Africa-Press – Togo. « Il existe des centaines, voire des milliers de textes consacrés à la pharmacopée, en latin et dans toutes les langues vernaculaires provenant de différentes civilisations, notamment gréco-romaine, arabe et chrétienne », déclare Iolanda Ventura, spécialiste d’histoire de la pharmacologie médiévale à l’université de Bologne. Certains décrivent l’usage des médicaments simples (remèdes fabriqués à partir d’une seule substance, généralement d’origine naturelle), d’autres – les antidotaires – sont des recueils de recettes.
Surtout accessibles aux clercs, médecins universitaires, apothicaires et élites aristocratiques, la théorie pharmacologique y est expliquée Mais il n’existe pas de répertoire complet de toutes les typologies de recettes. Parmi les textes les plus importants figure le recueil De materia medica de Dioscoride, qui remonte au 1er siècle après J.-C. Il décrit les usages thérapeutiques de quelque 600 plantes médicinales ainsi que de substances animales et minérales. La pharmacopée médiévale est en fait le fruit d’un vaste syncrétisme entre les savoirs antiques (Hippocrate, Galien, Dioscoride), les contributions arabes (Avicenne, Abulcasis) et les apports locaux (école de Salerne, Hildegarde de Bingen).
Quant aux théories médicales dominantes, celle des humeurs, héritée d’Hippocrate, est sans doute le pilier central. Mais d’autres sont populaires. Parmi elles, celle des signatures qui veut que la forme, la couleur ou l’odeur d’un remède puisse révéler ses propriétés médicinales. L’hermodacte ou « doigt de mercure », une plante évoquant des doigts déformés, était ainsi utilisée dans le traitement de la goutte.
La théorie des similitudes reposait quant à elle sur le postulat qu’une substance est capable de reproduire les symptômes d’une maladie pour guérir cette dernière. Autrement dit, soigner le mal par le mal. Les médecins médiévaux utilisaient par exemple des doses réduites ou diluées de venin (serpent, scorpion, abeille) pour traiter les morsures ou les piqûres. Cette pratique repose sur l’idée que ce qui cause un problème peut aussi renforcer la capacité du corps à le combattre, un concept précurseur des approches modernes comme la désensibilisation.
Des remèdes essentiellement à base de plantes?
« Environ 80% des remèdes utilisés au Moyen Âge sont à base de substances végétales », souligne Josy Marty-Dufaut, auteure de Remèdes et soins au Moyen Âge. D’une part, parce qu’elles sont facilement accessibles, d’autre part, parce que leurs propriétés thérapeutiques sont étudiées depuis l’Antiquité. « Ce sont essentiellement les femmes qui ont une connaissance empirique des espèces végétales », précise Iolanda Ventura.
La plante star n’est autre que la sauge, dont la dénomination vient du verbe latin salvare qui signifie « sauver ». Une phrase célèbre de l’école de Salerne lui est consacrée: « Homme, pourquoi meurs-tu, lorsqu’en ton jardin pousse la sauge? » Traitement des infections respiratoires, des maux de gorge, des troubles digestifs, de la fatigue, elle a toutes les vertus.
« L’ail était, lui, le médicament des pauvres, indique Iolanda Ventura. Tout le monde pouvait s’en procurer… » Son odeur forte et ses composés sulfurés, bien que non identifiés scientifiquement à l’époque, étaient considérés comme capables de « purifier » le corps et l’air autour du malade. Si certaines plantes sont tout simplement cueillies à l’état sauvage, d’autres sont cultivées dans l’herbularius, la partie des jardins monastiques dédiée aux plantes médicinales.
Quelle place pour les minéraux?
On estime qu’à peine plus de 10% des remèdes sont d’origine minérale. Les prétendues vertus thérapeutiques des minéraux sont réservées à des affections particulières, notamment les maladies de peau, des yeux, et les infections de la bouche. Leur efficacité reposait souvent davantage sur des croyances symboliques ou alchimiques que sur des observations médicales vérifiées.
Par ailleurs, « les minéraux sont regardés avec prudence, car considérés comme ayant de puissants effets », précise Iolanda Ventura. Le vitriol, un dérivé de l’acide sulfurique associé à différents métaux, était par exemple utilisé pour purifier les plaies ou traiter les infections cutanées. Ses propriétés antiseptiques en faisaient un ingrédient courant des onguents et des cataplasmes pour prévenir la gangrène. Mais avec précaution, en raison de sa toxicité.
