CAN 2022 : les Cœlacanthes des Comores découvrent le haut niveau

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CAN 2022 : les Cœlacanthes des Comores découvrent le haut niveau
CAN 2022 : les Cœlacanthes des Comores découvrent le haut niveau

Africa-Press – Tchad. Des regrets. Beaucoup de regrets. Face à des Gabonais sans panache, les Comoriens ont réussi à confisquer le ballon (63 % de possession), mais pas à faire vibrer les filets de leur adversaire. Lundi 10 janvier, au stade Ahmadou-Ahidjo de Yaoundé, les Cœlacanthes – le surnom de l’équipe nationale, qui le tient d’un poisson à nageoires charnues – ont été battus (0-1) par des Panthères pourtant minées, entre autres, par l’absence de leur star, Pierre-Emerick Aubameyang, positif au Covid-19.

La victoire est certainement ailleurs : pour la première fois de leur histoire, ils ont foulé une pelouse – même abîmée – d’une Coupe d’Afrique des nations (CAN). « Le Gabon nous a donné une vraie leçon de réalisme, a reconnu Amir Abdou, le sélectionneur. La pression du premier match de CAN de l’histoire ? Peut-être, au début, il faut gérer les émotions, on est rentrés dans le match un petit peu timorés. On n’a pas réussi à développer notre football au départ. »

Les Comoriens s’étaient pourtant promis de ne pas venir au Cameroun pour distribuer les points à leurs rivaux du groupe C (Gabon, Ghana, Maroc). « Nous ne sommes pas là pour faire de la figuration. Notre objectif est d’aller le plus loin possible. Notre présence à la CAN est l’aboutissement d’un travail de tout d’un groupe, de toute une nation. On part de loin », expliquait, avant le début de la compétition, Nadjim Abdou, 37 ans, le capitaine.

« J’ai professionnalisé le staff »

Il y a une dizaine d’années encore, les Comores – archipel au large du Mozambique – étaient noyées au fin fond du classement de la Fédération internationale de football (FIFA) : 198e nation sur 207. Youssouf M’Changama, 31 ans – qui évolue à Guingamp, en Ligue 2 –, n’est pas près d’oublier sa première sélection, en 2010. « Le premier entraînement, on l’a fait sur de la terre, se rappelle-t-il. On dormait à deux ou trois dans le même lit, car il n’y avait pas assez de moustiquaires dans les chambres. » Nadjim Abdou ajoute en éclatant de rire : « Le matin, quand on montait dans notre bus pour aller au terrain d’entraînement, on faisait le taxi : on s’arrêtait pour prendre des gens en chemin. C’était la colonie de vacances. »

En janvier 2014, un nouvel entraîneur arrive, Amir Abdou, un quadragénaire souriant, qui a une ambition pour son pays : le qualifier pour la CAN. Pour cela, il faut d’abord donner « un cadre » à cette sélection, plus habituée aux tournois dans les îles de l’océan Indien que sur le continent. « J’ai professionnalisé le staff, pris un adjoint, un entraîneur des gardiens, un analyste vidéo, un préparateur physique, un intendant. Il n’y avait rien de tout cela quand je suis arrivé », se remémore-t-il.

Et pour cause, ce pays de moins de 900 000 habitants a une histoire récente avec le football : ancienne colonie française devenue indépendante en 1975, les Comores – nom qui signifie en arabe « les îles de la lune » – ne se sont affiliées à la FIFA et à la Confédération africaine de football (CAF) qu’en 2005.

Ce « cadre » a permis aux joueurs « de croire à notre projet ou à notre travail, précise le sélectionneur, et de les rassurer aussi ». Notamment les professionnels, qui sont nés loin des Comores, plutôt réticents à l’idée de traverser une partie de l’Afrique pour porter le maillot d’une sélection sans moyens ni résultats. « Pour attirer les pros, il faut être pro », insiste-t-il.

« Liens fraternels »

Pour progresser et amener l’équipe à un niveau supérieur, Amir Abdou, qui entraîne également le FC Nouadhibou, l’équipe championne de Mauritanie, va s’appuyer davantage sur sa diaspora – et moins sur les joueurs des clubs de l’archipel –, comme l’a fait avec succès l’Algérie.

Une grande partie des internationaux sont nés dans la région de Marseille, où vivent la plupart des Comoriens de France, soit quelque 100 000 personnes. Avec poésie, la cité phocéenne est considérée comme la « cinquième île » du pays. Ainsi, lors de leur premier match de la CAN, tous les joueurs du onze de départ étaient nés en France, dont cinq à Marseille – six avec l’entraîneur –, et un à Mayotte.

« En 2010, j’étais le seul pro et il y avait quelques expatriés, aujourd’hui, c’est l’inverse. Les joueurs binationaux ont fait grandir l’équipe »,

souligne Nadjim Abdou. « Après celle du coach, on a essayé d’apporter l’exigence du très haut niveau qu’on avait dans nos clubs respectifs », précise Youssouf M’Changama. A l’image de l’attaquant El Fardou Ben Nabouhane, qui joue à l’Etoile Rouge Belgrade et a disputé la Ligue Europa cette saison. Au dernier classement FIFA, la sélection nationale pointe désormais à la 132e place (sur 210 nations).

La force des Cœlacanthes, c’est qu’ils se connaissent depuis de nombreuses années. Les internationaux, notamment ceux du sud de la France, sont proches. « Il y a des liens fraternels qui nous unissent. Nous sommes la première génération et nous sommes toujours là », souligne Nadjim Abdou, qui évolue à Martigues en National 2. « Aujourd’hui, on a un nouveau stade au pays. Je n’ai pas besoin de dire autre chose pour parler du chemin parcouru », se félicite Youssouf M’Changama.

Pour lui et ses coéquipiers, leur présence à la CAN est aussi venue guérir une blessure d’enfance. « Tous les copains étaient représentés par le Maroc ou l’Algérie, et nous rien », se souvient Nadjim Abdou. « Petits, on n’existait pas, c’est comme si on n’était pas en Afrique. Il y a eu beaucoup de chambrage », ajoute Youssouf M’Changama. « Quand je disais “Comores”, on me répondait : “Cameroun ?”, raconte Ben Amir Saadi, l’ancien manageur de l’équipe nationale, qui a fait le voyage jusqu’à Yaoundé. Je m’étais fait renvoyer du collège trois jours parce que je rajoutais quatre points dans les livres d’histoire-géo pour indiquer les îles de mon pays. » Avec la qualification, « on a eu notre revanche », confie le capitaine des Cœlacanthes : « On a hissé le drapeau comorien sur le toit de l’Afrique. »

Pour espérer filer en huitièmes de finale, les Comoriens devront passer le Maroc (le 14 janvier) puis le Ghana (le 18). Les grandes nations du football ne leur font pas peur : par le passé, ils ont fait match nul contre l’Egypte, le Togo ou encore le Maroc. « On adore jouer contre les grandes équipes. On se sent plus à l’aise », assure Amir Abdou. « Cela va être difficile, on en a conscience, reconnaît Nadjim Abdou, mais nos adversaires ne vont pas nous prendre à la légère. »

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