Les célèbres pinsons de Darwin vont-ils être confrontés à une barrière linguistique ?

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Les célèbres pinsons de Darwin vont-ils être confrontés à une barrière linguistique ?
Les célèbres pinsons de Darwin vont-ils être confrontés à une barrière linguistique ?

Africa-Press – Niger. Un jour sûrement, les différentes espèces de pinsons de Darwin ne se comprendront plus. Chez ces oiseaux de l’archipel des Galápagos, en Equateur, le bec a évolué en fonction des ressources disponibles et des changements écologiques sur chacune des îles. Geospiza magnirostris, par exemple, est pourvu d’un large bec adapté à un régime alimentaire basé sur les grosses graines.

A l’inverse, d’autres pinsons sont dotés d’un bec fin, efficace pour dénicher les insectes. Ces évolutions ont donné naissance à un large éventail de becs, et donc d’instruments de musique, avec leurs spécificités. “Les chants des espèces à gros bec ont tendance à être plus simples, avec moins de variations”, illustre Jeffrey Podos, chercheur à l’Université du Massachusetts (Etats-Unis), lors d’une interview pour Sciences et Avenir. Avec son équipe, il a cherché à prouver expérimentalement que les modifications environnementales pouvaient contribuer à l’émergence de nouvelles espèces.

Si cette théorie, dite de “spéciation écologique” semble se vérifier rétrospectivement, il était difficile de le démontrer par l’expérience. “Comme les pinsons de Darwin utilisent des chants pour attirer leurs partenaires, les modifications vocales liées à l’évolution des becs pourraient contribuer à la spéciation écologique”, avance le scientifique. Voilà l’hypothèse de départ de son étude, publiée dans la prestigieuse revue Science.

Pourquoi parle-t-on des pinsons de Darwin ?

Les pinsons des îles Galápagos ont largement contribué à l’élaboration de la théorie darwinienne de l’évolution par la sélection naturelle. Mais comment Charles Darwin, naturaliste britannique, a-t-il croisé leur chemin ?

En 1835, il entame un voyage autour du monde à bord du trois-mâts HMS Beagle. Au cours de son expédition, il explore l’archipel des Galápagos, au large de l’Equateur. Charles Darwin y capture plusieurs spécimens de pinsons dont un caractère en particulier les distingue: le bec. A son retour en Angleterre, c’est John Gould, célèbre ornithologue qui identifie les pinsons rapportés par Darwin.

Verdict: ces espèces appartiennent toutes à un même groupe. En étudiant les lieux de capture des individus, Charles Darwin s’aperçoit que chacun occupe une île différente et en déduit que leur isolement géographique a conduit à une différenciation d’espèces à partir d’un ancêtre commun.

Mais pourquoi la morphologie du bec varie-t-elle autant ? Charles Darwin émet l’hypothèse suivante: la forme de leur bec dépendrait de leur régime alimentaire, du plus large pour les amateurs de graines au plus fin chez les insectivores. Leur spécialisation a diminué la compétition entre les individus et accru leurs chances de survie. On parle de “déplacement de caractères”, un concept fondamental de la théorie de l’évolution de Darwin.

Le régime alimentaire a façonné le chant des oiseaux

En 2001, Jeffrey Podos se penche sur l’influence de la forme des becs sur les chants que les pinsons produisent. “Je me suis demandé: les chants des pinsons ont-ils évolué, parallèlement à leurs becs ?,” se souvient le chercheur. En effet, ces mandibules jouent un rôle important dans la vocalisation des oiseaux. Ces derniers ouvrent et ferment leur bec en synchronisation avec les changements de fréquences vocales, préservant ainsi la pureté du son. “Un peu comme on actionne une touche ou l’autre sur un saxophone,” illustre Jeffrey Podos.

Dans son étude, le chercheur montrait en effet que chaque espèce avait sa propre signature vocale. Par exemple, les chants des espèces à gros bec ont tendance à être plus simples, avec moins de variations. “Cela s’explique par le fait que les individus au bec plus large ne peuvent ouvrir et fermer leur bec que lentement et à de petits angles lorsqu’ils chantent,” éclaire Jeffrey Podos.

Mais une question restait en suspens: ces différences de chant peuvent-elles constituer une “barrière linguistique” et contribuer à la spéciation ? L’étude actuelle, 23 ans plus tard, est en quelque sorte la suite de l’article de 2001 et répond enfin à cette dernière question.

Diffuser les chants des pinsons du futur

Dans leur nouvelle étude, les chercheurs ont tenté de prouver que l’évolution de certains caractères, ici le bec et les modifications des chants, pouvait participer à la différenciation des espèces. “La question qui se pose est de savoir si une espèce qui s’est d’abord séparée, mais qui se retrouve ensuite, se réunirait ou resterait distincte”, précise Jeffrey Podos. Pour répondre à cette question, les chercheurs ont modélisé ce à quoi pourraient ressembler les chants de certaines espèces de pinsons. “Les pinsons s’appuient fortement sur les signaux vocaux pour se reconnaître, et donc s’accoupler et en général,” indique l’auteur.

Avec son équipe, il a donc modélisé un chant qui pourrait être issu de l’évolution d’une espèce de pinsons. Pour modéliser les becs, et donc les chants, de ces oiseaux du futur, les scientifiques se sont interrogés sur les contraintes que les oiseaux rencontreraient. “Nous nous sommes penchés sur l’impact des sécheresses régulières sur l’évolution des pinsons, explique-t-il. Leur bec pourrait alors devenir plus gros et plus robustes, adaptés aux graines, qui durcissent en réponse aux sécheresses.” Ils se basent sur les travaux de Peter et Rosemary Grant qui ont étudié l’évolution des becs des pinsons dans différentes circonstances. Enfin, ils aboutissent à la modélisation de ce que pourrait être le chant de certains pinsons, d’ici six épisodes de sécheresse.

Si des espèces évoluaient de la sorte, ils seraient alors incapables de moduler rapidement les sons qu’ils produisent. Leurs chants se simplifieraient donc. Mais continueraient-ils de pouvoir communiquer entre espèces de pinsons ? Vraisemblablement pas, selon les auteurs de l’étude. Face au chant des futurs oiseaux, diffusé dans les forêts des îles Galápagos, les pinsons se taisent: ils ne reconnaissent pas l’individu comme appartenant à son groupe. “C’est une sorte de barrière linguistique”, simplifie Jeffrey Podos.

“Ces résultats suggèrent qu’en raison des liens entre le bec et le chant, une espèce entièrement nouvelle de pinsons de Darwin pourrait évoluer en réponse à six sécheresses majeures aux Galápagos”, analysent les auteurs. “Il s’agit là d’une confirmation expérimentale de la différenciation des espèces en réponse à des changements écologiques.”

Dans la perspective de cette étude, les pinsons offraient aux chercheurs une occasion spéciale, car leurs évolutions morphologiques aux changements écologiques sont particulièrement bien renseignées, tout comme la façon dont ces changements morphologiques peuvent modifier les signaux qu’ils utilisent pour la reconnaissance des partenaires. “Cette étude particulière a donc été conçue pour “boucler la boucle”: comprendre comment l’écologie affecte la morphologie, comment elle affecte les chants et comment elle peut faciliter la spéciation”, conclut Jeffrey Podos.

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