Le Sommet « USA – Afrique » devient « Sommet Afrique – USA » : Les États-Unis entendent-ils secouer l’Afrique?

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Le Sommet « USA – Afrique » devient « Sommet Afrique – USA » : Les États-Unis entendent-ils secouer l'Afrique?
Le Sommet « USA – Afrique » devient « Sommet Afrique – USA » : Les États-Unis entendent-ils secouer l'Afrique?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Togo. On note la participation attendue à Washington de 45 chefs d’État africains dans le cadre du second sommet des dirigeants américains et africains qui se tiendra du 13 au 15 décembre de cette année 2022, et qui est destiné à intensifier le commerce et les investissements sur le continent.

Une rencontre qualifiée de « rendez-vous décisif pour la politique américaine dans la région », par la Vice-présidente américaine Kamala Harris, qui a annoncé également, dans ce contexte, que ce sommet mettrait en évidence l’« engagement durable des États-Unis envers l’Afrique » et chercherait à lever, entre-autres, les obstacles au commerce, notamment :
• « l’accès limité au capital,
• le coût élevé du financement,
• et les goulets d’étranglement juridiques et réglementaires ».

Comment Joe Biden planifie sa politique envers le Continent africain

Les élections de mi-mandat qui se sont déroulées aux Etats-Unis, le 8 novembre 2022, n’ont pas vu de changement significatif dans l’équation de l’administration américaine actuelle, puisque les démocrates ont conservé quand même une faible majorité au sein du Congrès.

Par conséquent, on ne s’attend pas à ce que les politiques américaines en Afrique subsaharienne connaissent des changements radicaux « négatifs », quant à l’Afrique, avant au moins la date du 20 janvier 2025, date du prochain transfert du pouvoir à un nouveau président, avec la prépondérance des attentes de la perte de l’ancien président Donald Trump, dont la présidence s’est caractérisée par l’ignorance d’un Américain considéré comme le plus en vue d’Afrique depuis la fin de la guerre froide, s’il se présente à nouveau aux élections présidentielles en 2024, à la lumière de la perte d’un grand nombre de ses partisans les plus en vue lors des élections de mi-mandat.

Ainsi, le sommet américano-africain, prévu à Washington à la mi-décembre de cette année, éclairera largement le cours de la politique américaine en Afrique, au moins jusqu’au début de 2025.

Il importe de rappeler que ce sommet, qui s’intitulait auparavant « Sommet USA – Afrique », a changé d’intitulé pour devenir « Sommet Afrique – USA ».

Essayons donc de savoir pourquoi

En faisant quelques pas en arrière, nous découvrons que Paris, bête noire d’une certaine opinion des habitants du Sahel, a relooké ses sommets « France-Afrique », devenus « Afrique-France », en les transformant en rencontres sans chefs d’État.

De son côté, Moscou a musclé, depuis Sotchi 2019, ses sommets « Russie-Afrique » plus que jamais requis en période de diabolisation par l’occident.

Pour sa part, Ankara décline ses sommets du partenariat « Turquie-Afrique », alors que les Chinois ont organisé en novembre dernier, à Dakar, leur sommet « Chine-Afrique », surlignant que leur pays était désormais le premier partenaire commercial du continent africain.

Quant à Joe Biden, il ne s’est pas encore rendu en Afrique, alors qu’il a foulé des sols asiatiques, européens et moyen-orientaux, laissant le soin à sa Vice-présidente (Kamala Harris) de s’adresser directement aux instances continentales africaines.

Il importe donc de noter que, face à Pékin, l’administration américaine cherche à développer son activité économique en Afrique à travers plusieurs axes, dont le plus important est peut-être le « Partenariat pour les Infrastructures Mondiales » approuvé par le G7 en juin dernier, en s’employant à collecter 600 milliards de dollars, dont les États-Unis se sont engagés à hauteur de 200 milliards de dollars, y compris la mise en œuvre de projets de développement d’infrastructures liées :
• à la transformation numérique,
• et aux défis énergétiques et climatiques,

qui sont considérés comme étant le pendant américain du projet géant chinois « Belt and Road / La Ceinture et la Route ».

Mais qu’en disent les Africains ?

Le président sénégalais Macky Sall Pt actuel de l’Union africaine

Dans ce contexte, le discours sur la nécessité d’atteindre nos « priorités communes » en travaillant en « partenaires égaux », selon l’expression de Blinken, apparaît comme une tentative de brosser un autre tableau des États-Unis dans lequel les pays du système occidental sont passés du rôle de guide à celui de partenaire le plus humble et le plus proche de la logique chinoise face aux pays du continent brun.

