Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Togo. Etant déjà la neuvième puissance économique mondiale, le Brésil est considéré comme un modèle dans le domaine économique et social. Mauricio Santoro, l’expert en relations internationales à l’Université de l’Etat de Rio de Janeiro, en relativisant toutefois la capacité du Brésil à peser sur un continent secoué par de multiples crises, a déclaré à ce propos: « Outre les relations bilatérales avec les deux pays africains (Egypte et Ethiopie), on s’attend à ce que l’actuel gouvernement de Lula da Silva redéfinisse et réinvente la politique étrangère brésilienne envers l’Afrique ».
En effet, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, qui a repris ses activités internationales depuis le mois de février 2024, s’était rendu en Égypte et en Éthiopie, dans le cadre d’un premier voyage dans le pays des Pharaons, les 15 et 16 février, où il a pu rencontrer le président égyptien, Abdel Fattah el-Sisi, suivi d’une visite à Addis-Abeba, les 17 et 18 février, où il a rencontré d’autres chefs d’État et des représentants de l’Union africaine.
Lors de ce voyage, Lula a souligné que le Brésil coopérerait davantage avec l’Afrique et qu’il était nécessaire de construire des projets sociaux globaux pour le bien d’une société prospère, libre, démocratique et souveraine, car le continent est une partie importante du monde, en particulier pour les pays du Sud global, et nous avons de plus grandes opportunités commerciales avec les pays africains en développement qu’avec les pays européens.
Santoro a jugé que la visite de Lula sur le continent est d’une grande utilité, car elle peut contribuer à restaurer l’importance des relations diplomatiques entre l’Afrique et le Brésil, sachant que cette ancienne colonie du Portugal est en effet le pays qui compte la plus grande population noire en dehors de l’Afrique et partage avec de nombreux pays africains l’héritage traumatisant de l’esclavage.
L’objectif du Brésil étant de présenter les pays lusophones d’Afrique (notamment l’Angola, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, le Mozambique et São Tomé e Príncipe) comme un marché attrayant et émergent pour les investissements brésiliens. « Un investisseur brésilien qui voit l’Afrique à son plein potentiel et diversifie ses investissements en dehors des industries extractives aura un grand avantage en matière de leadership », affirment les observateurs.
Rien qu’en 2021, les échanges commerciaux entre le Brésil et l’Afrique ont atteint 16 milliards de dollars. Ce pourcentage a pu bondir d’environ 40 % en 2022, et l’Égypte en fut le principal bénéficiaire. Près de 4 % du total des exportations brésiliennes sont destinées à l’Afrique.
A noter que le président brésilien s’était rendu en Angola, en début d’année de 2023 pour participer au Forum économique Brésil-Angola et à São Tomé e Principe pour assister au sommet de la Communauté des pays de langue portugaise, où il a réaffirmé son engagement à revitaliser les investissements brésiliens dans ces pays parlant le portugais en Afrique.
Il convient de noter que le Forum Brésil-Afrique est une conférence internationale majeure qui rassemble à chaque édition les dirigeants africains et brésiliens pour discuter du commerce, des investissements, du développement et d’autres questions mondiales, notamment le changement climatique. Le Forum a établi d’importants partenariats avec des acteurs africains des secteurs public et privé, notamment la Banque africaine de développement, la Nouvelle Banque de développement, la Banque africaine d’import-export, ainsi que plusieurs représentants d’ambassades africaines accréditées au Brésil.
• Pour le Brésil: L’Afrique compte comme un agenda mondial essentiel
Etant également l’une des économies à la croissance la plus rapide au monde, célébrée pour sa culture vibrante, ses prouesses sportives, sa biodiversité exceptionnelle et son immense richesse en ressources, le Brésil reste un pays qui devrait, selon de nombreux observateurs, définir le siècle à venir.
Le Brésil a soutenu la coopération avec les pays du continent dans le domaine du développement agricole et des biocarburants, et a également lancé une chaîne internationale brésilienne destinée aux pays africains.
Il convient de noter également que les entreprises brésiliennes ont investi massivement dans le secteur pétrolier et minier et ont réalisé de grands projets d’infrastructure sur le continent africain.
Par ailleurs, malgré ces multiples atouts, le Brésil se trouve en première ligne de la crise climatique, luttant contre la déforestation dans le bassin de l’Amazone. C’est aussi un pays qui abrite des communautés rongées par la faim et la pauvreté.
Compte tenu de ces deux aspects, le géant sud-américain est un choix idéal pour assumer la présidence du G20 en 2024 et accueillir le prochain sommet des dirigeants, au cours duquel les représentants des plus grandes économies du monde se réuniront pour relever les défis communs du moment.
