Africa-Press – Benin. En décortiquant profondément la situation entre le Niger et la Chine, sur pas mal de facettes, on peut dire qu’il n’existe pas de « crise sévère » déclarée entre ces deux pays que l’on peut qualifier de « le Nain et le Géant », du moins concernant le pétrole en plus de l’or.
Toutefois, il existerait plutôt une relation d’investissement étroite entre les deux pays dans les secteurs du pétrole et de l’or, sachant que la Chine investit dans des projets pétroliers et aurifères au Niger tout en étant un partenaire commercial majeur du pays.
Depuis quelques temps, ces relations demeurent assez tendues entre le Niger et la Chine, ce qui a donné naissance à un bras de fer des autorités nigériennes, qui se durcit, notamment avec la Compagnie nationale pétrolière chinoise (CNPC) et sa filiale à Zinder, la Soraz, qui raffine le pétrole nigérien, et ce, depuis l’expulsion de la France par Niamey.
• Le déclic du conflit
A la date du 8 mai 2025, une ordonnance émanant du ministère du Pétrole nigérien avait intimé l’ordre à la compagnie nationale pétrolière chinoise de résilier les contrats de travail de ses techniciens expatriés en poste depuis plus de quatre ans sur le territoire nigérien, en les incitants à quitter le territoire avant le 31 mai au plus tard.
Les autorités du Niger reprochent à la Soraz, l’entreprise qui raffine le pétrole, de ne pas suffisamment engager de main d’œuvre nigérienne, d’où sa demande d’expulsion d’une partie des techniciens chinois.
Sauf qu’à l’issue de cet ultimatum, aucun employé chinois n’a quitté le territoire, malgré que le Niger fait face à une impasse, car les techniciens chinois sont difficilement remplaçables en cette période.
D’ailleurs, on compte parmi les 127 employés chinois de la raffinerie de Zinder, 78 ingénieurs qui sont concernés par l’ultimatum d’expulsion.
• Un délicat problème qui se pose
Il importe de noter que la production pétrolière nigérienne dépend largement de ces techniciens puisque les employés nigériens n’ont pas encore toutes les compétences requises pour assurer soit la production, soit la relève.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le ministre du Pétrole nigérien, Dr Sahabi Oumarou, en poste depuis le 17 août 2024, a assoupli sa position et demandé que certains des techniciens chinois conservent leur poste, mais la proposition du ministre s’est heurtée à un refus net de la part de la compagnie pétrolière chinoise.
Dans un tel cas, même si la Chine a la possibilité de temporiser et d’attendre, car le temps joue forcément en sa faveur, la junte militaire, elle, n’a point le temps d’attendre.
C’est pourquoi la Chine reste le principal partenaire du Niger, où le pétrole est la première ressource d’exportation, et qui place le pays sahélien dans une dépendance financière qui réduit sa marge de manœuvre dans ce dossier, surtout que la Chine compte bien conserver une position dominante sur les postes clés liés à l’exportation du pétrole, sinon, en cas de blocage, la CNPC mise sur le rapatriement de l’intégralité de ses agents.
Dans ce contexte, on a constaté que les 127 ressortissants chinois ont tous embarqués dans un bus en direction de Niamey, le mercredi 28 mai dernier, mais ils ont été empêchés de quitter le territoire.
Depuis, ces techniciens sont toujours présents au Niger et les négociations se poursuivent tambours battants, sachant qu’en ce qui concerne l’exploitation du pétrole, le Niger n’a pas dit son dernier mot après avoir chassé la France et entré maintenant en conflit avec les Chinois.
• Un problème en cache un autre
En puisant encore plus dans les coulisses gouvernementales à Niamey, on découvre que les autorités militaires nigériennes avaient déjà décidé, au cours du mois de mars 2025, d’expulser particulièrement trois responsables pétroliers chinois pour « non-respect d’une nouvelle loi minière visant à promouvoir l’utilisation des biens et services locaux ».
Cette décision s’inscrit dans le cadre de mesures plus larges prises par les régimes militaires d’Afrique de l’Ouest contre les sociétés minières étrangères, les autorités à court d’argent cherchant à accroître les revenus provenant de leurs ressources naturelles, selon des sources citant Bloomberg.
Les trois responsables en question travaillent pour la China National Petroleum Corporation, Zinder Refining et West African Gas Pipeline qui construit et exploite un oléoduc exportant du brut vers le Bénin voisin.
Ils avaient 48 heures pour quitter le pays, selon Ibrahim Hamidou, Conseiller Spécial, Chef du Département Communication au cabinet du Premier ministre Ali Mahaman Lamin Zeine.
Il faut tout de même l’avouer, le manque de recours à la main-d’œuvre locale inquiète profondément les autorités nigériennes, et à ce propos, Hamidou a expliqué que ces entreprises ne respectaient pas le nouvel amendement de 2024 relatif à la loi minière, qui encourage l’utilisation de biens et services locaux et le recours à la main-d’œuvre locale dans le secteur minier nigérien.
