Tchad: L’Opposant Succès Masra Condamné à 20 Ans

9
Tchad: L’Opposant Succès Masra Condamné à 20 Ans
Tchad: L’Opposant Succès Masra Condamné à 20 Ans

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Tchad. L’éminente figure de l’opposition tchadienne, Succès Masra, qui a comparu mercredi 6 août devant la chambre criminelle de la Cour d’appel de N’Djamena, lors d’un procès qui a suscité une vive inquiétude parmi les organisations de défense des droits humains et la société civile, a été condamné à une peine de 20 ans d’emprisonnement, prononcée contre lui le samedi 9 août 2025, sachant que le procureur de la République du Tchad avait requis contre lui une peine de 25 ans.

Masra, ancien Premier ministre pendant la période de transition, et leader de l’opposition au Tchad, qui fait face à de graves accusations, notamment d’incitation à la haine, d’implication dans la formation de bandes armées et de participation aux violences qui ont fait 76 morts lors des événements sanglants survenus dans le village de Mandakao en mai dernier, dans la province du Logone Occidental, située dans le sud-ouest du pays.

Ce verdict est l’aboutissement d’un procès fondé sur des accusations à caractère politique, a laissé entendre l’organisation Human Rights Watch qui a ajouté que « La peine infligée à Succès Masra envoie un message effrayant aux détracteurs du gouvernement et illustre l’intolérance du gouvernement tchadien à l’égard des critiques et des partis politiques d’opposition ».

Le Directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch, Lewis Mudge, a déclaré quant à lui que « Les tribunaux ne devraient pas être utilisés à de telles fins politiques ».

Human Rights Watch n’a pas encore pu voir le jugement du tribunal, certes, mais s’est entretenu avec des personnes qui ont assisté au procès, notamment certains des avocats de l’opposant politique. Si les affrontements entre éleveurs et agriculteurs sont fréquents dans le sud du Tchad, les violences intercommunautaires se sont intensifiées ces dernières années, faisant de nombreux morts.

• Un procès tenu dans un climat politique tendu

Pour rappel, le procès intervient dans un climat politique tendu, Masra ayant rejoint l’opposition après avoir quitté le gouvernement et réclamé des réformes démocratiques plus profondes.

L’ancien Premier ministre Succès Masra, qui fût arrêté le 16 mai 2025, est qualifié de « fervent détracteur du président Mahamat Idriss Deby », et le tribunal pénal de N’Djamena l’a reconnu coupable de « diffusion de messages à caractère haineux et xénophobe » et de « complicité de meurtre », liés à un conflit intercommunautaire.

Pour revenir aux audiences du tribunal, il importe de noter qu’elles se sont déroulées sous haute surveillance, tandis que les journalistes ils ont été empêchés de couvrir les débats à l’audience, ce qui a aggravé l’affaire et creusé les divisions au sein de l’opinion publique tchadienne.

Réagissant à l’annonce du verdict, Me Saïd Larifou, avocat comorien membre du Collectif des Avocats de Dr Succès Masra, a estimé que les accusations manquaient de preuves, accusant les autorités judiciaires d’être influencées par des pressions politiques, tout en appelant la communauté internationale à s’intéresser à l’affaire afin de garantir le respect des droits de la défense.

Selon lui « il ne s’agit nullement d’une procédure de justice, mais d’un règlement de comptes politique », quant à Succès Masra, qui a plaidé non coupable, a été jugé aux côtés de 74 autres personnes, tous accusés de collaboration dans les tueries de Mandakao.

Alors qu’au moins neuf des coaccusés ont été libérés, tous les autres ont été condamnés à 20 ans de prison. Le tribunal a également infligé une amende d’un milliard de francs CFA (environ 1,8 million de dollars américains) à l’opposant politique et à ses coaccusés. Les avocats de Succès Masra et des autres accusés ont annoncé quant à eux leur intention de faire appel devant la Cour suprême.

• Comment Masra a-t-il perçu ce verdict?

Toujours avec son large sourire aux lèvres, comme il l’a affiché tout au long du procès, le leader de l’opposition a montré un calme et resté serein après le verdict, accordant même des accolades à ses avocats qui ont crié à l’injustice, selon la presse internationale.

« Ne vous inquiétez pas, on se retrouvera bientôt », a lancé à ses partisans et proches, l’opposant tchadien Succès Masra, qui venait d’être condamné à 20 ans de prison ferme par le Tribunal de grande instance de N’Djamena, dans la soirée de ce samedi, en quittant la cour entouré de plusieurs gardes armés, sous les regards découragés et démoralisés de ses militants dont certains en larmes.

Il importe de noter que la condamnation de Succès Masra intervient dans un contexte de rétrécissement de l’espace politique au Tchad. Lui et les partisans de son parti d’opposition « Les Transformateurs » ont été victimes de menaces avant les élections présidentielles de mai 2024, lors desquelles Masra s’était porté candidat contre Mahamat Idriss Deby, alors président de la transition. La période précédant les élections avaient été marquée par des violences.

« La condamnation de Succès Masra a anéanti les espoirs d’une véritable opposition politique et d’un système judiciaire indépendant au Tchad », a déclaré le Directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch, Lewis Mudge. « Les partisans régionaux et internationaux du Tchad devraient dénoncer ce jugement motivé par des considérations politiques et exhorter les dirigeants du pays à tenir leur promesse de réforme démocratique », a-t-il ajouté.

De son côté, le coordonnateur des avocats de la défense, Francis Kadjilembaye, a fait la présente déclaration aux médias: « Notre client vient de faire l’objet d’une humiliation, d’une ignominie. Il vient d’être condamné sur la base d’un dossier vide et sur la base de supputations, en l’absence de preuves ».