« Ce corrosif puissant venait à bout des abcès, mais attaquait aussi les tissus voisins », précise Iolanda Ventura. Bon nombre de pierres décrites par Dioscoride et Galien n’étaient pas facilement accessibles car elles provenaient de régions lointaines, notamment le Moyen-Orient. C’est le cas de la pierre d’alun, utilisée pour ses propriétés astringentes et cicatrisantes.
Comment ces remèdes sont-ils préparés et administrés?
Une attention particulière est portée au moment de la cueillette. Le trajet des étoiles, la position de la lune, les solstices, les équinoxes sont pris en compte. Par ailleurs, moines, apothicaires, guérisseurs et médecins ont suffisamment de connaissances du monde végétal pour savoir que chaque partie d’un végétal recèle des propriétés spécifiques. Et de la feuille à la résine en passant par l’écorce, les graines ou les racines, rien ne leur échappe. Quant aux formes galéniques, elles sont très variées: infusion, décoction, cataplasme, onguent, collyre, poudre…
Certaines méthodes étaient transmises depuis l’Antiquité, enrichies par des observations empiriques. Les guérisseurs, même sans connaissance chimique, avaient ainsi remarqué que l’eau chaude permet de libérer les substances actives des plantes. L’alchimie a contribué à l’élaboration de techniques importantes, telles que la distillation et la purification. Avicenne (980-1037) a popularisé l’usage de distillats, dont l’eau de rose pour ses propriétés antiseptiques.
Des remèdes vraiment efficaces?
Les traitements reposent en grande partie sur des croyances populaires, la théorie des humeurs et une connaissance limitée des mécanismes biologiques, ainsi que sur les croyances religieuses, susceptibles de renforcer l’effet placebo. Contre la peste, les médecins pouvaient préconiser des saignées, des décoctions d’herbes, des fumigations de soufre, l’absorption du « bol d’Arménie » composé de terre glaise et de lait de chèvre, mais aussi le port de médailles de saint Roch. Cependant, certains remèdes étaient efficaces, partiellement ou pleinement.
Les principes actifs de la camomille (anti-inflammatoires et calmants) avaient par exemple été bien identifiés. « La notion de posologie était déjà travaillée, précise en outre Iolanda Ventura. Il existait même des petits traités portant sur les poids et les mesures, avec une véritable mathématisation des dosages. » Malgré tous ces manuscrits, chaque apothicaire, guérisseur, barbier était très autonome, et ses pratiques pouvaient donc s’en éloigner. « L’idée même de guérison était différente, précise l’universitaire italienne, car seuls les symptômes extérieurs étaient visibles. Faire disparaître un gonflement ne signifie pourtant pas vaincre la maladie.
Les étranges vertus du chiot farci
Pas ragoûtants, voire hautement toxiques… certains traitements utilisés au Moyen Âge ont heureusement disparu de la pharmacopée. Imaginez par exemple devoir avaler du chiot farci de limaçons et de sauge pour lutter contre la goutte (inflammation des articulations). Ou encore se voir appliquer sur l’œil, en cas de cataracte, de la bile de lièvre mélangée à du miel. La vipère et ses dérivés étaient d’ailleurs considérés comme des remèdes puissants, possédant des propriétés « réchauffantes » et pouvant aider à « purger » le corps des impuretés. Le caractère toxique du venin de l’animal était connu, mais la posologie un peu hasardeuse pouvait conduire à des catastrophes.
Des plantes très toxiques, telles que la belladone et la jusquiame, entraient aussi dans la composition de certains médicaments. Dans la catégorie des remèdes à éviter, les minéraux ne sont pas en reste. L’antimoine, un métal lourd, est utilisé dans de nombreux cas: fistules, écoulement nasal, hémorroïdes. Il était aussi apprécié comme vomitif… mais, pris à fortes doses, conduisait purement et simplement à la mort. D’autres thérapeutiques étaient destinées à maintenir ou rétablir l’équilibre des humeurs, notamment la célèbre saignée, selon l’idée que le sang, élément vital, « échauffe » le corps lorsqu’il est en excès et conduit à des symptômes comme la fièvre ou l’agitation. L’opération, pratiquée selon des règles très précises, reposait sur une connaissance approximative de la circulation sanguine. Les points de saignée, répartis sur 47 veines, étaient choisis en fonction de la maladie. Le recours aux sangsues visait lui aussi à retirer l’excès de sang, mais de manière moins invasive. Placés sur la peau, ces vers aquatiques aspiraient jusqu’à dix fois l’équivalent de leur poids en sang. Troisième technique pratiquée par les barbiers: les ventouses avec incision.
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