Africa-Press – Niger. Comment annoncer la découverte d’un indice de vie sur Mars qui serait encore incertain ou ambigu? Divulguer pareils résultats sans susciter de fausses attentes, déformer les connaissances scientifiques, déclencher un emballement des médias? Ces questions étaient au cœur d’une conférence organisée l’année dernière par l’Agence spatiale américaine. Plus de 250 personnes y ont participé, parmi lesquelles des astrophysiciens, planétologues et exobiologistes, mais aussi des journalistes et experts en communication.
« C’est le premier colloque que la Nasa consacre à la manière d’annoncer de possibles signes d’activité biologique dans l’Univers « , explique Jordan Bimm, historien des sciences à l’université de Chicago (États-Unis) et codirecteur du symposium. Alors que les recherches s’intensifient dans le Système solaire et sur des exoplanètes situées à des dizaines d’années-lumière de la Terre, et que des résultats importants sont attendus dans les années 2030 et 2040, plusieurs intervenants ont appelé à développer de nouveaux outils de communication: des protocoles adaptés à la divulgation d’éléments de preuve très subtils, telles des combinaisons particulières de molécules ou des traces de microfossiles. « Nous devons préparer le public et les médias à des processus de découverte lents, complexes et graduels, à s’armer de patience et s’habituer à l’incertitude « , avertit Jordan Bimm.
Un événement survenu en 2020 a joué « un rôle clé dans cette prise de conscience « , précise-t-il. Une équipe dirigée par l’astronome Jane Greaves, de l’université de Cardiff (Royaume-Uni), fait alors une annonce fracassante. Grâce au télescope James-Clerk-Maxwell installé à Hawaii (États-Unis), elle prétend avoir détecté de la phosphine dans l’atmosphère de Vénus – à 60 km d’altitude, où les températures et pressions, bien plus clémentes qu’en surface, avoisinent 30 °C et 1 bar.
Sur Terre, cette molécule, composée d’un atome de phosphore et de trois d’hydrogène, n’est produite que par des bactéries ou des procédés industriels. Mais sur Vénus, aucun processus chimique connu, « ni dans l’atmosphère, les nuages, la surface et le sous-sol, ni via les éclairs, l’activité volcanique ou l’impact de météorites « , n’explique les observations, affirme Jane Greaves. De quoi imaginer une vie microbienne dans les nuages de Vénus, répètent à l’envi les chercheurs gallois.
Une annonce retentissante pour un résultat non confirmé
L’équipe avait préparé son coup. Un an auparavant, alors que les mesures du James-Clerk-Maxwell étaient déjà réalisées mais pas encore ébruitées, certains de ses membres avaient publié une étude indiquant que si l’on détectait un jour de la phosphine sur Vénus, ce serait un marqueur très fort de la vie… CQFD !
Par la suite, d’autres chercheurs rappelleront pourtant que cette molécule a été identifiée il y a plus de quarante ans dans l’atmosphère de Jupiter et de Saturne, où une forme de vie peut difficilement être soupçonnée. Surtout, aucune analyse indépendante ne confirmera la présence de ce gaz sur Vénus. Le signal spectroscopique, très faible, a été manifestement confondu avec du dioxyde de soufre, estiment aujourd’hui les experts.
Entre-temps, la Nasa a décidé de financer deux missions d’exploration de Vénus – Davinci et Veritas, coûtant chacune 500 millions de dollars – qui seront lancées vers 2030. L’affaire de la phosphine tombait donc à pic pour influencer ce choix ! « Cette histoire a marqué les esprits et suscité une série de réponses « , indique Jordan Bimm. Dès l’été 2021, la Nasa mettait sur pied un groupe de travail visant à prévenir et corriger les annonces trompeuses, et garantir aussi la crédibilité des futures communications sur les recherches de biosignatures. « Si l’on crie au loup trop souvent, le risque est de ne plus être audible et de miner la crédibilité scientifique », alerte Perig Pitrou, anthropologue au Collège de France.