• Réaction des partisans du parti « Les Transformateurs »

Tout de suite après l’annonce du verdict concernant Succès Masra, les militants du parti « Les Transformateurs » se sont rassemblés à N’Djamena, dans la soirée du samedi 9 août, pour protester contre la condamnation de leur président.

De même, le parti « Les Transformateurs » a annoncé aussitôt la désignation de Bedoumra Kordjé, un ancien ministre des finances tchadien et ancien vice-président de la Banque africaine de développement (BAD), au poste d’administrateur provisoire, dans un contexte complexe marqué par une vacance à la tête du parti.

On peut dire que cette nomination, intervenue en amont du verdict judiciaire concernant le président du parti, a suscité des interrogations et des débats au sein de l’opinion publique. Cette décision judiciaire, ainsi que la nouvelle configuration interne du parti, pourraient influencer sa stratégie et sa dynamique politique dans les mois à venir.

• Pourquoi donc le parquet avait requis 25 ans de prison?

Le parquet accuse Succès Masra d’avoir encouragé des manifestations qui ont dégénéré en affrontements meurtriers avec les forces de sécurité.

Parmi les accusations retenues contre lui, on relève:

-/- Complicité de troubles insurrectionnels,

-/- Incitation à la révolte,

-/- Désordre public,

-/- Attaque contre l’autorité de l’État.

Du point de vue contexte politique, selon le pouvoir politique mis en place, Masra est un opposant majeur au président Mahamat Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis 2021, et considère son mouvement comme une menace et l’accuse de vouloir déstabiliser le régime.

La justice tchadienne, souvent perçue comme peu indépendante, est soupçonnée de servir des intérêts politiques dans cette affaire.

La peine de 25 ans demandée donc par le parquet, s’inscrit dans un contexte de répression politique au Tchad, où le pouvoir utilise souvent la justice pour réduire au silence ses opposants. Masra reste une figure clé de l’opposition, mais son avenir politique dépendra des négociations avec le régime.

• Contexte juridique et relatif aux droits humains

Les organisations internationales Human Rights Watch et Amnesty International ont critiqué le procès (politique) de Succès Masra, soulignant de potentielles violations des normes juridiques, telles que:

-/- Sa détention prolongée sans procès,

-/- Les restrictions à son droit à la défense,

-/- L’utilisation du pouvoir judiciaire comme outil pour réprimer la dissidence.

Néanmoins, le gouvernement tchadien a rejeté catégoriquement ces critiques et en mettant l’accent sur la légalité de la procédure.

Toutefois, et cela n’échappe pas aux observateurs et aux experts des affaires africaines, il s’agir là d’une affaire qui reflète le conflit entre le régime au pouvoir et l’opposition au Tchad, tout en illustrant la fragilité du paysage politique post-Deby.

Une condamnation sévère pourrait aggraver la crise et alimenter davantage l’instabilité, surtout si le système judiciaire est instrumentalisé politiquement.

L’évolution future sera déterminante pour la voie de la démocratie ou de l’autoritarisme dans le pays.

• Quelles seraient les répercussions potentielles?

– Escalade des tensions politiques: Cette condamnation pourrait entraîner de nouvelles manifestations ou un durcissement des positions de l’opposition.

– Réactions internationales: Des organisations telles que les Nations Unies et l’Union africaine pourraient s’élever contre ce qui est perçu comme un procès politique.

– Avenir de la transition démocratique: Le Tchad traverse une phase sensible après le report des élections, et cette décision pourrait saper la confiance des partis dans le processus politique.

Du point de vue stabilité du pays, on pourrait s’attendre à des risques de tensions ethniques, du fait que le procès a mis en lumière les divisions entre les « Ngambayes » (l’ethnie de Masra) et les « Peuls », avec un potentiel d’exacerbation des conflits intercommunautaires.

Par ailleurs, alors que Mahamat Idriss Deby cherche à consolider son pouvoir après l’élection de 2024, cette condamnation pourrait miner sa légitimité tant au niveau national qu’international.

Un rétrécissement de l’espace politique est possible d’être vécu, sachant que la condamnation s’inscrit entre-autres dans une série de mesures restrictives contre l’opposition, incluant l’assassinat en février 2024 de Yaya Dillo, président du Parti socialiste sans frontières.

Un message dissuasif est passible de faire son apparition, comme le note le porte-parole du mouvement Wakit Tama, qui a affirmé que cette condamnation adresse bien un message clair à tous ceux qui oseraient s’opposer au régime actuel.

• Que démontreront les perspectives futures?

On doit s’attendre à ce que les avocats de Succès Masra mettent en exécution leur intention de faire appel devant la Cour suprême. Cependant, dans un système judiciaire perçu comme instrumentalisé par le pouvoir, les chances d’un revirement semblent minces.

Le paradoxe sera tel que cette condamnation pourrait transformer Masra en symbole de la résistance démocratique au Tchad, comme le suggère son message, en quittant la salle d’audience: « Je reviens bientôt ».

Pour ce qui est da la réaction de la communauté internationale, particulièrement la France et les organisations africaines, elle sera observée du point de vue réaction face à ce qui apparaît comme un « nouveau durcissement du régime tchadien ».

Hors-mis le fait que cette affaire soit perçue comme un test de crédibilité pour la transition démocratique au Tchad, le régime se voit « accusé » d’avoir éliminé des rivaux avant la présidentielle.

Par ailleurs, le Tchad pourrait subir des pressions de la part de l’Union africaine et de l’Occident si le procès est jugé inéquitable.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Tchad, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here