Cependant, d’un point de vue africain, il y a une volonté de transformer ces formulations verbales sur le partenariat en mécanismes réels et tangibles, car la guerre d’Ukraine a révélé la vision américaine qui ne prend pas en compte les intérêts du continent et de sa population, et comme Washington et ses alliés ont imposé des sanctions à la Russie et à ceux qui traitent avec elle sans consulter les parties concernées. Si l’inflation, par exemple, a atteint 9 % en Grande-Bretagne en mai dernier, la sécurité alimentaire d’un grand nombre de pays du continent a été fortement affectée, jusqu’à ce que le secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine, le président sénégalais Macky Sall, ait annoncé depuis le Sotchi russe que « les sanctions imposées à la Russie n’ont fait qu’empirer les choses ».

Le discours de Blinken sur l’aspiration de Washington « aux pays africains de défendre les règles du système international » résonne en Afrique avec de sérieuses craintes que le continent ne se transforme en arrière-cour pour une nouvelle guerre froide entre les grandes puissances mondiales, qui n’apportera pas beaucoup d’avantages à ce continent qui a soif de stabilité et de développement.

C’est pour cette raison bien précise (et pour d’autres aussi), que l’administration américaine apparaît dans les termes de sa stratégie comme une course contre la montre pour freiner l’escalade de l’influence russe et chinoise sur le continent brun, en proposant des alternatives politiques et développementales, mais l’étendue de l’efficacité de cette nouvelle approche dépend dans une large mesure de la capacité de Washington à en faire des mécanismes efficaces et des résultats tangibles, ainsi que sur le fait de persuader les « Africains », qui se sont longtemps plaints de la négligence occidentale, de prendre leur parti dans un monde dont les cartes politiques changent, ce qui ne semble pas facile à atteindre aujourd’hui.

N’empêche que c’est au tour de Washington de concrétiser, à la mi-décembre 2022, l’idée qui a été lancée il y a quelques mois à Abuja, par le secrétaire d’État américain Antony Blinken.

Bien sûr, l’idée était celle d’un « sommet avec les responsables américains et africains pour mener une politique diplomatique de haut-niveau, qui permettra de transformer les relations », notamment autour des questions de sécurité alimentaire et du changement climatique.

Que comportera l’ordre du jour du Sommet ?

Félix Tshisekedi Pt de la RDC et le Pt américain Joe Biden

La liste des pays africains dont les dirigeants ont décidé de participer au prochain sommet s’allonge, ce qui, selon Washington, « démontrera l’engagement durable des États-Unis envers l’Afrique, soulignera l’importance des relations américano-africaines et renforcera la coopération sur les priorités mondiales partagées ».

En effet, Washington estime que l’Afrique « façonnera l’avenir du monde, pas seulement l’avenir des Africains », et qu’elle fera la différence pour relever les défis les plus pressants et saisir les opportunités qui s’offrent à nous.

Ainsi, selon le Département d’État américain, l’ordre du jour du sommet comprendrait :
• la promotion d’une nouvelle approche économique (américaine) ;
• la réalisation des progrès en matière de paix, de sécurité et de bonne gouvernance,
• le renforcement de l’engagement en faveur de la démocratie, des droits de l’homme et de la société civile,
• le travail collaboratif pour renforcer la sécurité sanitaire régionale et mondiale,
• l’amélioration de la sécurité alimentaire,
• la réponse à la crise climatique,
• le renforcement des liens avec les Africains à l’étranger,
• et la promotion de l’éducation et du leadership des jeunes.

Cet ordre du jour sera donc centré sur des tables rondes avec des dirigeants africains, qui s’exprimeront sur des sujets spécifiques aux affaires africaines d’une manière qui rappelle la série télévisée « The Apprentice ».

Les promesses sur le changement climatique, l’intensification des connexions avec les marchés dans le cadre de l’AGOA, les engagements à renforcer le soutien à la lutte contre le terrorisme sur le continent et les appels de Washington en faveur d’une connectivité numérique accrue, sont autant de thèmes susceptibles d’être abordés.

La diplomatie américaine et son implication dans divers dossiers africains:

Malgré les points très divers mentionnés sur l’ordre du jour, la diplomatie américaine et ses activités récentes en Afrique, dont la plus importante étant la récente participation du président Joe Biden au sommet de la COP 27 tenu dans la ville égyptienne de Sharm el-Cheikh, et la suggestion des observateurs qu’il tiendra des réunions avec un groupe de dirigeants africains pour traiter des dossiers très sensibles, indique des arrangements complexes pour les travaux du sommet Afrique-USA afin d’assurer des résultats spécifiques, en particulier dans les dossiers de la sécurité, de la coopération économique et de la lutte contre la crise climatique.

Cette tendance est attestée par l’empressement de l’administration américaine à accueillir ce sommet américano-africain à Washington, à la mi-décembre, en coopération avec l’US-Africa Business Forum (USABF).

