Laurence Tubiana Redéfinit Diplomatie Avec Accord De Paris

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Laurence Tubiana Redéfinit Diplomatie Avec Accord De Paris
Laurence Tubiana Redéfinit Diplomatie Avec Accord De Paris

Africa-Press – Togo. Laurence Tubiana: L’Accord de Paris est le résultat d’années de leçons accumulées, plutôt que d’un seul moment d’inspiration. L’échec de Copenhague en 2009 a été le point de bascule: les pays ont reconnu qu’un traité conçu entièrement du haut vers le bas (« top down ») était politiquement impossible, et les discussions dans les COP suivantes, à Durban, Varsovie et Lima ont progressivement permis de construire une nouvelle architecture fondée sur les contributions nationales, la transparence et le renforcement des engagements dans le temps.

Ce qui a changé en 2015, c’est la convergence de la volonté politique et d’un sentiment commun du risque: aucune grande puissance ne souhaitait un nouvel échec, et de nombreux dirigeants ont compris que les effets du changement climatique n’étaient plus abstraits. La France a beaucoup investi dans la création de confiance, notamment avec les pays vulnérables, et a veillé à ce que le processus reste strictement multilatéral. À la fin de la conférence, la conception du traité – engagements flexibles, responsabilité renforcée et orientation claire à long terme – inspirait suffisamment confiance pour que les pays acceptent des compromis qu’ils auraient rejetés les années précédentes.

Est-ce qu’il y a un État, un chef de gouvernement, qui aura eu un rôle essentiel?

Aucun dirigeant n’a, à lui seul, permis la conclusion de l’Accord de Paris, mais certains ont joué un rôle indispensable à des moments clés. Comme Emmanuel Guérin et moi l’expliquons dans notre livre, Le climat est un sport de combat (paru en novembre 2025, éditions Albin Michel), la présidence française de la COP21, dirigée par Laurent Fabius, a créé l’espace politique et la discipline diplomatique qui ont permis de maintenir le processus.

Les États-Unis et la Chine ont, de leur côté, envoyé le signal stratégique qu’un accord universel était possible – notamment grâce à leurs annonces bilatérales de 2014. Les petits États insulaires et les pays les moins avancés ont été tout aussi déterminants: leur autorité morale et leur insistance sur l’objectif de 1,5 °C ont ancré l’ambition du texte et empêché l’accord de dériver vers le plus petit dénominateur commun. Ce qui a vraiment compté, c’est cette combinaison: des grandes puissances suffisamment alignées pour éviter tout blocage, et des pays vulnérables suffisamment organisés et confiants pour exiger un résultat crédible.

« La science a été l’ancrage du processus de Paris »
Parmi les 29 articles de l’accord de Paris, quels sont ceux qui ont été les plus discutés?

Les débats les plus sensibles portaient sur trois points: la différenciation, la transparence et l’objectif de long terme. La différenciation [entre pays développés et en voie de développement, ndlr] était particulièrement controversée, car l’ancienne division entre pays de l’annexe I et non-annexe I – une catégorisation de 1992 plaçant les pays industrialisés dans un groupe avec des obligations contraignantes et tous les autres dans un groupe sans obligations – constituait depuis longtemps un principe structurant de la Convention onusienne de lutte contre le changement climatique adoptée à Rio de Janeiro.

Beaucoup de pays en développement craignaient que l’ajustement de ce cadre n’affaiblisse la reconnaissance des responsabilités historiques, tandis que d’autres estimaient que l’accord devait adopter une approche plus flexible pour garantir une participation universelle.

La transparence s’est révélée tout aussi difficile: certains États résistaient à un renforcement des obligations de rapportage et d’examen, mais sans cela le nouveau système des « contributions déterminées au niveau national » (CDN) qui représentent l’engagement de chaque État auprès de la communauté internationale aurait manqué de crédibilité. Quant à l’objectif de long terme – limiter le réchauffement bien en dessous de 2 °C et poursuivre les efforts vers 1,5 °C –, il a nécessité des négociations intenses, étayées par les données scientifiques et l’engagement des pays vulnérables. Ensemble, ces débats ont défini l’équilibre politique qui a rendu l’accord possible.

Durant ces dix années, quel rôle a joué la science à travers le Giec?

La science a été l’ancrage du processus de Paris. Au cours de la dernière décennie, le Giec a fourni la base factuelle qui a façonné les repères politiques et les attentes publiques, notamment grâce au rapport spécial sur 1,5 °C de 2018 et aux évaluations ultérieures sur les impacts, les risques et les trajectoires. Ces rapports ont clarifié ce qui était en jeu en termes de conséquences concrètes pour les vies, les économies et les écosystèmes – et ils ont rendu impossible pour les gouvernements de prétendre qu’un changement incrémental suffirait.