Il importe de rappeler aussi que le G20 rassemble les pays les plus puissants responsables d’environ 80 pour cent de toutes les émissions de gaz à effet de serre. Avec d’autres membres fondateurs, le Brésil a accueilli six nouvelles économies émergentes au sein du club des BRICS en 2023, tout en obtenant le soutien de la Chine pour l’adhésion permanente du Brésil au Conseil de sécurité de l’ONU.
• Les 3 priorités de Lula da Silva durant sa présidence du G20 / 2024
« La présidence brésilienne du G20 a trois priorités», a déclaré le président brésilien Lula da Silva:
-/- la première est l’inclusion sociale et la lutte contre la faim,
-/- la deuxième est la transition énergétique et le développement durable,
-/- la troisième est la réforme des institutions de gouvernance mondiale ».
Toutes ces priorités s’inscrivent dans la devise de la présidence brésilienne, qui dit: « Construire un monde juste et une planète durable ».
Dans ce contexte, deux groupes de travail ont vu le jour:
-/- l’Alliance mondiale contre la faim et la pauvreté,
-/- la Mobilisation mondiale contre le changement climatique.
En 2025, le Brésil accueillera les négociations climatiques de la COP30 dans la ville amazonienne de Belém. Lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies, Lula était le seul dirigeant d’une superpuissance mondiale à s’intéresser de manière significative à l’Afrique. Le président brésilien a évoqué plus d’une demi-douzaine de pays africains et les crises auxquelles ils sont confrontés.
Son discours était très proche des anciens arguments de l’Union africaine sur le manque de représentation de l’Afrique au sein de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, la crise de la dette qui étouffe les populations les plus pauvres du monde et les événements météorologiques extrêmes intensifiés par le changement climatique sur le continent le moins responsable, comme les récentes inondations en Libye. En plus de soutenir les priorités africaines telles que l’indemnisation des pertes et dommages causés par le réchauffement climatique, le Brésil propose également une coalition internationale pour protéger les plus grands réservoirs terrestres de carbone, ses forêts tropicales. C’est pourquoi elle a également invité exceptionnellement des pays extérieurs à la région, la République démocratique du Congo et la République du Congo-Brazzaville, au Sommet régional amazonien de 2023, soulignant le rôle de premier plan des partenaires africains dans son agenda diplomatique.
• L’autre priorité de Lula da Silva
Le rapprochement avec l’Afrique fait partie intégrante du programme international du Parti des Travailleurs (Brésil) depuis sa création, notamment en raison de l’influence des militants antiracistes, nombreux au sein du parti. Cette orientation est présente dès le discours d’investiture de Lula: « Nous réaffirmons les liens profonds qui nous unissent à tout le continent africain et notre disposition à contribuer activement à ce qu’il développe ses énormes capacités ».
Pendant près d’une décennie, le Brésil, poussé par une conjoncture économique favorable, défend une politique fondée sur la réduction de la pauvreté et des injustices sociales (y compris par le développement des industries extractives), la défense du multilatéralisme (dont la refonte du système politique international) et la lutte contre le racisme.
Le président Lula, revenu au pouvoir le 1er janvier 2023, souhaite reproduire cette politique qui a permis au Brésil de s’imposer comme un acteur important sur la scène internationale.
• Des initiatives brésiliennes « mitigées » dans la solidarité et dans les doutes
On peut affirmer que les réponses de l’Afrique aux initiatives du Brésil ont été jusqu’à présent mitigées. D’un côté, la « diplomatie solidaire » du Brésil, l’accent mis sur les inégalités comme cause des problèmes environnementaux et son refus de voir la politique mondiale, y compris le climat, le commerce, et la technologie, à travers le prisme d’une nouvelle guerre froide entre l’Ouest et l’Est, elle est bien accueillie sur tout le continent.
À l’Assemblée générale des Nations Unies, faisant écho aux paroles de Lula, les présidents Nana Akufo-Addo (Ghana), João Lourenço (Angola) et Julius Maada Bio (Sierra Leone) ont souligné la nécessité d’un développement pacifique et durable en renforçant les Nations Unies et le système multilatéral à travers des réformes institutionnelles audacieuses. De plus, les propos de Lula sont conformes aux priorités énoncées dans la Déclaration de Nairobi, signée lors du Sommet africain sur le climat de 2023, notamment un allégement rapide de la dette, une architecture financière mondiale plus inclusive et « adaptée aux objectifs » et une plus grande collaboration entre les partenaires du Sud sur la technologie et les solutions fondées sur la nature, pour promouvoir un développement à faible émission de carbone. Cependant, d’un autre côté, le Brésil doit faire face à une multitude de sceptiques africains, compte tenu de son récent bilan sur le continent.
