Africa-Press – Tchad. Financement de la sortie de crise, nouvelles priorités africaines… La patronne du Fonds monétaire international fait le bilan de 18 mois mouvementés pour le continent et s’alarme du risque de divergences des économies africaines.
« Une réponse sans précédent à une crise sans précédent. » C’est ainsi que Kristalina Georgieva résume l’action du Fonds monétaire internationale (FMI) face à la crise du Covid-19. L’économiste bulgare, ancienne numéro deux de la Banque mondiale et ex-Commissaire européenne au développement, a « ouvert les vannes » et mobilisé 33 milliards de dollars (29,5 milliards d’euros) de financements en faveur des pays africains, grâce aux Droits de tirage spéciaux (DTS), instruments monétaires alloués par le FMI et qui ont cette particularité de ne pas aggraver l’endettement des pays récipiendaires. Sous la houlette de Georgieva, le détachement progressif du Fonds d’une approche ultra-orthodoxe en termes de politique économique entamé sous ses prédécesseurs, les Français Dominique Strauss-Kahn et Christine Lagarde, a connu une très nette accélération. L’allocation de DTS en faveur des pays africains s’est doublée de programmes de financements d’urgence et de mesures de suspension de dette.
Si Kristalina Georgieva s’est beaucoup engagée en faveur du continent, ce dernier le lui a bien rendu. Seize ministres africains de l’Économie et des Finances ont pris publiquement sa défense – avec succès – en octobre, quand elle avait été mis en cause pour son rôle passé, à la Banque mondiale, dans la controverse au sujet du rapport Doing Business. Alors que l’édition de janvier 2022 de Perspectives de l’économie mondiale, rapport phare du FMI, a réduit d’un demi-point de pourcentage à 4,4 % les prévisions de croissance à travers la planète, et de 0,1 point à 3,7% celle de l’Afrique subsaharienne, Jeune Afrique a pu interviewer la directrice générale du Fonds.
Dans cette seconde partie de l’interview qu’elle nous a accordée, la dirigeante du FMI tire les enseignements de cette période mouvementée et inédite à l’échelle du continent et de l’économie mondiale, ainsi que des longues négociations conduites avec plusieurs pays. Enfin, cette proche de Ngozi Okonjo-Iweala, directrice de l’Organisation mondiale du commerce, s’est appesantie sur les nouveaux challenges posés par l’actuelle sortie de crise en ordre dispersée des économies africaines.
Jeune Afrique : Vos deux années et demie aux commandes du Fonds monétaire international ont coïncidé en grande partie avec la crise du Covid-19. Alors que la reprise économique se consolide à travers le monde, quel bilan en tirez-vous ?
Kristalina Georgieva :
Nous avons fait face à une crise sans précédent et nous lui avons apporté une réponse qui l’est tout autant. Le Fonds a apporté non seulement des financements, mais formulé aussi des diagnostics précis de la crise et de la réponse qu’elle exige. Pour commencer , nous avons constaté qu’il s’agissait d’un choc de l’offre et de la demande. Nous avons dès lors formulé un conseil peu orthodoxe pour le FMI : « Dépensez mais garder les reçus ! » Puis nous avons joint l’acte à la parole en accordant très rapidement des prêts aux pays qui en avaient besoin, ceux dont la marge de manœuvre budgétaire et monétaire était limitée. En association avec la Banque mondiale, nous avons également mis en place l’Initiative de suspension du service de la dette des pays les plus vulnérables : 31 d’entre eux ont été ainsi exemptés de rembourser les créances dues au FMI par le Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes.
Nous avons non seulement la pandémie encore à combattre, mais également une hausse de l’inflation et des niveaux d’endettement
Enfin, quand il est devenu évident que la sortie de la crise était inexorablement liée à la réponse à la pandémie, nous avons fait passer ce message très simple : « La politique vaccinale est une politique économique. » Et avons ensuite travaillé sans relâche pour que cela soit intégré dans les réponses de chaque pays. Je suis fière du travail accompli avec mes collègues. Mais, nous ne pouvons pas être complaisants car les défis à relever restent énormes.
Qu’entendez-vous par cela ?
