Priver Bactérie de Protéine Pour Combattre Antibiorésistance

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Priver Bactérie de Protéine Pour Combattre Antibiorésistance
Priver Bactérie de Protéine Pour Combattre Antibiorésistance

Africa-Press – Benin. La résistance aux antibiotiques pourrait tuer près de 40 millions de personnes d’ici à 2050, soit près de 2 millions de victimes directes par an dans le monde, selon une étude publiée dans la revue The Lancet. Alors les chercheurs s’activent, et tentent de trouver des solutions pour éviter ce sombre scénario, tant qu’il en est encore temps.

Sous l’impulsion de Nalini Rama Rao, directrice de recherche à l’Inrae, des scientifiques ont identifié une protéine produite par toutes les bactéries pour résister au système immunitaire de l’hôte infecté. La protéine Mfd augmente également la capacité des bactéries à développer des résistances. Dans une banque de 5 millions de molécules, ils ont trouvé la molécule NM102, capable de se fixer à la protéine Mfd et d’inhiber son action.

Mais l’équipe de l’Université Paris-Saclay ne s’arrête pas à cette découverte, et réunit autour d’elle un consortium de chercheurs pluridisciplinaire impliquant le CNRS et l’Inserm. « On s’est rassemblés pour développer un médicament capable de bloquer cette protéine et désarmer la bactérie, sans toucher au microbiote humain, raconte Nalini Rama Rao. Et pour y parvenir, on avait besoin de compétences en bio-informatique, en biochimie, d’un institut capable d’encapsuler la molécule, bref, d’une multitude de spécialités ». Leurs travaux ont été brevetés et publiés dans la revue Nature Communications.

« Priver la bactérie de cette protéine la désarme »

Les antibiotiques actuels ciblent les mécanismes essentiels à la survie et la prolifération des bactéries. Ils empêchent par exemple l’action d’organites appelés ribosomes et la réplication de leur ADN. C’est ce qui leur a permis d’avoir un large spectre d’actions, puisque la plupart des bactéries possèdent ces mêmes mécanismes. C’est aussi le cas des bactéries du microbiote, essentielles au fonctionnement du corps humain, qui ne sont pas épargnées par les molécules antibiotiques les plus courantes. Les bactéries dites saines sont touchées au moins autant que les bactéries pathogènes, ce qui entraîne un grand nombre d’effets secondaires connus (troubles du système digestif, problèmes de peau).

« Ici, l’intérêt, c’est que la protéine Mfd n’est pas nécessaire à la survie des bactéries, poursuit la chercheuse. Elle sert à réparer les lésions causées par le système immunitaire. Priver la bactérie de cette protéine ne la tue pas directement, mais la désarme, l’empêche de se soigner, de ce fait elle finit par mourir.  »

Cette stratégie de « l’antivirulence » est en cours de développement dans les laboratoires de recherche, mais n’est pas encore sur le marché. L’objectif n’est plus de tuer les bactéries en masse, mais de bloquer leur capacité à se multiplier dans l’organisme ou à sécréter des toxines. « On reproche souvent à ces stratégies d’être trop spécifiques, de ne convenir que pour un type de bactérie. Mais la protéine Mfd est présente chez toutes les bactéries, et ne s’active que lorsqu’elles subissent un stress. Ça nous permet d’agir contre un large spectre de bactéries pathogènes, attaquées par le système immunitaire, sans toucher au microbiote », se réjouit Nalini Rama Rao.

Vers un médicament dans les prochaines années

Depuis la découverte de la pénicilline en 1928, les antibiotiques ont considérablement réduit la mortalité associée aux maladies infectieuses. Mais leur usage excessif et parfois abusif a procuré aux bactéries une résistance. Certaines maladies traitées habituellement par antibiotiques connaissent une recrudescence de cas.

La tuberculose par exemple (maladie infectieuse, généralement pulmonaire), sous sa forme dite “multirésistante” ou « ultrarésistante », ne réagit plus du tout aux traitements antibiotiques de première intention. « Les antibiotiques exercent une pression de sélection, explique Nalini Rama Rao. Au cours de leur vie, les bactéries subissent des mutations aléatoires de leur ADN. Parfois, ce changement aléatoire va donner à une bactérie la capacité de résister à la molécule antibiotique. Toutes les autres vont mourir, sauf elle, qui va se répliquer avec cette nouvelle mutation. A terme, il n’y a donc plus que des bactéries résistantes. »

Le développement de la molécule inhibitrice de protéine Mfd vient de passer les études pré-réglementaires, et pourra bientôt passer aux tests cliniques. »Il nous reste à tester les différents dosages, précise la chercheuse. Mais la molécule a déjà passé les tests contre les bactéries à Gram négatif (lire l’encadré ci-dessous), dont Klebsiella pneumoniae par exemple (responsable d’infections urinaires et pulmonaires graves, ndlr), c’est à cette étape qu’échouent la plupart des molécules antibiotiques pressenties ».

Les bactéries à Gram négatif, qu’est-ce que c’est?

La coloration dite de Gram est une procédure complexe créée en 1884. Les bactéries dont la paroi est épaisse et imperméable sont dites « Gram positif » ; après le traitement de la méthode Gram, elles prennent une coloration violette. Les bactéries dont la paroi est riche en lipides et plus perméable sont, elles, colorées en rose, et appelées « bactéries à Gram négatif ». Cette distinction est toujours utilisée en infectiologie: certains antibiotiques n’agissent que sur un groupe de bactéries par exemple.

Une fois développé, le médicament pourra être utilisé seul, pour renforcer le système immunitaire, ou en complément d’une autre molécule antibiotique. « On a remarqué que la protéine Mfd est aussi à l’origine du déclenchement des mutations aléatoires. Notre molécule freine donc aussi la mutation des bactéries, c’est-à-dire leur capacité de résistance aux traitements employés ! » conclut-elle.

En attendant l’arrivée sur le marché des nouvelles molécules, Nalini Rama Rao rappelle l’importance de ne prendre des antibiotiques que sous prescription médicale. « L’antibiorésistance est une question de santé publique qu’il est important de comprendre ». Pour porter le sujet auprès du plus grand nombre, elle multiplie les formats de médiation. Dernièrement, la chercheuse a développé le jeu de société Propag’action, qui met les joueurs dans la peau d’une équipe de scientifiques en lutte contre des bactéries pathogènes.

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