Impérativement, les répercussions de la crise russo-ukrainienne ne sont pas non plus absentes de la politique globale des États-Unis sur le continent africain, constatant que ces répercussions sont de plus en plus étroitement liées aux priorités de la politique étrangère américaine en Afrique, tels que les dossiers de sécurité et la lutte contre le terrorisme dans la Corne de l’Afrique, en Centrafrique, dans la région du Sahel et dans un certain nombre de pays d’Afrique de l’Ouest qui sont désormais confrontés à des menaces qui prolongent ces crises, et employant les capacités et l’expertise technique des États-Unis pour renforcer les capacités des pays africains à faire face aux effets négatifs du changement climatique et à la confusion des importations de céréales ukrainiennes et russes, ainsi que la construction d’un niveau acceptable de capacités de sécurité alimentaire pour de nombreux pays africains à travers des programmes de coopération bilatéraux ou à travers des programmes d’organisations régionales et internationales.

De ce fait, si la politique des États-Unis pour l’Afrique enregistre des succès remarquables dans ses différentes approches, avec l’espoir que ce succès s’approfondira avec des résultats concrets et pratiques pour ce sommet, il reste relativement basique pour les pays du continent africain, notamment ceux encore coincés dans l’interprétation des mutations internationales en cours.

Et affin de tirer parti des opportunités qu’il offre, cela dépend de la réponse des gouvernements africains et de leur capacité à mener des politiques équilibrées (intérieures et extérieures), et non de voir dans cette « opportunité » un moyen de manœuvre dans la politique des grandes puissances ou dans l’atmosphère de la « guerre froide », car les choses sont déjà en dehors de ces perceptions traditionnelles, et ce qui se murmure sur le développement d’un nouvel ordre mondial « multipolaire » ne reste que des souhaits et des discours médiatiques et de propagande renouvelés qui ignorent les réalités des choses en Afrique, ses enjeux et ses crises, qui persistent étrangement depuis les premières années de l’indépendance il y a plus de six décennies.

• Exemple 1 : L’influence américaine dans le cadre de la crise de l’Est de la RDC

Il faut dire que la diplomatie américaine a repris avec force l’approche du dossier de la crise au Congo depuis octobre dernier, et ce, pour faire face à ce que Washington considère comme une menace pour les efforts de paix dans le pays connu pour ses vastes richesses naturelles, et avec les attaques renouvelées, fin octobre et début novembre, du « groupe du 23 mars (M23) », un groupe d’ethnie tutsi issu du Rwanda, que le Congo a officiellement accusé à plus d’une reprise de soutenir et d’armer ce groupe, alors que le Rwanda se considère en Afrique comme étant une force majeure dans le maintien de la sécurité et de la stabilité du continent.

Washington a pris l’initiative de mobiliser les positions de la France, de la Grande-Bretagne et de la Belgique derrière lui dans une déclaration ferme, le 18 novembre dernier, pour condamner les activités du groupe dans l’Est congolais, et la nécessité de mobiliser les positions régionales et internationales pour le succès des nouveaux pourparlers de paix sur le conflit, à ce sujet.

Les positions de Washington ont fortement convergé avec Kinshasa sur la question d’accuser le Rwanda de soutenir le « groupe terroriste » ci-dessus nommé, sachant que Washington, et un certain nombre de responsables des Nations Unies, ont fait référence à ce lien dangereux au cours des mois précédents.

• Exemple 2 : La puissance américaine face au chaos dans la Corne de l’Afrique

La pénétration américaine dans le dossier somalien a représenté récemment une nouvelle étape dans le renforcement de la présence américaine en Afrique et dans la Corne de l’Afrique en particulier, après le succès de la diplomatie américaine dans le règlement unilatéral de la crise de la région du Tigré loin des parties internationales, dirigées par la Chine. Washington a annoncé à la mi-novembre son intention d’envoyer des forces américaines en Somalie, une étape importante et marquante depuis que l’administration de l’ancien président Trump, en décembre 2020, a retiré les forces de son pays de la Somalie.

La dernière annonce est venue de la bouche de l’ambassadeur américain en Somalie, Larry Andre, lequel a révélé que le président Biden lui avait demandé de faire une offre au président Hassan Sheikh Mahmoud, au lendemain de l’élection de ce dernier, pour que les forces américaines retournent en Somalie.

La caractéristique la plus révélatrice du changement d’approche américaine, et de son succès à court terme, est la formation d’une équipe conjointe américano-somalienne pour discuter des modes de fonctionnement des forces américaines et de leurs rôles dès les premiers instants de l’élection du président somalien, ce qui implique de prévoir des séjours plus longs pour les forces et une contribution plus efficace à la coordination des rôles militaires extérieurs en Somalie.

