulement en faveur de la position française, mais aussi parce qu’il a failli être victime d’un coup d’État fin mars dernier, deux jours avant sa prestation de serment.

Trouver du soutien auprès de l’Algérie

Le Président algérien Abdelmadjid Tebboune
Le Président algérien Abdelmadjid Tebboune

Quatre jours après la fin de sa visite en France, le président nigérien, accompagné d’une importante délégation, s’est rendu chez le voisin du nord, à savoir l’Algérie, et le dossier sécuritaire était en tête des questions qu’il a abordées avec son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune.

Peu de choses ont été révélées sur ce qui a été discuté dans ce dossier, et quels messages Bazoum a porté de la France vers l’Algérie, mais il est clair que le président du Niger est venu discuter des répercussions de la décision de la France de retirer ses forces du nord du Mali.

Cette visite a coïncidé avec le retour des voies de communication entre l’Algérie et Paris, après une interruption d’environ 6 mois, selon le journal algérien Al-Shourouk.

Il semble bien que la France cherche à persuader l’Algérie de combler le vide sécuritaire que laissera son retrait du nord du Mali, au cours du second semestre 2021 à début 2022, ce que le président Tebboune avait précédemment rejeté dans de précédentes déclarations, avant même que l’opération Barkhane ne soit terminée.

Toutefois, le Niger serait capable de jouer un rôle pour persuader l’Algérie d’apporter un plus grand soutien aux pays du Sahel dans les affrontements avec les organisations armées, et de ne pas faire basculer l’équation sécuritaire dans la région, ce qui affectera la stabilité des pays voisins dans leur ensemble.

Le succès le plus marquant remporté par Bazoum lors de sa visite en Algérie, a été l’annonce par ce dernier de son accord pour l’ouverture des frontières entre les deux pays, ce qui contribue à briser l’isolement des régions du nord du Niger, peuplées de tribus arabes et touaregs.

Quant à la France, elle chercherait à construire une stratégie sécuritaire au Sahel en s’appuyant sur des régimes démocratiques, après avoir été accusée à plusieurs reprises de soutenir les régimes militaires de la région, au détriment des aspirations de ses peuples.

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