Africa-Press – Benin. Dix ans se sont écoulés depuis la découverte fortuite par une équipe d’archéologues de l’Inrap de ce qui est incontestablement l’un des plus grands trésors archéologiques sorti de terre dans l’Hexagone au 21e siècle. Dix ans d’analyses, de rédactions d’études ou encore de minutieuses restaurations qui auront permis d’en savoir plus sur le riche mobilier de la tombe de Lavau (ou complexe funéraire du Moutot à Lavau), vaste monument funéraire édifié au milieu du 5e siècle avant notre ère près de l’actuelle ville de Troyes, mais aussi sur son illustre occupant, qui fut à l’époque immédiatement identifié par les chercheurs comme un personnage de très haut rang.
L’état de conservation du squelette n’avait en revanche pas permis de déterminer avec certitude son sexe, laissant en suspens des questions: s’agissait-il bien d’un prince, comme soupçonné, et avait-il un lien de parenté avec la princesse celte de Vix (Côte d’Or), dont l’extraordinaire sépulture datée du 6e siècle avant notre ère avait été mise au jour à seulement une soixantaine de kilomètres, en 1953?
Un prince au mode de vie très privilégié
Lors de l’annonce des résultats à la presse qui s’est tenue jeudi 5 juin dans le laboratoire du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), au musée du Louvre, l’archéo-anthropologue Valérie Delattre a rendu son verdict: le prince de Lavau était bien un homme. Âgé d’environ 30 ans au moment de son décès – un âge légèrement inférieur aux suppositions faites au moment de la découverte -, il semble avoir grandi et évolué dans un milieu extrêmement privilégié, tel que l’a montré sa dentition dans un état de santé et de conservation exceptionnels. « Je dois avouer avoir rarement vu dans ma carrière des dents aussi saines. Il n’a aucune carie, aucun abcès, ni même de tartre. C’est très surprenant », s’est étonnée Valérie Delattre au micro.
Crédits: Valérie Delattre/Inrap
Les chercheurs ont également pu établir que l’homme portait les séquelles d’une fracture mal reconsolidée à la clavicule, conséquence d’un violent choc « typique des chutes de vélo de nos jours ». « On est donc forcément tentés de faire le lien avec une chute de char ou de cheval survenue dans son plus jeune âge », poursuit l’anthropologue. Enfin, la multiplication des prélèvements, notamment au niveau de l’abdomen, a permis de conclure que le défunt avait été éviscéré après sa mort, et ce dans le cadre d’un traitement lié à son statut particulier. « Même si l’on ne peut parler de momification ou d’embaumement, que ses contemporains maîtrisaient depuis bien longtemps dans le monde grec ou en Égypte, on peut supposer que son corps a fait l’objet d’une préparation spéciale avec des aromates, des onguents et autres mixtures. »
Crédits: Denis Gliksman/Inrap
Les chercheurs ont en effet estimé que ses funérailles, événement de prestige par excellence dans cette société de la fin de la période du Hallstatt (soit de la fin du premier âge du Fer), ont été organisées dans un laps de temps relativement long après son décès, ce qui aurait nécessité une bonne conservation des tissus mous du corps pour sa présentation publique. Il est en tout cas aujourd’hui confirmé que le prince a été enterré allongé dans son char « sur un matelas d’herbes odoriférantes et fongicides ».
Des objets entre deux mondes
Cette dernière décennie aura aussi bien sûr permis de faire parler les objets époustouflants qui accompagnaient ce dirigeant. Il y a bien sûr ce chaudron en bronze (ou lébès) aux proportions titanesques. Suspendu lors de banquets ou cérémonies, « il pouvait contenir jusqu’à 200 litres de liquide », assure Benoît Mille, archéo-métallurgiste qui a été chargé de son analyse. En l’occurrence, ici, du vin rouge aromatisé, à interpréter comme une boisson « civilisée » venue du monde méditerranéen.
La seule restauration de ce chaudron aura pour le moment nécessité plus de 650 heures de travail tant celui-ci est délicat. « Et ce n’est pas terminé. Nous espérons finir à temps pour son exposition avec tous les autres objets au musée de Troyes début 2026. » Son affaissement et ses parties manquantes n’ont néanmoins pas su altérer sa beauté, que l’on doit largement à ses poignées ornées de têtes de petits dieux barbus et cornus – Achéloos, « dieu-fleuve » chez les Grecs.
Crédits: Marine Benoit/Sciences et Avenir
Il y a aussi cette splendide œnochoé (une petite cruche qui servait à puiser le vin et à le distribuer) à figures noires quasi-unique en son genre: venue du monde grec, celle-ci a été customisée par ces Celtes avec de l’or. « C’est un objet tout à fait singulier et vraiment propre à cette région charnière entre les mondes ‘barbares’ et méditerranéens », explique Bastien Dubuis, le responsable scientifique de la fouille. « On en connaît seulement deux autres exemplaires, trouvés dans la tombe de Vix, mais dans un mauvais état de conservation. »
L’œnochoé de Lavau, à présent restaurée, semble, elle, sortir de l’atelier. Décorée sur sa face d’une scène dont le personnage central est Dyonisos, elle contenait là encore du vin aromatisé, dont il reste encore aujourd’hui un dépôt conséquent au fond. « De telles pièces sont rarissimes en contexte celtique. Certaines pourraient être le fruit d’un artisanat de cour qui aurait mêlé les techniques et les répertoires stylistiques celtiques et méditerranéens », avance Bastien Dubuis.
Crédits: Renaud Bernadet/Inrap
Le torque, les deux bracelets et les fibules en or, intacts, auraient de leur côté été fabriqués localement. Tout comme cette époustouflante petite passoire à vin en or et en argent, « un métal encore plus rare et précieux que l’or à cette époque », cette cuillère perforée de minuscules trous et d’une petite main en argent qui servait peut-être à extraire les dépôts gênants du vin au moment de sa dégustation, ou encore ce pied de gobelet, toujours en argent, qui devait supporter un contenant en bois précieux.
Les prémices des premières cités gauloises?
Les recherches auront enfin permis de mieux comprendre le contexte historique dans lequel s’inscrivait de ce tumulus, ou du moins d’en cerner les contours. « Lavau occupait probablement une place privilégiée au sein d’un réseau de relations à longues distances. Avec Vix, ils apparaissent comme les pôles dominants de territoires organisés, de petits ‘états émergeants’ préfigurant les cités gauloises des siècles suivants », affirme Bastien Dubuis. Et même si les analyses ADN ont finalement démontré qu’il n’existait aucun lien de parenté entre la princesse de Vix et le prince de Lavau, « il est difficile d’imaginer qu’ils n’aient pas partagé une même histoire ».
Crédits: Denis Gliksman/Inrap
Au total, plus de cinquante techniques d’examen auront été employées par les chercheurs de l’Inrap et du C2RMF pour faire parler la sépulture de Lavau, parmi lesquelles un accélérateur de particules, la radiographie, la microscopie à balayage électronique ou encore la tomographie à rayons X. Un tout premier volume de la monographie de ce site d’exception, consacré spécifiquement au Complexe funéraire monumental de Lavau (Gallia, 2024), a amorcé une importante série de publications scientifiques à venir. « Le travail effectué ces dix dernières années est colossal mais il est loin d’être achevé tant la tombe de Lavau est exceptionnelle », conclue Bastien Dubuis. « Rendez-vous dans dix ans, donc. »
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