Pierre-Olivier Rouaud
Africa-Press – Benin. Dans un environnement économique complexe, les opérateurs internationaux continuent d’investir sur le continent. Mais le risque politique, l’envolée des coûts de construction et la hausse des taux d’intérêt freinent les ardeurs, en particulier dans le domaine des infrastructures. Les industriels jouent de leur coté la carte de la valeur ajoutée locale.
Simandou, c’est parti ! Après un accord de principe avec les autorités guinéennes au mois de mars, les partenaires pour l’exploitation du gisement, Rio Tinto et Winning Consortium Simandou, viennent de signer en août les accords de construction du chemin de fer et du port de ce mégaprojet minier. Estimé à 10 milliards de dollars, le chantier de mise en exploitation des riches gisements de fer du sud-est de la Guinée figure désormais comme le plus important projet de toute l’Afrique dans le secteur.
À l’image de Simandou, nombreux sont, pour cette année 2023 et au-delà, les investisseurs nationaux, panafricains ou extra-continentaux à miser sur l’Afrique. Le dernier rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) sur les investissements directs étrangers (IDE) mondiaux en témoigne. Le nombre de projets nouveaux (greenfield) en Afrique annoncés par des investisseurs étrangers a bondi de près de 40 % en 2022, soit quelque 766 projets. Mieux, l’an dernier, six des quinze principaux mégaprojets au monde – ceux estimés à plus de 10 milliards de dollars – se trouvaient en Afrique, en particulier dans l’hydrogène.
Et malgré une chute en apparence (–43,5 %, à 44,9 milliards de dollars), les IDE en Afrique ont progressé de 7 % en 2022, toujours selon le même rapport, une fois exclue une opération de recomposition capitalistique au sein d’un groupe sud-africain.
Risque politique et difficultés de financement
« Le continent regorge de projets conduits par le secteur privé. Nos bonnes performances de 2022 et du premier semestre de cette année montrent que les investissements rentables ne manquent pas », abonde en ce sens Sameh Shenouda, directeur exécutif et directeur des investissements du fonds Africa Finance Corporation (AFC), l’institution financière panafricaine de développement centrée sur le secteur privé. Ce dernier constate toutefois, comme bien d’autres, une situation économique plus tendue sur la période récente, et de nouvelles contraintes pour les opérateurs.
Dans le domaine des infrastructures et de l’énergie, le fait marquant est l’envolée des prix de la construction, des matériaux et de la logistique, une conséquence de la période Covid. Ce qui a bousculé voire mis en péril de nombreux projets. En début d’année, sur l’un des plus importants projets solaires du Tchad, le parc Djermaya (phase 1 de 36 MWc), « un groupe indien, choisi pour réaliser les travaux, a préféré jeter l’éponge en raison de l’inflation des coûts », rapporte un partenaire du projet qui associe divers investisseurs dont la Banque africaine de développement (BAD), Proparco, le fonds Emerging Africa Infrastructure (EAIF), InfraCo ou encore Neo Themis. Il a fallu relancer un appel d’offres attribué in fine au groupe égyptien Elsewedy, non sans augmentation de la facture.
L’autre défi des plus actuels est le risque politique qui a encore enflé avec le récent coup d’État au Niger, le quatrième dans la région, et les tensions régionales afférentes. « Pour un pays, ce type d’événement se traduit par un gel immédiat de la plupart des financements de projets. C’est ce qu’on observe déjà au Niger avec les projets Scaling Solar pourtant en pleine phase de développement », indique un avocat d’affaires familier de la région. Dans ce cas de figure, au mieux, les bailleurs de fonds quels qu’ils soient mettent leurs dossiers sur pause, en attendant un calendrier de transition institutionnelle, comme en Guinée. Au pire, les investisseurs vont voir ailleurs.