Le Giec a également renforcé la crédibilité du cycle quinquennal en montrant à quelle vitesse l’écart se creusait entre les engagements et la réalité, ce qui a poussé de nombreux pays à actualiser leurs politiques et leurs CDN. En somme, la science a été à la fois la boussole et un point de pression essentiel: elle a fixé la direction et contribué à créer l’urgence politique d’avancer.

Dix ans plus tard, qu’est-ce qui a le mieux fonctionné?

Le principal succès de l’Accord de Paris a été sa capacité à placer l’économie mondiale sur une nouvelle trajectoire technologique et financière, en donnant aux gouvernements, aux investisseurs et aux entreprises un signal de long terme partagé. Sa combinaison de participation universelle, de mises à jour régulières tous les cinq ans et de règles de transparence renforcées a créé l’attente que les politiques climatiques se durciraient avec le temps, ce qui a orienté les décisions d’investissement et les comportements de marché d’une manière qu’il aurait été difficile de provoquer sans cet ancrage. Surtout, Paris s’est également traduit dans les cadres politiques nationaux.

Plus de 140 pays ont désormais, ou envisagent d’adopter, des objectifs de neutralité carbone – souvent inscrits dans des lois climatiques nationales. Les tribunaux commencent eux aussi à se référer directement à Paris – depuis les avis consultatifs de la Cour internationale de justice jusqu’aux décisions nationales qui traitent ces objectifs de réduction de CO2 comme des références juridiques pertinentes – renforçant ainsi l’idée que les gouvernements sont tenus d’agir.

« Paris a inscrit le climat plus profondément dans la mécanique des relations internationales »

Les résultats dans l’économie réelle sont clairs. En 2015, le solaire et l’éolien étaient encore marginaux ; aujourd’hui, ils fournissent environ 30 % de l’électricité mondiale et constituent la source d’énergie la moins chère dans de nombreux marchés. Les coûts du solaire ont chuté de plus de 80 % depuis 2010, et les investissements annuels dans les énergies propres ont plus que doublé, passant d’environ 1000 milliards de dollars à plus de 1800 milliards. Les véhicules électriques sont passés de moins de 1 % des ventes mondiales à près de 20 % aujourd’hui. Grâce à ces transformations et à d’autres, les émissions sont désormais plusieurs gigatonnes en dessous des projections pré-Paris. L’action engagée depuis 2015 a réduit les estimations de réchauffement à la fin du siècle d’environ un degré Celsius (de 3,3–3,8 °C à 2,5–2,9 °C). Rien de tout cela n’est encore suffisant, mais la direction est nette: Paris a contribué à aligner les politiques, l’économie et le progrès technologique, faisant de la transition propre un élément central de la planification de long terme.

Est-ce que l’accord de Paris a apporté quelque chose de nouveau dans les relations multilatérales et bilatérales?

Oui. l’Accord de Paris a redéfini la manière dont les pays mènent la diplomatie climatique et, de plus en plus, leur diplomatie tout court. Dans un monde où très peu de sujets disposent encore d’un cadre véritablement multilatéral, cet accord fait figure d’exception: il a instauré un mode de coopération fondé sur des engagements évolutifs et un suivi régulier plutôt que sur un partage des charges fixé à l’avance. Le cycle quinquennal et le bilan mondial ont créé un rythme de responsabilité qui n’existait pas auparavant. Sur le plan bilatéral, Paris est aussi devenu un point de référence dans les partenariats commerciaux, d’investissement et de développement. L’Union européenne insère désormais des dispositions climatiques dans ses principaux accords commerciaux. Des pays comme l’Inde, l’Indonésie ou l’Afrique du Sud ont négocié des partenariats pour une transition énergétique juste, liant ambition climatique et soutien financier. Les grands émetteurs utilisent de plus en plus les repères de Paris dans leurs dialogues sur l’énergie, l’innovation et la politique industrielle.

Bien sûr, cette intégration reste inégale et loin d’être achevée. Les clauses climatiques dans les accords commerciaux demeurent limitées dans leur portée et leur mise en œuvre. Les tensions géopolitiques l’emportent souvent sur une coopération alignée aux objectifs climatiques. Et de nombreux partenariats bilatéraux restent en deçà de l’ampleur ou de la prévisibilité nécessaires pour réorienter les stratégies nationales d’investissement. Paris a inscrit le climat plus profondément dans la mécanique des relations internationales, mais n’en a pas encore fait un principe structurant et constant de la politique étrangère – cela reste un chantier en cours.