En 2020, une fois que nous avons fait le diagnostic de la crise, la réponse a été à peu près uniforme: politique monétaire accommodante, soutien fiscal et action rapide pour les pays dans les plus grandes difficultés. Aujourd’hui, en 2022, nous avons non seulement la pandémie qui reste encore à combattre, mais également une hausse de l’inflation et des niveaux d’endettement. Résultat : les pays se trouvent dans des situations différentes, qu’il s’agisse des problèmes auxquels ils sont confrontés, de leurs capacités à les résoudre et des solutions à appliquer. Un ensemble de politiques beaucoup plus diversifié est désormais nécessaire pour répondre aux circonstances spécifiques de chaque pays. La reprise est donc inégale et présente un risque très important de disparités entre les pays. Au demeurant, la pandémie a créé un important déficit financier. Pour le continent, nous estimons qu’entre 2021 et 2025, l’Afrique aura besoin de 285 milliards de dollars, seulement pour surmonter les effets du Covid-19. Il en faudra à peu près deux fois plus pour qu’elle retourne sur la trajectoire de convergence économique avec les pays avancés.
Dans ce contexte, les interventions du Fonds évoluent.
Le directeur du département Afrique du FMI, Abebe Selassie, donne le coup d’envoi d’un zoom call sur la mobilisation avec l’Afrique lors des assemblées annuelles 2020 au Fonds monétaire international à Washington, DC, le 9 octobre 2020. © Cory Hancock/FMI/Flickr
D’un, la surveillance bilatérale devient beaucoup plus importante, car la sortie de la crise se profile à l’horizon, ce qui signifie également la sortie des soutiens d’urgence. De deux, si les situations d’urgence sont derrière nous, les réformes doivent se poursuivre. Aussi, nos interventions reviendront probablement sous des formes de financements plus traditionnelles. Toutefois, et c’est le troisième aspect important, nous continuons d’innover pour trouver des solutions pour accompagner nos pays membres dans leur cruciale transformation vers des économies numériques, à faible émission de carbone et résistante au changement climatique.
Vous avez évoqué les deux messages clés du FMI pendant la crise, sur la politique vaccinale et sur la nécessité de « garder les reçus ». Considérez-vous que ces recommandations ont été suivies sur le continent ?
En ce qui concerne la vaccination, le verre est à moitié plein. Certes, seuls sept pays africains ont atteint l’objectif de 40 % de vaccinations à la fin de 2021. Mais d’un autre côté, vers la fin de l’année 2021 nous avons ainsi constaté un assouplissement des contraintes d’offre et une augmentation significative des livraisons de vaccins, y compris en Afrique. Le plus grand défi est de transformer ces vaccins livrés en piqûres dans le bras. Ce qui revient à travailler pour renforcer la distribution, les systèmes de santé de certains pays, et l’autonomie dans la production, et de surmonter les hésitations face au vaccin…
Sur le second point, il faut noter que pour la première fois, notre financement d’urgence a inclus des recommandations en matière de transparence et responsabilité, y compris d’audits ex-post des dépenses d’urgence en réponse à la pandémie. Nous sommes en train d’examiner ces rapports pour voir comment ces recommandations ont été mise en œuvre. Même si les résultats ne sont pas les mêmes partout, globalement les « reçus » ont été conservés.
Certain de pays ont choisi d’utiliser une part de leurs DTS pour renforcer leurs systèmes de santé, et c’est la bonne chose à faire.
En août 2021, le Fonds a approuvé une allocation générale de 650 millions de dollars en Droits de tirage spéciaux. Sait-on à quels niveaux leur déploiement se trouve dans le cas des pays africains ?
Nous avons livré, immédiatement après la décision d’allocation, l’équivalent de 33 milliards de dollars en DTS aux pays africains, dont 23 milliards de dollars pour les pays subsahariens, dans certains cas, cela correspondait à 6 % du PIB. Le grand avantage des DTS est qu’ils n’alourdissent pas la dette. Les États ont déployé ces fonds de manières variées. Le Cameroun et le Kenya ont décidé d’utiliser la moitié de l’allocation pour la relance budgétaire, et l’autre moitié pour l’expansion des réserves de devises. Dans le cas du Rwanda, 70 % de l’allocation est allé au financement du budget, de projets sociaux et des réparations suite à la récente éruption volcanique. D’autres pays ont mis à profit leur allocation pour rembourser des créances domestiques très coûteuses, afin de réduire le coût du service de la dette.
