
Africa-Press – Niger. Le Nobel de chimie 2024 a des allures d’évidence. Car, s’il y a un casse-tête biologique qui résistait depuis plus d’un demi-siècle à l’analyse scientifique, c’est bien celui de la prédiction de la structure des protéines.
En effet, connaître la nature des gènes, c’est bien, c’est même fondamental. Mais, cela ne suffit pas. Ce n’est que la première marche du podium permettant d’accéder au graal de la biochimie et de la pharmacologie: les protéines codées par ces gènes et permettant de comprendre comment ils agissent dans un organisme et s’en inspirer pour concevoir, par exemple, de nouveaux médicaments ou des matériaux inédits.
Seulement, entre le contenu d’un gène et la forme de la molécule qu’il code, il y a très loin de la coupe aux lèvres. Car le gène ne permet d’obtenir que la structure primaire, dépliée, d’une protéine. En aucun cas, la forme tridimensionnelle que celle-ci va adopter.
Comme si vous disposiez de la liste de tous les composants d’une voiture mais sans avoir la moindre idée de comment assembler ces centaines de milliers de vis, d’écrous, de tubes, de ressorts, de plaques etc. pour construire un véhicule qui fonctionne…
Un casse-tête totalement insoluble
Or, une protéine n’est efficace que par la structure tertiaire qu’elle prend et qui dépend des interactions entre les centaines voire milliers de briques (les acides aminés ou amino-acides) qui la composent.
Tout comme l’est un outil. Un tournevis et un marteau pourraient être constitués du même nombre d’atomes de fer, c’est leurs formes qui dictent leurs fonctions. Et les fonctions que remplissent les protéines au sein d’une cellule et d’un organisme sont aussi diverses que la palette d’outils d’un artisan.
Ce sont les chevilles ouvrières des processus biologiques. Les protéines transportent les molécules, régulent les activités métaboliques, signalent et activent ou inhibent les transmissions, modifient la vitesse des réactions chimiques, structurent les cellules. On a coutume de qualifier l’ADN de molécule du vivant, mais en vérité ce sont les protéines qui nous font vivre. Or, ce problème de la forme tridimensionnelle des protéines a longtemps été totalement insoluble.
Plus de 200 millions de protéines différentes
Pour vous donner une ampleur du défi à résoudre pour les biologistes: Cyrus Levinthal, un biologiste moléculaire américain, a calculé au début des années 70 que même une petite protéine d’une centaine d’acides aminés pouvait prendre au moins 1047 (10 milliards de milliards de milliards de milliards de milliards) formes différentes !
Et la plus grosse protéine connue chez l’être humain, la connectine, compte 30.000 acides aminés… Et encore ne parlons-nous là que des protéines constituées d’une seule chaîne d’amino-acides. Mais il en existe qui adoptent une structure quaternaire en associant entre elles plusieurs protéines différentes. Le problème est si ardu que certains laboratoires ont consacré plusieurs années à plein temps à la résolution de la structure 3D d’une seule protéine.
Mais, tout ça, c’est de l’histoire ancienne.
Ce qui prenait hier des années à être solutionné, l’algorithme d’intelligence artificielle AlphaFold2 développé en 2020 et mis au point par deux des nobélisés de cette année, le résout désormais en quelques minutes (voir Sciences et Avenir n°890, avril 2021)
Demis Hassabis et John Jumper ont ainsi calculé la structure des quelques 100.000 protéines humaines. Sur leur lancée, ils ont prédit celles des 200 millions de protéines de tous les organismes vivants qui peuplent notre planète.
Concevoir des molécules totalement inédites
La seconde moitié du prix récompense une découverte différente mais intimement liée. David Baker a, lui, mis à profit la puissance de l’outil informatique afin de concevoir des protéines totalement inédites qui n’existent pas dans la nature et pourvues de nouvelles fonctions. Top7, en 2003 fut la première du genre.
Par la suite, ont été conçues des protéines capable de détecter des traces de fentanyl dans l’air (2017), des nanoparticules qui imitent le virus du rhume et peuvent être utilisées comme vaccins (2021), des protéines qui changent de forme selon les conditions environnementales et faisant office de détecteurs (2024).
La révolution biochimique ne s’arrête pas là. En mai 2024, Google DeepMind a annoncé la sortie de la nouvelle mouture de leur outil, AlphaFold3, capable de prédire la structure et les interactions des protéines avec notamment l’ADN et l’ARN.
On peut légitimement s’inquiéter de la place croissante qu’occupe aujourd’hui l’intelligence artificielle dans nos existences. Mais, il est indéniable que sans elle, la biochimie n’aurait pu faire ce pas de géant récompensé par le Nobel de cette année.
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