Africa-Press – Niger. Les conférences, débats et rapports se multiplient pour préparer et porter la voix de l’Afrique devant la COP27, la conférence des Nations unies sur le climat qui se tiendra en novembre à Charm el-Cheikh, en Égypte. Le changement climatique est devenu une préoccupation brûlante avec ses conséquences de plus en plus palpables.
Inlassablement, les Africains se doivent de rappeler que bien qu’ils ne représentent que 17 % de la population mondiale, ils ne pèsent que 3 % des émissions mondiales de gaz à effets de serre. En revanche, ce sont eux qui sont le plus exposés aux conséquences du changement climatique. Une terrible injustice ! En deux ans, 131 événements climatiques extrêmes (tempêtes, sécheresses, inondations…) ont frappé le continent, décompte la Banque africaine de développement (BAD) dans son édition 2022 sur les Perspectives économiques en Afrique (PEA), intitulée, « Soutenir la résilience climatique et une transition énergétique juste en Afrique ». Ce rapport met en exergue la menace croissante que fait peser le changement climatique sur les vies et les moyens de subsistance en Afrique.
Comparé aux autres régions du monde, l’Afrique est le continent le moins résilient au changement climatique en raison d’un niveau de vulnérabilité élevé et d’un faible niveau de préparation. « Le poids du changement climatique sur les économies du continent et les moyens de subsistance des Africains est disproportionnellement élevé en rapport à leur faible participation dans les émissions mondiales de carbone », observe le rapport sur les PEA. « Il est essentiel que les prochains engagements climatiques prennent en considération le contexte spécifique du continent africain, notamment ses perspectives souhaitées de développement, et intègrent également le rôle important que le continent peut jouer dans un avenir à bas carbone au niveau mondial », souligne de son côté la Fondation Mo-Ibrahim, présentant son rapport publié en juillet, « En route vers la COP27 : positionner l’Afrique dans le débat global sur le climat ».
Recommandations
La Fondation présente un ensemble de données, mais surtout 15 recommandations à l’attention des décideurs politiques et des citoyens et acteurs du débat climatique, afin de mieux positionner l’Afrique dans le débat global sur le climat. Ces recommandations tournent autour de trois axes : prendre en compte la vulnérabilité spécifique de l’Afrique, répondre au droit des populations africaines à l’accès à l’énergie et mettre en évidence le potentiel de l’Afrique pour le développement d’une économie verte à l’échelle mondiale.
Dans la même veine, le rapport sur les PEA présente des arguments en faveur du développement durable et de l’équité pour un système énergétique mondial juste et explore les opportunités de croissance durable de l’Afrique grâce à sa dotation en ressources.
Le débat sur l’énergie à la COP27
Mo Ibrahim, fondateur et président de la Fondation Mo-Ibrahim, a déclaré qu’il est clair que le débat actuel sur le climat ne répond pas aux attentes de l’Afrique, lorsque plus de 600 millions d’habitants du continent n’ont toujours pas accès à l’électricité. « L’accès universel aux services énergétiques est essentiel à l’atteinte des objectifs de développement durable. »
Cette position se heurte à la décision d’en finir avec les combustibles fossiles en serrant les cordons de la bourse, prise par une majorité de pays l’an dernier, lors de la COP26 à Glasgow. Dès la fin 2022 tout financement public des sources d’énergie fossile – pétrole, gaz et charbon – responsables d’au moins 70 % des émissions de gaz à effet de serre devrait cesser.
Pour l’Afrique, cette décision va à l’encontre de son développement. Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine et président du Sénégal, a affirmé, avec conviction, lors de la conférence sur le climat organisée par la Fondation Mo-Ibrahim qu’il souhaitait avoir un vrai débat sur la transition énergétique, un débat qui permette d’avoir une transition juste et équitable et de faire en sorte que l’Afrique puisse utiliser son propre gaz au bénéfice d’abord de sa population.
Le débat a changé de dimension depuis les sanctions contre la Russie qui, en retour, a fermé les robinets du gaz créant une pénurie mondiale. L’Afrique compte 18 pays producteurs et dispose de réserves importantes encore peu exploitées, notamment au Mozambique, en Afrique du Sud en Namibie. Ainsi, la Fondation Mo-Ibrahim, défend l’idée de « considérer le gaz comme un combustible de transition clé, en parallèle au développement des énergies renouvelables ». Il faut permettre au gaz, ressource abondante en Afrique et combustible fossile de loin le moins polluant, de contribuer à combler le déficit immédiat d’accès à l’énergie sur le continent.
S’engager pour le climat sans compromettre son développement, c’est la position que l’Afrique entend défendre à la COP27. L’Afrique perd chaque année entre 5 % et 15 % de son produit intérieur brut à cause du changement climatique. Pour rappel, un Américain émet chaque année en moyenne 14 de tonnes équivalent CO2, contre 10 tonnes pour un Européen et moins d’une tonne pour un Africain.