Un certain nombre de pays ont aussi choisi d’utiliser une part de leurs DTS pour renforcer leurs systèmes de santé afin de faire face à la pandémie, et c’est la bonne chose à faire. J’ai rencontré récemment le président Macky Sall au Sénégal et j’ai été ravie d’apprendre qu’une partie des DTS serait injectée dans la production nationale de vaccins. J’ai eu le plaisir de visiter l’Institut Pasteur de Dakar. Le Sénégal développe sa propre capacité de production de vaccins, tout comme cinq autres pays africains (Algérie, Égypte, Maroc, Afrique du Sud et Rwanda). Nous sommes très favorables à cette initiative. Toute utilisation des ressources additionnelles pour faire face à la pandémie devrait se faire de façon aussi transparente et efficace que possible. C’est la condition nécessaire pour l’approbation de futures allocations si un jour nous devons faire face à une crise similaire ou de plus grande ampleur.
Lors de la conférence sur le financement des économies africaines, en mai, à Paris, vous avez plaidé en faveur d’une réaffectation des DTS en direction des pays africains. Où en est ce processus et comment ces fonds seront-ils utilisés ?
J’ai de très bonnes nouvelles à ce sujet. L’ambitieux objectif fixé est la réaffectation de l’équivalent de 100 milliards de dollars de DTS vers les pays qui ont réellement besoin d’un soutien financier. Et nous sommes maintenant bien au-delà de la moitié de ce montant, avec 60 milliards de dollars en promesses de contribution [comme confirmé par le G20 le 18 février]. Et je suis très confiante quant au fait que nous atteindrons la barre des 100 milliards.
Nous allons déployer ces ressources par le biais de deux canaux. Premièrement, à travers le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance [PRGT en anglais, guichet d’accès à des financements concessionnels, ndlr], qui est notre instrument de financement le plus important en Afrique et dont nous avons déjà considérablement augmenté les capacités. En 18 mois, nous avons approuvé l’équivalent de 13 fois le niveau annuel moyen de financement de la région. Et ce au moment même où les pays africains en avaient besoin d’urgence.
La directrice générale Kristalina Georgieva participe au Sommet sur le financement des économies africaines au Grand Palais Éphémère, ,en mai 2021. À droite, le président sénégalais Macky Sall. © IMF Photo/Cyril Marcilhacy
Les DTS réaffectés seront également déployés à travers le tout nouveau Fonds pour la résilience et la durabilité. Il s’agit là encore d’une première fois dans notre histoire, car nous pourrons désormais offrir des financements à plus longue maturité, avec des périodes de grâce plus conséquentes pour accompagner les pays dans la transformation de leurs économies vers une croissance à faible émission de carbone et résiliente au changement climatique, et les aider à se préparer aux pandémies à venir. Notre objectif est d’obtenir initialement environ 50 milliards de dollars de DTS, que nous proposons de déployer dans des prêts de DTS à très faible taux d’intérêt, avec un délai de grâce de dix ans et une maturité de vingt ans.
Il faut maintenir l’engagement avec la société civile, pour obtenir un retour d’information.
La Tunisie a demandé un nouveau programme de financement auprès du FMI. Sait-on à quel niveau se trouvent les négociations ?
Comme toujours, nous sommes prêts à soutenir la Tunisie. Nous menons actuellement une série de discussions techniques pour examiner le programme de réformes que les autorités tunisiennes envisagent de mettre en place. Nos recommandations n’ont pas varié : il faut construire des fondamentaux solides pour une croissance inclusive, menée par le secteur privé et riche en emplois. Les autorités doivent également communiquer aux populations les défis auxquels est confrontée la Tunisie . L’expérience montre que lorsque les réformes sont largement soutenues, elles ont de bien meilleures chances de réussir. Une très bonne entente se construit entre les autorités et le Fonds. Restez donc à l’écoute, nous vous tiendrons informés.
Qu’en est-il de l’accord de financement avec le Congo-Brazzaville ?
Fin janvier, notre conseil d’administration a approuvé un programme de trois ans. Il s’agit d’aider le Congo — dont l’économie est dépendante des hydrocarbures dans un monde en transition énergétique — à aller vers une reprise plus résiliente et plus inclusive. Nous avons intégré une composante de gouvernance assez importante dans le programme, car c’est la condition préalable au succès. L’un des éléments clés est la loi anti-corruption qui doit prendre effet au cours des prochaines semaines. Enfin, je tiens à souligner combien il est important de maintenir l’engagement avec la société civile, pour obtenir un retour d’information sur la façon dont les mesures envisagées se traduisent dans la vie réelle. Et ce afin d’adapter le déploiement de nos capacités et que notre soutien aide à surmonter les obstacles rencontrés le plus efficacement possible.
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