À ce dernier risque s’ajoutent les difficultés de financement qui se sont accélérées avec une hausse des taux directeurs partie des États-Unis au début de 2022, qui s’est étendue à l’Europe quelques semaines plus tard avant de se propager. Sans détour, le dernier rapport du FMI sur l’Afrique subsaharienne, en avril, s’intitulait : « La grande pénurie de financement ». Pour l’avocate Marianna Sédéfian, associée chez Trinity International LLP et spécialiste du montage de projets, notamment dans les renouvelables, tempère toutefois : « La phase de hausse des coûts EPC [ingénierie, approvisionnement et construction] et de renchérissement du crédit atteint un palier depuis quelques mois. De plus, les bons projets de taille moyenne dans des pays stables comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire se montent assez facilement. D’autant que les institutions financières de développement, c’est le paradoxe actuel, ont d’importants capitaux disponibles, mais sont plutôt en mal de dossiers bancables. »
De cet environnement complexe, Jeune Afrique dresse un panorama non exhaustif des domaines qui attirent actuellement les investisseurs.
Les miniers creusent toujours plus
Si l’Afrique du Sud, traditionnelle championne du secteur, fait grise mine, d’autres pays se distinguent dans le domaine extractif. « Après la fièvre de l’or des dernières années, on voit entrer en phase active, dans une grande variété de minerais, une nouvelle génération de projets portés par de grands opérateurs ou par des juniors stimulés par la demande et les cours mondiaux », relate un consultant spécialisé. Illustration au Gabon, où Fortescue, associé à hauteur de 10 % au fonds Africa Transformation and Industrialisation, conduit par Gagan Gupta (Arise), promet les premières tonnes de minerai de fer des gisements de Belinga pour la fin de l’année. Cela au prix de 200 millions de dollars d’investissements. Capital Ltd, une société de services miniers basée à Maurice, vient en ce sens de signer un contrat d’exploitation de 150 millions de dollars sur cinq ans avec le géant australien des mines.
Dans le même pays et toujours pour du fer, un autre opérateur australien, Genmin, a signé, mi-août, un accord de vente (offtake) avec le chinois Hunan Valin Steel qui va lui permettre d’avancer un peu plus sur le projet en devenir de Baniaka, chiffré à 200 millions de dollars.
Pépite géologique, la RDC est aussi en pointe en ce moment avec de véritable success-stories comme la mine de cuivre Kamoa-Kakula, ouverte en mai 2021, près de Kolwezi. Le canadien Ivanhoe Mines Ltd et son partenaire chinois Zijin ont récemment confirmé qu’ils allaient y réinvestir 2,8 milliards de dollars en 2023 et 2024. De quoi mener l’extension de cette mine devenue, en deux ans, l’une des plus importantes et plus rentable au monde, avec une production prévue d’au moins 390 000 t de métal rouge cette année. Ce programme est financé par les cash flow déjà dégagés par la mine et par de la dette senior levée sur les marchés.
Non content d’avoir mené le développement de Kamoa-Kakula, Robert Friedland, le patron d’Ivanhoe Mines, s’apprête à réaliser un exploit en RDC : la relance, à Lubumbashi, de la mine de Kipushi (zinc, cuivre, etc.) en sommeil depuis vingt ans. En partenariat avec la société publique Gécamines (32 %), Ivanhoe est parvenu, en avril dernier, à décrocher auprès du trader suisse Glencore une facilité de crédit de 250 millions de dollars sur trois ans et un contrat de offtake. De quoi espérer redémarrer la mine d’ici à la fin de 2024. Sur ce projet, la banque kino-congolaise Rawbank, dont les prêts au secteur minier totaliseront bientôt 1 milliard de dollars, a accordé en juin un crédit non sécurisé de 80 millions de dollars pour cofinancer la relance du site, chiffrée au total à 380 millions de dollars sur 2023-2024.
« Le potentiel du secteur minier en Afrique demeure considérable », estime Sameh Shenouda, d’AFC, car le continent recèle à lui seul « 40 % des réserves mondiales de matériaux critiques pour la transition énergétique ». De fait, à côté du cuivre, du cobalt ou de l’aluminium, le graphite naturel, utilisé notamment pour les anodes des batteries lithium-ion, a, lui aussi, le vent en poupe. Selon Benchmark Mineral Intelligence, le continent devrait en devenir la première source mondiale d’ici à 2026, avec 40 % du marché, dépassant la Chine.
