Érosion côtière : comment le Togo paie la note

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Érosion côtière : comment le Togo paie la note
Érosion côtière : comment le Togo paie la note

Africa-Press – Togo. Le littoral togolais, long d’une cinquantaine de kilomètres, n’est pas épargné par le phénomène de l’érosion côtière. Plusieurs habitations sont emportées par les vagues plongeant des villages entiers dans la désolation. De nombreuses familles désertent la côte face à l’avancée de la mer laissant des maisons abandonnées en ruines.

À Doevikopé, village situé au sud-est de Lomé, la capitale togolaise, plusieurs constructions sont sous les eaux. « Notre village s’étendait de la côte actuelle sur deux kilomètres. Il y avait de grandes maisons et de grands restaurants, mais la mer a tout ravagé. Nous vivons dans la crainte puisque nous ne savons quand notre tour arrivera. Vous ne pouvez pas imaginer tout ce que la mer a avalé ici. Nous avons aussi perdu nos activités génératrices de revenus. Car, les populations riveraines le long du littoral vivent du maraîchage, de la pêche et de l’extraction du sable et de gravier marin », témoigne John Somi, notable à Doevikopé.

La mer engloutit progressivement les terres

Plus loin à Agbodrafo, localité située à trente-cinq kilomètres à l’est de Lomé, la situation est plus alarmante. La mer a déjà englouti trois routes goudronnées, y compris les deux premières routes construites sur l’axe Lomé-Cotonou et un cimetière. La route côtière a été, à trois reprises, déplacée vers l’intérieur des terres. Même l’église catholique Saint-Joseph de la localité est abandonnée suite aux menaces des eaux déferlantes. « Le phénomène a commencé il y a des années maintenant, mais nous ne l’avons pas remarqué plus tôt. C’est en 2012 après la création du nouveau quai à Lomé que nous avons réellement senti l’érosion côtière », explique Assafo Atsé Kuetévi Ekovi, président du collège de la régence du canton d’Agbodrafo.

En juin 2017, à Aného, la mer a débordé et s’est introduite dans les maisons pour finalement échouer au bord de la nationale N2 (tronçon Lomé-Aného). Les populations vivent la peur au ventre et craignent d’être emportées un jour dans leur sommeil par les vagues de l’océan. Cette scène devient de plus en plus récurrente puisqu’en fin d’année 2021, les habitants de Sanvee Kondji, localité située à la frontière Togo-Bénin, se sont réveillés un matin les pieds dans l’eau. La mer s’était encore déchaînée.

Une menace sur les populations

Selon un rapport de la Banque mondiale, d’ici 2025, « 32 millions de personnes pourraient être forcées de migrer à l’intérieur de leurs pays pour échapper aux impacts du changement climatique » si rien n’est fait. Au Togo, on estime à environ trois mille le nombre de personnes déplacées suite aux conséquences néfastes de ce phénomène. Sur le plan économique, l’addition est très salée pour le pays. En effet, selon une récente étude de la Banque mondiale, l’érosion côtière a coûté au pays une perte estimée à environ 213 millions de dollars, soit 4,4 % PIB togolais en 2017.

Comment s’explique ce phénomène ?

La hausse significative des émissions mondiales de gaz à effet de serre et celle du niveau de la mer du fait du réchauffement climatique sont les principales causes de l’accélération de l’érosion côtière au Togo. À cela s’ajoutent les constructions d’infrastructures qui ont également aggravé la situation. On pointe essentiellement du doigt l’expansion du port en eaux profondes au large de Lomé. « Le phénomène a toujours existé, mais il a été amplifié par l’intervention humaine. Le courant marin parallèle à la côte qui déposait des sédiments, appelé dérive littorale, dans le sens ouest-est, limitait l’érosion. Mais une série d’ouvrages a cassé son effet », déclare Pessièzoum Dieudonné Adjoussi, enseignant-chercheur au département de géographie à l’université de Lomé.

En juillet 2020, le collectif des victimes d’érosion côtière au Togo avait mis à l’index la Banque mondiale, à laquelle elle reprochait de ne pas peser de tout son poids pour faire respecter les textes environnementaux à Lomé Container Terminal (LCT), une société de manutention basée sur la côte togolaise. « Les rapports démontrent que les textes de la Banque mondiale ne sont pas respectés par la LCT. On doit mettre des digues d’arrêt sur la mer afin d’atténuer les impacts négatifs du port de LCT », s’est indigné Tonoudo Edo, porte-parole du collectif.

Aného menacée

La mer engloutit aujourd’hui par endroits entre six et dix mètres du littoral togolais. Cette triste réalité est plus criante à Aného, localité située à quarante-cinq kilomètres de la capitale, où l’érosion côtière a contraint les populations riveraines à abandonner leurs habitations. Pour le Pr Adoté Blivi, océanographe et responsable du Centre de gestion intégré du littoral et de l’environnement, cette situation est due au tarissement des roches sédimentaires et également à l’avancée de la mer. « La situation de l’érosion côtière que connaît notre pays est due au tarissement des roches sédimentaires. Les populations aussi y sont pour quelque chose, car elles ramassent du sable sur les plages pour les grands travaux de construction de logement dans certaines localités. Il vous suffit d’aller à Avepozo, vous verrez cette triste réalité », a-t-il expliqué.