La question du financement reste primordiale
Les promesses ne sont pas tenues. Lors de la COP de Copenhague en 2009, les pays riches s’étaient engagés à verser 100 milliards par an aux plus pauvres. Onze ans plus tard, le compte n’y est toujours pas. En 2020, le financement climat pour les pays en développement s’est élevé à 83,3 milliards de dollars.
« La part de l’Afrique dans le financement climatique mondial total n’a augmenté en moyenne que de 3 % entre 2010 et 2019, passant de 23 % (48 milliards de dollars) pour la période 2010-2015 à 26 % ( 73 milliards) pour la période 2016-2019 », constate le rapport sur les PEA. De nouvelles études de la BAD sur la dette et les crédits carbone estiment que le financement climatique total nécessaire pour indemniser l’Afrique pour les émissions historiques et futures jusqu’en 2050 est compris entre 4,76 et 4,84 billions de dollars (163 à 173 milliards de dollars par an), et donc un montant annuel près de 10 fois supérieur à celui reçu par le continent entre 2016 et 2019.
Ce rapport sur les PEA « appelle à des échanges francs sur l’architecture actuelle du financement climatique mondial et son déséquilibre ; décrit les outils de réformes ; et répertorie les sources existantes de financement climatique ciblant les besoins et déficits du continent. Il étudie plus en détail des instruments innovants de financement climatique susceptibles de renforcer la résilience et d’assurer une transition énergétique juste aux niveaux international, régional et national, qui profite au continent », commente Akinwumi Adesinale, président de la (BAD), dans la préface.
Parmi ces financements innovants, on peut citer les obligations et les prêts verts, les obligations et prêts durables, les échanges dette-contre-climat et des marchés du carbone plus efficients et mieux évalués. De son côté, le rapport de la Fondation Mo-Ibrahim préconise d’évaluer (et monétiser) le potentiel de séquestration du carbone en Afrique : « Le continent est non seulement le plus faible émetteur de carbone par habitant, mais il abrite également des puits carbones majeurs. Les pays africains doivent être dûment indemnisés pour la préservation de ces actifs mondiaux, notamment via un prix de stockage du carbone. »
Sur la question du climat, les conférences se succèdent aussi. Début août, trois jours de tables rondes régionales sur le changement et l’adaptation climatiques se sont déroulés à Addis-Abeba et le 18 août, une conférence organisée par l’Africa Risk Capacity Group (ARC), agence de l’Union africaine qui permet aux gouvernements de mieux répondre aux besoins face aux catastrophes liées au climat. L’objectif, comme pour les rapports, est de transmettre des connaissances et d’affiner la position africaine pour mieux peser dans les débats.
Mahmoud Mohieldin, champion égyptien de haut niveau des Nations unies pour le changement climatique, a souligné lors de cette dernière conférence de l’ARC, les opportunités prometteuses dans le domaine de l’action climatique en Afrique, saluant notamment les progrès réalisés par un certain nombre de pays africains dans le domaine de l’hydrogène vert. Six pays (Kenya, Afrique du Sud, Namibie, Égypte, Maroc et Mauritanie) ont lancé en mai dernier l’Africa Green Hydrogen Alliance pour stimuler le développement de l’hydrogène vert. Il a en outre rappelé que lors du forum régional qui vient de se tenir à Addis-Abeba, plus de 140 projets prometteurs ont été examinés, dont 19 ont été présélectionnés et seront mis en œuvre prochainement.
Il a également souligné la nécessité d’aligner les objectifs de développement durable sur l’action climatique. Tout est lié. Il faut arrêter de « travailler en silos », développement d’un côté, climat de l’autre, sécurité de son côté, affirme le rapport Mo Ibrahim, qui rejoint le constat du rapport sur les PEA, qui préconise un développement inclusif et résilient qui intègre les dimensions économique, sociale et environnementale du développement durable.
Si la COP27 se profile rapidement, le prochain grand rendez-vous se déroulera au Gabon qui accueillera du 29 août au 1er septembre la Semaine africaine du climat. Cette conférence organisée par les Nations unies est considérée comme une étape clé. Lors de la précédente COP, la collaboration régionale, mixant les pouvoirs publics et la société civile, est apparue comme un moteur du progrès mondial.
Ainsi, au fil des rapports et des conférences, l’Afrique dessine sa voix, celle qu’elle devra faire entendre en Égypte. Les recommandations du rapport de la Fondation Mo-Ibrahim s’achèvent sur un rappel important avant la COP27 : « On n’obtient pas ce dont on a besoin ou ce que l’on mérite, on obtient ce que l’on négocie. » C’est dit.
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