« Ces dernières années, il y a eu beaucoup de fausses promesses et de bruit médiatique autour de la vie extraterrestre. Beaucoup de personnes pensent ainsi qu’elle a déjà été mise en évidence « , déplore le biochimiste Cyrille Jeancolas, responsable des actions scientifiques interdisciplinaires au CNRS.
Une échelle à 7 niveaux pour caractériser la découverte
Parmi les préconisations du groupe de travail de la Nasa: établir des critères communs pour jauger la robustesse d’un indice de vie et développer des systèmes d’évaluation permettant de classer chaque découverte selon la nature des observations et les éléments qu’il resterait à découvrir. Quelques mois plus tard, le scientifique en chef de l’agence spatiale américaine James Green présentait dans la revue Nature le fruit de ces réflexions: une échelle à sept niveaux, baptisée Confidence of Life Detection (Cold), caractérisant « l’état d’avancement d’une enquête scientifique sur une biosignature potentielle « .
Première étape: la détection d’un signal, telle une molécule inhabituelle dans une roche martienne, qui pourrait être liée à la vie mais explicable par des mécanismes géochimiques. Deuxième: vérifier que l’observation ne résulte pas d’une contamination terrestre, issue d’un rover martien par exemple. Troisième: montrer que l’environnement où la découverte a été faite est propice à la vie, tel un lac asséché sur la planète Rouge. Quatrième: écarter tous les processus non biologiques connus qui pourraient produire le même signal. Cinquième: détecter des indices additionnels et convergents d’activité biologique dans le milieu concerné, tels des constituants cellulaires. Sixième: des équipes indépendantes parviennent aux mêmes conclusions par d’autres méthodes, grâce au retour d’échantillons martiens en particulier. Enfin, l’ultime jalon: d’autres biosignatures prédites sur la base des résultats précédents sont identifiées, dans une autre région de Mars notamment.
Ce cadre présente plusieurs avantages, insiste James Green. Il permet à un public non spécialisé d’estimer « rapidement l’importance d’un nouveau résultat « , mais aussi de situer « l’état des connaissances sur une cible d’exploration donnée « , d’apprécier « les capacités et limites d’un instrument de mesure » ou de « formuler de nouveaux objectifs scientifiques « , pose le chercheur.
« Je souscris tout à fait à ce type d’approche « , acquiesce Perig Pitrou. Si l’on reste focalisé, dans les recherches de vie extraterrestre, sur une réponse uniquement positive ou négative, on présente une image très réductrice de la science, développe le chercheur: « Cela donne l’impression qu’on n’aurait réalisé aucun objectif tant que ce résultat ne sera pas atteint. Et l’on produit finalement une forme de scepticisme voire de défiance par rapport à la science. »
Dans leur registre, les niveaux de vérification de l’échelle Cold exposent finalement ce qu’est la démarche scientifique, ajoute Perig Pitrou. « Et la question, bien plus riche me semble-t-il, sera alors moins de savoir si l’on a découvert ou non une vie extraterrestre, mais quels moyens l’humanité met en œuvre pour avancer dans la compréhension d’autres mondes planétaires et de ce qu’est la vie. »
Obtenir le plus fort taux de consensus chez les experts
Si l’échelle Cold a trouvé un écho positif et fait partie des ressources que la Nasa compte utiliser pour ses futures missions d’exploration, elle possède aussi ses faiblesses. Ce barème est de fait très schématisé et linéaire, alors que les recherches procèdent souvent par sauts, bifurcations, retours en arrière, etc. « D’autres barèmes, plus ou moins dans le même esprit, ont été proposés ces dernières années », observe Cyrille Jeancolas.