La plupart des investissements brésiliens dans les années 2000 visaient à renforcer la coopération dans le domaine des biocarburants, mais ils ont échoué parce qu’ils ont sous-estimé l’importance de comprendre les contextes politiques et économiques dans lesquels ils opèrent. En Angola et au Soudan, des entreprises brésiliennes se sont retrouvées accusées de collusion avec des partenaires locaux corrompus et autoritaires.
De plus, alors que le Brésil tenait à promouvoir l’éthanol à base de canne à sucre – sur la base de décennies de connaissances scientifiques et technologiques au sein de ses institutions commerciales et gouvernementales, dans les conditions agro-climatiques apparemment idéales pour la savane africaine, les partenaires du Mozambique et d’ailleurs ont constaté que les conditions environnementales locales beaucoup moins favorables aux propositions brésiliennes, qu’ils considèrent aussi parfois comme incompatibles avec les priorités en matière de sécurité alimentaire.
En Tanzanie, seul un projet de barrage sur huit, démarrés entre 2005 et 2017, a été achevé. Une mauvaise interprétation de la politique intérieure et un soutien diplomatique et financier incohérent de la part des acteurs de l’État et du secteur privé brésilien ont noyé une grande partie de la bonne volonté générée au cours des deux premiers mandats de Lula à la présidence.
En outre, pour de nombreux Africains, il n’est pas tout à fait clair ce que le Brésil peut réellement offrir qui fera une différence tangible face aux défis climatiques les plus difficiles de l’Afrique, en particulier:
-/- le fardeau excessif de la dette,
-/- le sous-financement des projets d’adaptation au changement climatique,
-/- la gestion de la pénurie d’eau.
Brasilia n’est pas en mesure d’accorder d’importantes lignes de crédit aux pays africains lourdement endettés, ne mène pas d’importants projets de coopération pour le développement de l’eau en Afrique et a un bilan national discutable en matière d’adaptation. La crédibilité des appels brésiliens à former une « OPEP pour les forêts tropicales » est minée par l’ampleur de la déforestation, à la fois légale et illégale, qui continue d’exister en Amazonie.
• Brésil – Afrique: Un retour « prépondérant »
Le retour en Afrique du Brésil a été affirmé lors du discours prononcé par le président Lula da Silva, au sommet des BRICS:
« J’ai l’intention d’inaugurer un nouvel agenda de coopération entre le Brésil et l’Afrique. Nous revenons à notre vocation universaliste et reconstruisons nos liens historiques avec les pays en développement. La prospérité n’est pleine que lorsqu’elle est partagée ».
On peut avouer ainsi, que le président brésilien a renoué avec un des piliers de la politique étrangère de ses deux premiers mandats (2003-2010), car en sept ans, le Brésil était devenu le septième partenaire commercial de l’Afrique, et les échanges commerciaux entre le Brésil et le continent brun étaient passés de 5 à 30 milliards de dollars, stimulés par le prix élevé des matières premières.
Dix-neuf nouvelles ambassades avaient été inaugurées entre 2003 et 2010 en Afrique, et durant la même période, Lula avait visité 29 pays africains lors de 12 voyages différents.
• Brésil – Afrique du sud: Des relations consolidées par Lula da Silva depuis 2003
Le Brésil et l’Afrique du Sud ont confirmé leur intention de renforcer leurs relations bilatérales et de réduire leur dépendance économique à l’égard des pays riches, sachant que les relations commerciales entre le Brésil et les pays du continent africain ont réalisé, depuis 2003, c’est-à-dire depuis l’arrivée au pouvoir de Lula da Silva, un saut qualitatif dans les relations économiques.
Le volume des échanges commerciaux entre les deux parties a augmenté pour atteindre 26 milliards de dollars, soit une multiplication par cinq par rapport à ce qu’il était auparavant.
Le Brésil, qui est le plus grand partenaire commercial de l’Afrique du Sud en Amérique latine, continue sa percée en prenant en considération le souhait du président brésilien de renforcer encore plus les relations de son pays avec l’Afrique, soulignant à ce propos que plus d’un tiers de la population brésilienne est d’origine africaine.
• Qu’apportera à l’Afrique la visite du Président brésilien Lula da Silva ?
Le Brésil, qui possède un modèle de développement important, est membre d’un groupe de grands marchés d’Amérique du Sud et d’Amérique latine, et membre également du groupe des BRICS ainsi que du G20. En outre, il a une vision en matière de réforme de la gouvernance financière et économique, et ces éléments ont incité le Brésil à rechercher de nouveaux partenaires sur le continent africain.
Le Brésil envisage entre-autres de restructurer et d’annuler une partie de ses 280 millions de dollars de prêts aux gouvernements africains, notamment ceux du Ghana, du Mozambique et du Sénégal.
Lula da Silva entend faire pression sur les riches créanciers pour qu’ils fassent de même. La Banque de développement des BRICS prend également des mesures pour créer des alternatives à la domination du dollar.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Togo, suivez Africa-Press