Les énergéticiens se dopent au gaz et au soleil
Comme les mines, l’énergie continue de captiver les investisseurs. Et, dans le domaine des hydrocarbures, le gaz naturel fait figure de star. « En Afrique, la plupart des majors allègent leurs actifs dans le pétrole au profit d’acteurs de taille moyenne comme Perenco, Tullow ou Heirs Holding, de Tony Elumelu. Dans le même temps, les compagnies internationales réinvestissent massivement dans le gaz naturel, tant les besoins mondiaux sont importants du fait du conflit en Ukraine », note un expert pétrolier.
Eni, déjà champion du méthane en Égypte (Zohr), s’active ainsi sur un vaste plan de développement offshore au Congo. Lancé à la fin d’avril à Pointe Noire, ce programme, estimé à 5 milliards de dollars (et dans lequel la SNPC détient 10 %), comportera notamment deux unités flottantes de liquéfaction. Le groupe italien a aussi réinvesti en Algérie avec Sonatrach. Au Mozambique, Eni est l’opérateur du projet offshore Coral Sul, entré en production en octobre 2022. La major est également partenaire, aux côtés d’ExxonMobil, de Rovuma (non lancé), l’un des deux mégaprojets du pays, avec celui dénommé Mozambique LNG mené par TotalEnergies et dont les travaux sont encore en suspens.
Commun à la Mauritanie et au Sénégal, le projet gazier offshore Grand Tortue Ahmeyim (GTA) conduit par BP avec Kosmos et les compagnies nationales SMHPM et Petrosen, approche, lui, de la phase de production prévue — après de nouveaux retards – pour le premier trimestre 2024. Mais déjà, les industriels se préparent à la phase 2, qui devrait nécessiter environ 5 milliards de dollars, selon le président Macky Sall. Outre les revenus d’exportation, GTA, avec le champ de pétro-gazier de Sangomar (Woodside) qui doit entrer en production mi-2024, vont permettre au pays de la Teranga d’entrer dans une logique gas to power. « Même si le marché international du gaz naturel constitue de loin la première destination de ces projets, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Congo ou encore en Angola, la valorisation locale en électricité se généralise en Afrique », relate notre expert pétrolier.
Au Sénégal, à la fin de 2022, l’homme d’affaires Samuel Sarr, associé à un consortium d’entrepreneurs sénégalais, a ainsi bouclé auprès d’AFC et d’autres prêteurs l’essentiel du financement de la centrale Cap des Biches, un projet à 350 millions de dollars.
Dans cette même logique gas to power, au Gabon, le pétrolier franco-britannique Perenco, lancé dans un plan de développement gazier à 1 milliard de dollars, a signé en mai un accord préliminaire avec Gabon Power pour alimenter une future centrale à gaz de 21 MW à Mayumba. Comme il l’a fait précédemment pour celle d’Owendo (Libreville), un actif de 120 MW développé par Gabon Power (40 %) et Wartsila (60 %).
Parallèlement aux énergies traditionnelles, le boom des renouvelables – solaire en tête – ne dément pas. « Dans toute l’Afrique de l’Ouest notamment, on observe une multiplication de projets photovoltaïques de taille moyenne, soit quelques dizaines de MWc, voire plus, pour lesquels les financements internationaux ou fonds “climat” sont largement disponibles », indique Marianna Sédéfian qui conseille notamment les fonds et développeurs Africa REN, EAIF, Qair ou Scatec Solar. Elle poursuit : « De plus en plus, ces parcs solaires s’accompagnent d’une composante de stockage, apportant un véritable service en matière de stabilité des réseaux. » En ce sens, le malgache Axian, via sa filiale NEA, négocie actuellement son deuxième projet solaire au Sénégal, un parc de 30 MWc avec stockage, relié au réseau de la Senelec.
À côté de ces parcs connectés, les développeurs s’orientent de plus en plus vers le segment dit Commercial & Industrial (C&I). « Les contrats avec les compagnies électriques nationales sont longs à négocier. Les deals entre développeurs et les sociétés privées qui veulent s’assurer une source d’électricité bas carbone, eux, se montent vite », justifie un investisseur. Ainsi, à peine ouverte la mine malgache de graphite de NextSource s’est dotée en juillet d’une centrale hybride, comprenant 2,6 MWc solaire et 3,1 MW thermique possédé et exploité sur une durée de vingt ans par CrossBoundary Energy, un développeur kényan.