Est-ce qu’on pourrait aujourd’hui diviser le monde entre pro- et anti-Accord de Paris, pro- et anti-sortie des énergies fossiles?

Je ne décrirais pas le monde comme divisé entre des camps simplement pro- ou anti-Paris. La réalité est beaucoup plus fluide. Presque tous les pays soutiennent formellement le cadre de Paris, mais ils divergent fortement sur le rythme et l’ampleur de l’action – en particulier sur la sortie des énergies fossiles.

Pour certains gouvernements, la transition est désormais au cœur de leur stratégie économique ; pour d’autres, elle reste limitée par des impératifs de sécurité énergétique à court terme ou par une dépendance aux revenus tirés des énergies fossiles. Ces tensions influencent les relations internationales, mais pas selon une logique binaire. Elles donnent plutôt lieu à des coalitions mouvantes: des pays qui défendent un langage fort sur les énergies fossiles ; d’autres qui protègent les intérêts des producteurs ; d’autres encore qui cherchent à tirer parti de l’économie des énergies propres. Paris est devenu un point de référence dans l’ensemble de ces débats. Cependant les dernières COP ont montré un investissement sans précédent des acteurs des énergies fossiles, entreprises et États producteurs. De fait les relations se tendent entre ceux qui veulent sortir de la dépendance des fossiles et ceux qui bloquent cette évolution. En particulier aujourd’hui, où les États-Unis ont déclaré la guerre aux politiques climatiques. L’accord a fait émerger un paysage où l’ambition climatique devient progressivement un élément de l’identité géopolitique.

« Les marchés carbone ne peuvent jouer qu’un rôle limité et strictement défini »
Les notions de « mesures des émissions, vérification des résultats, et rapportage auprès de l’ONU » sont-elles réellement intégrées?

Le système des NDC s’est progressivement structuré au cours de la dernière décennie. En 2015, de nombreux pays avaient soumis leurs premières contributions avec des données limitées, des années de référence hétérogènes et des plans de mise en œuvre faibles. Aujourd’hui, la plupart des NDC sont plus détaillées, couvrent un plus grand nombre de secteurs et sont de plus en plus liées à la planification nationale, aux budgets et aux stratégies d’investissement. Le cadre de mesure, de rapportage et de vérification s’est lui aussi renforcé: les règles de transparence adoptées après Paris ont créé des exigences de rapportage (communication à l’ONU) plus cohérentes, et un nombre croissant de pays publient désormais des inventaires et des rapports d’avancement réguliers. Des lacunes importantes persistent. Dans de nombreux pays, les villes, régions, provinces ont encore trop peu d’influence dans l’élaboration et la mise en œuvre des NDC, alors même qu’elles sont responsables d’une part significative de l’action. Certains pays ont commencé à institutionnaliser cette coordination, mais on est encore loin d’une pratique généralisée.

Dans l’ensemble, le système évolue dans la bonne direction: les NDC sont passées de déclarations d’intention à la colonne vertébrale de la gouvernance climatique nationale, mais la qualité et l’inclusivité de cette gouvernance restent très variables. Cela dit, elles sont encore très loin de nous mettre sur la bonne route et certains pays n’ont pas encore publié leurs nouveaux engagements. Le deuxième pollueur mondial, les États-Unis, n’en feront rien tant que le président Trump sera au pouvoir.

Est-ce qu’actuellement, selon vous, les NDC sont réalisables par tous les États?

La faisabilité varie fortement, car les pays n’ont pas les mêmes structures économiques, capacités budgétaires ou contraintes politiques. Certaines grandes économies disposent désormais des technologies, des marchés et des institutions nécessaires pour respecter leurs NDC, à condition de maintenir des politiques cohérentes. D’autres, en particulier celles qui ont une marge budgétaire limitée ou une forte dépendance aux revenus tirés des énergies fossiles, auront du mal à y parvenir sans un soutien international important.

Pour de nombreux pays en développement, les volets conditionnels de leurs NDC dépassent encore leurs moyens internes: ils nécessitent des financements concessionnels, des instruments de partage des risques et des partenariats prévisibles. Il faut également reconnaître que la plupart des gouvernements définissent leurs NDC en fonction de ce qu’ils estiment réalisable dans les conditions actuelles, plutôt que comme une expression pure d’ambition. Une meilleure stabilité des politiques, des institutions plus solides et un meilleur accès au financement tendent à produire des objectifs plus ambitieux – et l’inverse se vérifie lorsque les pays sont confrontés à des chocs ou à une instabilité politique. La question centrale est de savoir si le système international peut créer les conditions permettant aux pays d’augmenter et de tenir leur ambition.

