Africa-Press – Niger. Hadriel Mamann a réalisé son doctorat au Laboratoire Kastler Brossel (ENS, Sorbonne-Université, Collège de France, CNRS). Dans une étude publiée le 19 septembre 2025 dans la revue Science Advances, il dévoile une expérience impliquant le processus de cryptographie quantique. Il détaille également les mécanismes de cette dernière et son application aux transferts bancaires dans un entretien avec Sciences et Avenir.
« Les technologies quantiques incarnent à la fois une menace et une défense »
Sciences et Avenir: Pourriez-vous nous décrire le principe de la cryptographie, notamment son application au niveau quantique?
Hadriel Mamann: La cryptographie est, de manière générale, l’art de sécuriser l’information. Dans le monde classique, on dispose déjà de nombreuses méthodes: par exemple, la blockchain, qui permet de protéger différents types de données comme les cryptomonnaies. De manière plus traditionnelle, un compte bancaire est sécurisé par des clés numériques complexes et des protocoles de chiffrement sophistiqués. Ces mécanismes reposent sur la difficulté de certains calculs pour les ordinateurs classiques.
Cependant, l’avènement des ordinateurs quantiques constitue une menace: leur puissance de calcul leur permettra de casser une grande partie des systèmes de cryptographie actuels. C’est pourquoi il est essentiel de développer des méthodes capables de résister à ces attaques, et la cryptographie quantique représente une solution prometteuse. En ce sens, les technologies quantiques incarnent à la fois une menace et une défense: elles rendent obsolètes certaines sécurités existantes tout en ouvrant la voie à de nouveaux protocoles inviolables.
L’objectif de votre recherche est l’implémentation d’une mémoire quantique afin de sauvegarder l’information quantique. Quelles sont les caractéristiques de cette mémoire et les différences notables avec celles utilisées en informatique classique?
C’est une question très intéressante. Dans cet article, la mémoire apparaît comme l’élément central. Pour comparer, prenons une mémoire classique: lorsqu’on consulte un fichier sur un ordinateur, on peut lire son contenu sans l’altérer. En revanche, dans le monde quantique, certains phénomènes sont contre-intuitifs. Par exemple, en mesurant un état quantique, on détruit son caractère superposé: l’information est donc perdue. C’est là qu’intervient la mémoire quantique, qui a la capacité de stocker un état quantique pendant un certain temps sans le modifier. Cette propriété constitue la différence fondamentale entre une mémoire classique et une mémoire quantique.
Le protocole expérimental que vous avez appliqué permet d’assurer une transaction bancaire de manière sécurisée entre un client et un vendeur. Comment fonctionne concrètement ce protocole et comment peut-il empêcher les fraudes et cyberattaques?
Ce qui distingue ce protocole de ceux, classiques, de sécurité réside dans le fait que l’information est encodée dans des grains élémentaires de lumière, les photons. Le stockage de l’information dans des photons crée une forme de protection intrinsèque: selon les principes de la mécanique quantique, toute tentative de mesure ou d’interception modifie inévitablement l’état du système. Cela agit donc comme une barrière contre les tentatives d’espionnage ou de falsification. Lorsqu’un tiers tente d’intercepter ou de modifier l’information, cela engendre des erreurs détectables lors de la vérification finale.
Le protocole, dans son principe, est relativement simple: si un vendeur souhaite réaliser un paiement, la banque génère une clé aléatoire composée de 0 et de 1 à l’aide d’un générateur de nombres véritablement aléatoires — quantique par nature. Cette séquence est ensuite encodée dans des photons, qui sont stockés temporairement dans une mémoire quantique. Cette mémoire joue le rôle d’une carte bancaire quantique, tandis que les photons représentent, en quelque sorte, l’argent transféré.
Lorsque le client souhaite procéder au paiement, les photons sont envoyés au vendeur, qui effectue des mesures en insérant la carte dans le terminal de paiement. Enfin, une comparaison est effectuée entre la clé mesurée par le vendeur et celle détenue par la banque. Si une personne a tenté de manipuler l’information durant la transmission, cela se traduira par un taux d’erreurs élevé. Dans ce cas, la transaction est considérée comme non sécurisée et est rejetée par la banque. En revanche, si le taux d’erreurs reste inférieur à un certain seuil, la transaction est validée, car jugée sécurisée. Pour que ce protocole fonctionne, il faut que l’efficacité de la mémoire quantique soit supérieure à 50% et qu’elle restitue l’information avec une fidélité quasi-parfaite.