En 2023, en collaboration avec des chercheurs britanniques et américains, il a contribué lui-même à un autre dispositif. Leur constat de départ: le quatrième niveau de l’échelle Cold, qui exclut « tous les processus non biologiques connus « , est éminemment problématique. « Il dépend de l’état des connaissances à un moment donné, pointe Cyrille Jeancolas. Sans compter qu’on ne sera jamais certain, par définition, d’avoir exploré toutes les explications non biologiques possibles à un phénomène. » Le mieux que l’on puisse faire, estime-t-il, serait de mesurer le niveau de consensus auprès d’un groupe pluridisciplinaire de spécialistes (biologistes, chimistes, physiciens…), garants de l’état de l’art.
Leur protocole est donc fondé, non seulement sur la robustesse et l’accumulation d’arguments en faveur d’une vie extraterrestre (selon trois paliers: faible, moyen et fort), mais aussi sur le degré d’accord qu’ils suscitent au sein d’un panel d’experts – là aussi selon trois niveaux, soit neuf scores possibles en tout. Ainsi, la plus convaincante des découvertes serait celle qui combinerait des preuves nombreuses, solides et éliminant un maximum d’explications alternatives avec un fort taux de consensus.
C’est de cette manière que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) procède depuis plus de trente ans pour évaluer une foule d’informations et produire ses rapports successifs. « Cet outil n’est certes pas la panacée, mais il a passé l’épreuve du temps face à des examens extraordinairement minutieux et des enjeux aussi élevés que possible « , conclut Cyrille Jeancolas.
Les candidats à la vie extraterrestre recalés par les études
Signal « Wow ! »: C’est par cette exclamation que l’Américain Jerry Ehman exprime sa surprise lorsqu’il découvre, en 1977, un signal radio d’une intensité 30 fois supérieure au bruit de fond de l’Univers, en provenance de la constellation du Sagittaire. La fréquence de 1420 MHz est par ailleurs très proche de celle attendue pour un message extraterrestre. Aucun autre signal de ce type ne sera pourtant détecté. Selon des études récentes, il proviendrait d’un nuage interstellaire d’hydrogène.
Météorite ALH 84001: En 1996, le président américain Bill Clinton annonce que la météorite ALH 84001 pourrait contenir les preuves d’une vie martienne fossilisée: des globules riches en carbonates et minéraux, mais surtout de minuscules structures filamenteuses et tubulaires, que des chercheurs de la Nasa attribuent à des micro-organismes. Des années d’études seront nécessaires pour prouver, de manière formelle, que des processus chimiques ont façonné ces morphologies.
Étoile de Tabby: L’Américaine Tabetha Boyajian découvre en 2015 qu’une étoile située à 1500 années-lumière de la Terre présente des baisses de luminosité importantes (22 %) et imprévisibles, échappant aux explications habituelles. Comme si cette étoile était entourée d’une mégastructure artificielle visant à absorber son énergie, avancent plusieurs astronomes. Des analyses ultérieures montreront que les clignotements de l’étoile ont été produits par les débris d’un astre voisin, récemment détruit.
Oumuamua: Détecté en 2017, ce corps de 150 m de diamètre issu d’une autre étoile que la nôtre est le premier objet interstellaire connu. Sa forme de galette, ses accélérations et l’absence de queue cométaire intriguent les scientifiques. Pour Avi Loeb, de l’université Harvard (États-Unis), il pourrait s’agir d’un vaisseau extraterrestre. La plupart des chercheurs rejettent cette hypothèse, estimant qu’Oumuamua est une comète éteinte ayant perdu la quasi-totalité de ses éléments volatils.
Phosphine: L’annonce avait fait grand bruit en 2020: Vénus, notre plus proche voisine, contient de la phosphine dans son épaisse couverture nuageuse – une molécule qui pourrait être produite par des micro-organismes. Sur Terre, elle n’est synthétisée en effet que par des bactéries anaérobies. Mais cette détection ne sera confirmée par aucune étude indépendante. En lieu et place d’un signe de vie, le gaz observé serait en réalité du dioxyde de soufre.
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