La prise en compte d’un marché carbone de compensation est très critiquée par les scientifiques. Quelle place voyez-vous à ce marché?

Les marchés carbone ne peuvent jouer qu’un rôle limité et strictement défini. Leur crédibilité dépend entièrement de l’intégrité des règles qui les encadrent. Les critiques de la communauté scientifique sont largement justifiées: trop de mécanismes de compensation carbone ont surestimé leur impact ou ont été utilisés pour retarder de vraies réductions d’émissions. Dans le cadre de l’Accord de Paris, l’enjeu est désormais de renforcer la gouvernance de ces mécanismes – en garantissant une comptabilité rigoureuse, une transparence totale et des limites strictes sur ce qui peut être crédité. Les compensations ne peuvent pas se substituer à une action nationale insuffisante, et elles ne doivent pas servir à prolonger l’usage des énergies fossiles. Mais des crédits de haute qualité, notamment ceux émis sur le marché officiel du carbone pour soutenir la résilience ou protéger les écosystèmes, peuvent compléter les efforts nationaux s’ils opèrent sous une supervision solide et sont alignés de manière transparente avec les NDC des pays.

Comment voyez vous la trajectoire de sortie des énergies fossiles, un sujet qui monte?

Les dernières analyses de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) sont très claires: les énergies propres acquièrent un avantage structurel en termes de coûts, mais la vitesse à laquelle elles remplacent réellement les énergies fossiles dépend encore de politiques solides et cohérentes. Sans s’attaquer à la dépendance économique profondément ancrée au pétrole et au gaz – qu’il s’agisse de l’emploi, des systèmes énergétiques nationaux ou des recettes publiques –, la transition restera plus lente que ce qu’exige la science. Cette dépendance est renforcée par l’ampleur des soutiens dont bénéficient encore les énergies fossiles: selon le Fonds monétaire international (FMI), les subventions implicites et explicites au pétrole, au gaz, au charbon représentaient environ 7000 milliards de dollars en 2023.

« Certains pays commencent à se projeter en ‘électro-États’ plutôt qu’en pétro-États »

À la COP30, plus de 80 pays ont plaidé pour une feuille de route claire de sortie des énergies fossiles, tandis qu’un groupe plus restreint de grands exportateurs et certains pays émergents ont refusé toute formulation explicite, et que beaucoup d’autres restaient incertains de leur position. Ce qui a changé, c’est que le sujet est désormais inévitable. Il reviendra à chaque COP, et la pression ne fera que croître à mesure que les dynamiques économiques continueront d’évoluer. Nous voyons aussi émerger de nouveaux modèles de développement: certains pays commencent à se projeter en « électro-États » plutôt qu’en pétro-États – des économies fondées sur une électricité abondante et décarbonée, la transformation de minerais critiques, les transports électrifiés et de nouvelles chaînes de valeur industrielles. Se rendre dans des villes comme Shenzhen en Chine donne un aperçu de ce futur possible. Le paysage politique s’ouvre, mais l’aligner sur la réalité économique et scientifique exigera une action coordonnée, des stratégies de diversification et un soutien international pour les pays les plus exposés aux risques de transition.

Comment les différents présidents de COP restent-ils mobilisés?

Il n’existe aucune structure formelle qui maintienne les anciens présidents de COP mobilisés ; la continuité repose donc surtout sur des liens informels et sur l’engagement personnel. Au fil des années, beaucoup d’entre nous sont restés en contact pour partager notre expérience, donner des conseils et nous soutenir mutuellement lorsque les négociations traversaient des moments de complexité politique ou géopolitique particulière.

La présidence brésilienne de la COP30 a tenté de donner à cet échange une forme plus structurée en réunissant un cercle d’anciens présidents de COP – une innovation qui peut aider à transmettre les leçons apprises, à éviter de répéter les erreurs passées et à offrir un soutien politique pour des résultats ambitieux à Belém. Mais dans les faits, chaque présidence décide dans quelle mesure elle souhaite s’appuyer sur ses prédécesseurs et quels processus elle veut maintenir ou créer. Pour ma part, je reste engagée à travers ces échanges, à travers mon travail à la European Climate Foundation, en ayant accepté le rôle d’envoyée spéciale pour la présidence brésilienne et en saisissant chaque occasion de défendre l’esprit qui a rendu l’Accord de Paris possible.

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