Treize villages aussi

En tout, treize villages de plus de deux mille personnes sont touchées par l’érosion côtière le long du littoral. Il s’agit de Gbodjomé, Agbavi, Afidégnigban, Baguida, Devikinmé, Nimagnan, Katanga, Agbodrafo, Kpogan, Agodéké, Boboloè, Kpémé et Edoh Kopé. Désormais, il faudra venir en aide aux communautés riveraines qui subissent de plein fouet les conséquences du phénomène. C’est ce à quoi s’attèlent les autorités depuis le lancement du projet WACA RESIP.

« Par rapport aux cas spécifiques des populations riveraines du littoral, nous avons des activités qui seront menées en collaboration avec d’autres partenaires. Ces activités concernent la reconversion des populations vulnérables surtout qui s’adonnent à l’exploitation du sable et du gravier marin en d’autres activités génératrices de revenus », rassure Dr. Adou Rahim Alimi Assimiou, coordinateur national du projet WACA RESIP. Outre cette mesure, onze sous projets communautaires ont été élaborés pour renforcer la résilience des populations riveraines. La batterie de mesures annoncée çà et là pour atténuer les effets néfastes du phénomène suscitent un peu d’espoir auprès des populations riveraines forcées de vivre la peur au ventre face à l’avancée de la mer.

Le problème pris à bras-le-corps

L’Exécutif togolais soutenu par la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD) et le Fonds mondial pour l’environnement ont lancé une série de mesures visant à lutter contre le phénomène. Elles contiennent, entre autres, la construction de digues et de pieux pour ralentir l’élan de la mer et un volet de sensibilisation auprès des communautés riveraines.

En avril 2018, le groupe de la Banque mondiale a approuvé une enveloppe de 210 millions de dollars pour le financement d’un projet régional destiné à renforcer la résilience des habitants du littoral de six pays de l’Afrique, notamment le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, le Sao Tomé-et-Principe, le Sénégal et le Togo. Ce projet est mené dans le cadre du Programme de gestion du littoral ouest-africain (WACA) et piloté par les pays bénéficiaires.

À la septième réunion du comité régional du projet d’investissement pour la résilience des zones côtières en Afrique de l’Ouest, le commissaire de l’UEMOA Kako Nubukpo a indiqué que le projet WACA est intégrateur parce que l’environnement dans ses manifestations ne se préoccupe pas des frontières institutionnelles. Ainsi, tout ce que fait le Ghana a un impact sur le Togo et tout ce que fait le Togo à un impact sur le Bénin. « La commission de l’UEMOA est pleinement dans son rôle lorsqu’elle appuie les États dans le cadre de la coordination régionale à une bonne mise en œuvre du projet WACA », a déclaré Kako Nubukpo.

Le programme a pour objectif de promouvoir diverses mesures de lutte contre l’érosion côtière comme la fixation des dunes, la restauration de zones humides et de mangroves, le rechargement des plages et la construction d’ouvrages de protection et de digues. « Le projet consiste à mettre en place des infrastructures qui vont protéger la côte. Depuis 2012, on a constaté de façon récurrente la montée des eaux et les vagues qui emportent pratiquement les habitations riveraines », a expliqué Foli-Bazi Katari, ministre togolais de l’Environnement et des Ressources forestières. Déjà, les travaux de faisabilité des infrastructures de protection du littoral togolais ont évolué. Outre ce précédent financement, l’Association internationale de développement (IDA) à travers la Banque mondiale a accordé le 18 juin 2021, un financement additionnel de trente-six millions de dollars pour aider le Bénin et le Togo à lutter contre la dégradation avancée de leur littoral. « La protection de la côte devient une urgence régionale absolue pour préserver les activités économiques et garantir la survie de millions de personnes menacées par la dégradation du littoral ouest-africain », a souligné Deborah Wetzel, directrice de l’intégration régionale pour l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Afrique du nord à la Banque mondiale.

Une solution locale : la juxtaposition des fûts

Sur le plan local, l’ingénieur géotechnicien togolais Déo Eklu-Natey a développé une technique de juxtaposition de puits en fûts granulitiques avec effet brise-lames pour freiner le phénomène. Une solution made in Togo qui consiste à enfouir des puits d’une longueur d’au moins un mètre de long du littoral. Lorsque les vagues de l’océan viennent s’échouer contre l’ouvrage, elles se retirent en abandonnant le sable. « En somme, c’est le principe de construction des ports qui est appliqué. C’est un rideau qui fait face à la mer. C’est fait pour arracher à la mer le sable qu’elle nous avait englouti auparavant », a-t-il affirmé. Le gouvernement à travers le projet WACA RESIP, a ainsi adopté cette innovation pour protéger les populations du littoral. En effet, plus de soixante mille fûts sont prévus tandis que vingt mille couvrent déjà la côte togolaise.

La méthode de brise-lames utilisée consiste à construire des types épis, digue ou jetée, établie devant un port, une zone aménagée, une plage ou un littoral vulnérable à l’érosion. Mais le doute demeure au sein des communautés quant à la construction des infrastructures de protection. Du côté des autorités, on annonce avec certitude le début des travaux de protection du littoral togolais en 2022.

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