Les bâtisseurs naviguent entre les écueils
Ports, aéroports, routes, transports urbains, ferroviaires, barrages… En dépit de contraintes souvent fortes, les investisseurs audacieux restent à l’affût de ces projets pour lesquels les besoins sont immenses et l’incidence fortement structurante. Cela à l’image de l’autoroute en travaux Dakar-Saint-Louis au Sénégal, associant divers bailleurs, du futur métro d’Abidjan financé par la France, ou encore du port en eau profonde de Lekki, au Nigeria, porté par le chinois China Harbour Engineering Company (CHEC) et inauguré en janvier.
À Madagascar, c’est sur la construction de la première autoroute de l’île, entre Antananarivo et Toamasina, que s’active, depuis fin 2022, le groupe égyptien Samcrete. Un projet de 250 millions de dollars pour les premiers 80 km, remporté sur appel d’offres. Particularité, Samcrete est membre d’Egaad, un consortium de majors égyptiennes du BTP associées à l’export, qui a apporté un package EPC et les financements, ceux Afreximbank notamment. « Cette approche intégrée accélère la mise en œuvre des projets, lance Reda Boulos, un des responsables d’Egaad. Elle nous a permis de signer en RDC, en 2021, divers contrats pour la réalisation d’importants projets routiers dans des zones enclavées, ainsi que plusieurs milliers de kilomètres de fibre optique. »
Dans le domaine portuaire, à côté des chantiers sur fonds publics, tel que le futur port de Dakhla dans le sud du Maroc, certains investisseurs internationaux gardent de l’appétit. C’est le cas de DP World. Malgré ses déboires à Djibouti et en Tanzanie, le géant de Dubaï poursuit son maillage du continent. Après ses investissements à Berbera, au Somaliland, il vient de lancer la construction du port en eau profonde de Ndayane-Dakar, un projet à 1,1 milliard de dollars en deux phases.
Bien plus au sud, sur l’étroite façade maritime de la RDC, DP World est sur le point d’entamer à Banana les travaux du premier port en eau profonde du pays (350 millions de dollars pour la phase 1). Signé en 2017, sous Joseph Kabila, ce partenariat public-privé (PPP) sur trente ans a été renégocié sous présidence Tshisekedi, fin 2021, l’État s’octroyant une part finale de 48 %. Pour accélérer encore son expansion en Afrique, DP World s’est associé en 2021 avec l’institution financière British International Investment pour créer une structure d’investissement commune consacrée au portuaire avec une cible de 1,7 milliard de dollars d’investissements.
Mais dans le domaine des grandes infrastructures « force est de constater qu’en dépit des innombrables structures de financement, du volontarisme affiché par les États et de l’action résolue de la BAD, le secteur souffre toujours d’un déficit de réalisation à l’échelle continentale, juge un financier. Actuellement, on constate un reflux des engagements de la Chine et de fortes tensions sur les comptes publics des États africains. » S’ajoute à ces considérations, l’irruption de plus en plus fréquente de clauses d’exclusions réciproques entre nations rivales (États-Unis, Chine, Inde, Russie…) dans les montages financiers.
La dénonciation, au début d’août, par la junte burkinabè du PPP de l’aéroport de Ouagadougou-Donsin, un projet conduit par le fonds Meridiam de Thierry Déau, vient aussi de rappeler la fragilité des plans à long terme.
Pour Marc Mandaba, directeur des investissements du fonds marocain Neo Themis centré sur l’énergie, l’heure est au changement de paradigme. « Comme il y a vingt ans, la conduite de projets structurants reposant principalement sur des capitaux privés redevient difficile. Il est possible qu’on s’oriente à nouveau vers une approche privilégiant des contrats d’État à État sur financements publics avec des bailleurs multilatéraux et des agences de garanties en renfort. » Dans cet environnement mouvant, aux investisseurs de trouver le bon modèle.
Source: JeuneAfrique
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