Célébration des Evalas: Malaise Personnel de Gerry Taama

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Célébration des Evalas: Malaise Personnel de Gerry Taama
Célébration des Evalas: Malaise Personnel de Gerry Taama

Africa-Press – Togo. Je suis kabyè par ma mère. J’ai grandit à Pya, entre Kadjika et Taouda, à gravir la montagne plusieurs fois par jour. J’ai donc été biberonné par la belle culture kabyè, où le jeune garçon et la jeunes fille traversent des rites initiatiques pour faire d’eux des adultes. J’ai été ahoza, l’école de la lutte réservée aux enfants. Cette tradition initiatique pour devenir un adulte accompli se retrouve dans plusieurs ethnies, surtout du nord Togo. L’équivalent des evala en pays nawda par exemple, c’est essokpa, malheureusement peu connu.

Ce qui m’a toujours créé un malaise et qui fait que je n’ai jamais assisté aux luttes traditionnelles depuis mes 10 ans, c’est l’orgie qui en accompagne l’organisation. Pendant une dizaine de jours, la préfecture de la kozah est complètement transfigurée. Toutes les grandes entreprises se bousculent en sponsoring, tout le haut gratin du pays se bouscule dans ies tribunes. Tout le monde joue des coudes pour être placé au meilleur endroit, non pas pour voir les lutteurs, mais pour être vu par le président. En réalité, pour une majeure partie de ceux qui font le déplacement dans la région, les luttes traditionnelles sont accessoires, c’est une occasion rare de se faire voir, d’avancer sa position. C’est le bal des courtisans.

Si vous êtes dans la région et souhaitez profiter de la truculence des luttes traditionnelles, il faut plutôt faire un parcours opposé aux officiels: Tchouk, viande de porc et authenticité garantis.

Il suffit de retourner dans la zone dès que les luttes sont achevées pour retrouver la désolation et la précarité propres à toute cette zone septentrionale. La région de la kara, c’est 63 % de taux de pauvreté. Les orgies des evala n’ont malheureusement pas façonné la préfecture. Peu de choses ont malheureusement évolué depuis mes 10 ans (j’ai 50 ans aujourd’hui). L’école primaire centrale de Pya ou j’ai fait le Cep1 est toujours là même. Les arènes de luttes connaissent un lifting juste le moment de passage des officiels, et la nature reprend ensuite ses droits.

Les produits dérivés, qui auraient pu développer une industrie touristique locale n’existent pas. On aurait pu développer une ou plusieurs écoles de lutte dans la ville de kara, un musée des evalas, pour en comprendre le sens, et profiter de l’orgie pour restaurer chaque année une école ou un terrain abritant les luttes. Personne n’a jamais fait d’audit mais chaque années, c’est des centaines de millions de francs qui sont dépensés et dès que c’est fini, tout redevient comme avant.

Au delà de l’aspect festif, une question éthique se pose. Un jeune kabyè qui veut participer aux rites initiatiques mais qui politiquement est opposé au président (Eyadema avant et Faure aujourd’hui) a-t-il une marge de manœuvre, puisque tradition et allégeance sont y intimement liés depuis des décennies? Aujourd’hui, le pays va mal, beaucoup d’indices sont au rouge, et il n’est pas faux de dire que les responsables sont ceux qui sont au pouvoir. Tout le monde souffre, et j’ai même tendance à croire que mes oncles souffrent plus parce que les gens pensent qu’ils sont privilégiés. Mais peut on croire à la sincèreté de ce sentiment quand pendant 2 semaines, la tradition s’est si intimement mêlée au culte de la personnalité? C’est ce qui fait que je n’ai jamais assisté aux evalas. Pour des réserves éthiques. Mais comme toujours. Je suis un idéaliste. Un doux reveur.

C’est d’ailleurs cette ambivalence qui caractérise notre société. Les personnes défavorisées, qui sur papier devraient être les plus contestataires, sont les plus grands soutiens du pouvoir en place. On rentre en politique en croyant naïvement que les pauvres vont vous accueillir comme des sauveurs, qu’il suffit d’être candidat pour rafler la mise, et on découdre avec horreur que le gueux a une préférence pour le suzerain en lieu et place du preux chevalier libérateur. C’est un masochisme populaire qu’on ne comprend pas immédiatement mais il finit par s’imposer. Celui qui défend le plus le régime, c’est celui qui a pourtant toutes les raisons de le contester.

Donc, j’écris ici pour écrire seulement. Les milliers de personnes qui acclament le Pcm actuellement sont sincères. Pendant deux semaines, elles vont festoyer, ripailler, s’empifrer, danser, boire, les deux brasseries du Togo vont faire des promotions. Quand tout ceci va finir, elle vont se remettre à clamer que rien ne va dans ce pays, qu’elles sont fatiguées, qu’elles veulent le changement, ceci jusqu’aux prochaines evalas. En réalité, ceux qui sont au pouvoir depuis des décennies au Togo durent aussi longtemps non pas parce qu’ils sont particulièrement méritants mais seulement parce qu’ils connaissent bien le peuple togolais. Notre vénalité et notre résilience. Et c’est tout bon.

Bref, lisez et donnez moi vos avis. On est dimanche. Vous faites quoi et vous ne me lisez pas.

Sursum corda.

Le menuisier.

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