En plus de l’approche américaine la plus dynamique et réaliste de la Somalie, la Turquie, alliée permanente et fidèle des États-Unis dans les dossiers africains, a désormais des rôles attendus dans le processus de reconstruction de l’armée nationale somalienne, puisque la Turquie a été incluse dans la liste des pays que le Conseil de sécurité a exclus au milieu de ce mois des sanctions imposées sur les exportations d’armes vers la Somalie, avec les missions des Nations Unies, de l’Union africaine, des États-Unis et du Royaume-Uni, et cela indique le renforcement de la politique américano-turque en Somalie et leur coopération pour faire face aux activités des groupes terroristes.

Par ailleurs, il semble que la coordination américaine en Somalie prenne cette fois un cours sérieux, en raison de considérations visant à freiner l’expansion de l’influence chinoise dans la Corne de l’Afrique et à pousser à l’approfondissement du retour de l’implication américaine dans la région après le succès attendu de l’approche globale et réussie de Washington dans le dossier de la crise éthiopienne en mettant la pression sur les parties en crise « s’il y aurait une volonté politique ».

Après une série d’expansion des activités du groupe terroriste Al-Shabab, au cours des dernières semaines, ce mois de novembre a été marqué par de grands succès pour les forces gouvernementales somaliennes (en particulier les forces spéciales de l’armée somalienne, qui ont tué le 22 novembre environ 50 membres dudit groupe, dont un grand nombre de ses chefs d’opérations) en affrontant ce groupe sur fond d’approfondissement de la coopération américano-kenyane dans le dossier somalien.

Ce scénario presque inévitable est renforcé par la déclaration du Kenya, sous la nouvelle administration de William Ruto, président de la République depuis le 13 septembre 2022, de son intention de maintenir la présence de ses forces en Somalie, pour mener à bien ses tâches, au moment où plusieurs pays africains ont annoncé leur intention de retirer davantage de leurs forces contributrices aux forces de l’Union africaine en Somalie, en plus de l’impact des troubles éthiopiens sur les efforts d’Addis-Abeba dans la force de l’Union africaine.

Rappel de la Stratégie américaine envers l’Afrique subsaharienne

On peu donc confirmer aujourd’hui, qu’au milieu d’un monde qui retient son souffle avec la guerre déclarée contre l’Ukraine et ses répercussions qui commencent à s’étendre loin des fronts de bombardements mutuels, Washington a sauté sur l’occasion pour publier, le 8 août 2022, la « Stratégie américaine envers l’Afrique subsaharienne », dans un contexte qui ne peut être séparé du conflit géopolitique qui fait rage entre le camp occidental et la Russie et la Chine.

Ainsi, par leur nouvelle stratégie, les États-Unis tentent de soutenir le modèle démocratique auquel ils aspirent, en s’engageant à chercher à endiguer la vague de coups d’État, à soutenir les institutions continentales et les institutions de la société civile pour promouvoir les valeurs démocratiques et à donner la priorité aux ressources de lutte contre le terrorisme, afin de renforcer la sécurité et la stabilité nécessaires pour activer la transition démocratique.

D’autant plus qu’en échange de l’expansion militaire de la Russie, Washington a déjà annoncé une série de ses investissements futurs dans les secteurs militaire et sécuritaire, allant du soutien aux programmes de renforcement des capacités institutionnelles au sein des structures militaires africaines et de lutte contre la corruption, à l’élargissement de la coopération en matière de défense avec des partenaires stratégiques « qui partagent notre valeurs et la volonté de promouvoir la paix et la stabilité mondiales », selon les américains.

Sur le plan militaire, la stratégie américaine semble être confrontée à une autre épreuve multiforme, l’échec de ses alliés européens dans la région du Sahel ayant conduit non pas à remettre en cause la faisabilité des approches occidentales face aux rébellions violentes dans la région, mais plutôt à recourir à l’utilisation de la stratégie des mercenaires du groupe Wagner, ce qui s’est avéré relativement efficace, avec des coups d’État militaires tendant la main à la coopération russe.

D’autre part, l’engagement des États-Unis à renforcer la démocratie en priorité, même en théorie, place Washington dans un dilemme que Moscou a surmonté, qui ne se soucie pas de la nature du régime lors de la vente d’armes, par exemple, qui lui confère un avantage préférentiel auprès des gouvernants africains, et une influence stratégique croissante, tandis que la Maison Blanche est confrontée, de nouveau, au dilemme d’une réconciliation réaliste entre les volets politique et militaire de sa nouvelle stratégie.

Verra-t-on le Sommet Afrique – USA « rouler » sur les rails que les Etats-Unis ont placés pour développer leurs intérêts sur le Continent africain, et de pouvoir les conserver ?

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