« Pour obtenir 2000 qubits logiques, il faudrait plusieurs millions de qubits physiques »
Le 24 octobre 2023, la start-up technologique américaine Atom Computing a atteint le record d’utilisation de 1180 qubits sur un ordinateur quantique. Quel serait le nombre nécessaire de qubits pour assurer la stabilité de la cryptographie quantique et maintenir les transferts bancaires sécurisés?
Disons que la question se pose plutôt à l’inverse: combien de qubits sont nécessaires pour casser les systèmes de cryptographie classique actuels, et est-ce que cela concerne aussi la cryptographie quantique? La puissance de calcul requise pour briser les schémas de cryptographie classiques est estimée à environ 2000 qubits logiques (ou « parfaits »).
Ces qubits logiques sont construits à partir de qubits physiques — qui, eux, sont imparfaits et sujets à des erreurs. Lorsque des entreprises comme Atom Computing annonce avoir atteint 1180 qubits, il s’agit de qubits physiques, qui ne peuvent pas être utilisés directement pour des calculs fiables à grande échelle. Pour obtenir 2000 qubits logiques, il faudrait plusieurs millions de qubits physiques, en raison de la correction d’erreurs nécessaire. Nous en sommes encore très loin aujourd’hui. Lorsqu’on atteindra réellement cette capacité de 2000 qubits logiques, la cryptographie quantique deviendra indispensable pour garantir la sécurité de toutes les informations sensibles, car les algorithmes classiques de chiffrement, comme RSA ou ECC, pourront alors être cassés en un temps raisonnable.
« Cette synergie entre IA et quantique pourrait engendrer des gains de temps considérables et ouvrir de nouvelles perspectives scientifiques. »
Comment voyez-vous l’avenir de l’informatique quantique et pensez-vous que l’on atteindra le fameux moment de la singularité quantique, où un ordinateur quantique sera capable de surpasser un ordinateur classique?
Un ordinateur classique mettrait des millions d’années à effectuer certains calculs, tandis qu’un ordinateur quantique pourrait réaliser ces mêmes tâches en seulement quelques heures. C’est ce qu’on appelle l’avantage quantique, un phénomène déjà démontré dans des cas très spécifiques. Cela explique pourquoi nous n’avons pas encore d’ordinateurs quantiques universels: leur développement vise à créer des machines capables de surpasser les ordinateurs classiques sur un large éventail de problèmes, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. De nombreuses entreprises spécialisées dans l’informatique quantique s’efforcent de concrétiser cet avantage quantique. Le domaine fait l’objet d’investissements massifs, que ce soit en France, aux États-Unis, en Chine ou ailleurs.
En parallèle, le domaine des communications quantiques se développe également. Il permet non seulement l’échange sécurisé d’informations quantiques sur de longues distances, mais aussi l’interconnexion entre ordinateurs quantiques. Ces deux domaines — calcul et communication quantiques — sont complémentaires et se renforcent mutuellement. Je suis plutôt optimiste quant à l’avenir, en raison des nombreux progrès récents et de l’évolution rapide des technologies quantiques. Nous assistons actuellement au développement conjoint des premiers ordinateurs quantiques et des réseaux de communication quantique, et c’est un véritable privilège de vivre cette révolution technologique.
Par ailleurs, l’intelligence artificielle, développée dans les laboratoires dès les années 2000, a connu un véritable essor autour de 2020. La technologie quantique pourrait suivre une trajectoire similaire. Bien que nous soyons encore dans une phase de développement, il est probable que la quantique devienne un sujet central dans les 10 à 15 prochaines années. De nombreux gouvernements investissent déjà massivement dans ce domaine.
L’IA et l’informatique quantique seront étroitement liées. En effet, les ordinateurs quantiques pourraient fournir la puissance de calcul nécessaire à l’exécution de modèles d’IA particulièrement complexes — par exemple en médecine, pour simuler l’interaction entre un médicament et le corps humain. L’IA, combinée à la puissance du calcul quantique, pourrait ainsi permettre de concevoir de nouveaux traitements contre des maladies aujourd’hui incurables. Cette synergie entre IA et quantique pourrait engendrer des gains de temps considérables et ouvrir de nouvelles perspectives scientifiques.
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