« Nous demandons simplement aux entreprises de sélectionner des sous-traitants nigériens autant que possible, et de ne pas choisir uniquement une majorité de sous-traitants chinois », a-t-il indiqué.
En avril dernier, la China National Petroleum Corporation a signé un accord de 400 millions de dollars avec le gouvernement nigérien, lui permettant de prépayer le pétrole tiré du pays, une mesure visant à aider les autorités militaires nigériennes à rembourser les dettes accumulées depuis le coup d’État de 2023, et le Niger s’engageait, aux termes dudit accord, à payer 7 % d’intérêts sur ce préfinancement, le remboursement devant être effectué sur 12 mois grâce aux recettes pétrolières, à hauteur du montant avancé.
Comme nous l’avions dit précédemment, un problème en cache un autre: le 6 mars 2025, le Niger a révoqué la licence d’exploitation accordée à l’hôtel « Solux International », propriété chinoise sur le territoire nigérien, située à Niamey, la capitale, invoquant ce qu’il a qualifié de « pratiques discriminatoires et de violations administratives ».
• Le Niger vit également un « conflit larvé » entre la Russie et la Chine
Le Niger cherche, de plein droit, à imposer un contrôle total sur ses ressources et ses minerais et à accroître le nombre d’employés locaux dans un contexte de crise économique.
C’est pourquoi la junte militaire dirigée par le général Abdourahmane Tiani, a ordonné aux employés du secteur pétrolier chinois de quitter le pays, ce qui soulève des questions quant à savoir si cela entraînerait des tensions incontrôlées entre Niamey et Pékin.
Revenant sur le conflit, l’économiste spécialisé dans les affaires africaines, Ibrahim Coulibaly, estime qu’« indépendamment des répercussions économiques et financières de cette décision, cela reflète la tension croissante entre la Chine et le Niger, notamment après la décision d’expulsion de responsables chinois par ce pays, une mesure qui a mis ces tensions au premier plan ».
Selon lui, « cette décision pourrait ouvrir la voie à des entreprises russes pour contrôler les investissements relatifs aux gisements de pétrole et d’uranium au Niger, Moscou cherchant à obtenir des gains financiers et économiques en échange de son intervention militaire pour soutenir l’armée et les forces de sécurité locales ».
L’économiste a souligné entre-autres que « la Russie investit dans des pays comme la République centrafricaine, où elle intervient directement par l’intermédiaire d’éléments d’Africa Corps (ex Wagner). Par conséquent, la junte militaire au Niger pourrait recourir à l’expulsion de nouvelles entreprises étrangères pour faire place à des entreprises russes désireuses d’exploiter les ressources africaines », a-t-il déclaré.
• Quelle fût la réaction chinoise à la décision nationale souveraine nigérienne?
Jusqu’à présent, le gouvernement chinois n’a pas commenté la décision des autorités de transition du Niger, mais selon un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, cité par Reuters: « Assurer le développement durable et harmonieux de la coopération pétrolière entre la Chine et le Niger est conforme aux intérêts communs des deux parties, quant aux problèmes spécifiques qui pourraient survenir peuvent être résolus par des négociations plutôt amicales ».
Dans le même contexte, l’analyste politique nigérien Colonel Mahaman Elhadj Ousmane, ministre de l’Agriculture et de l’élevage et porte-parole du gouvernement, a estimé que « cette décision a un caractère national et souverain que les autorités chinoises doivent respecter, notamment compte tenu de la nécessité pour le Niger d’employer des travailleurs locaux pour réduire le taux de chômage des Nigériens. Je suis convaincu que Pékin le comprendra », tout en poursuivant qu’« En revanche, les autorités nigériennes n’ont pas encore révélé de projet d’expulsion d’autres entreprises étrangères ou de résiliation de leurs contrats. Il est donc inexact de dire que le pays cherche à brouiller ses relations avec la Chine ou tout autre pays ».
• Le Niger: Un pays producteur de pétrole confronté à une pénurie d’essence sans précédent
Dans l’une de leurs interprétations, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a confié que: « La Chine a toujours adhéré aux principes de vérité, d’amitié, de sincérité et de lucidité quant à ce qui est juste et bénéfique dans la coopération avec l’Afrique ».
La même source a déclaré également que la China National Petroleum Corporation (CNPC) apporte des contributions économiques et sociales au Niger, et ce, depuis de nombreuses années.
Néanmoins, depuis le début du mois de mars 2025, le Niger se trouve confronté à une pénurie sans précédent de supercarburant, le carburant le plus utilisé dans ce pays producteur de pétrole, mais dont le raffinage reste limité.
Dans la même lignée, la Société nationale nigérienne des produits pétroliers (SONEDEP) avait annoncé que la seule raffinerie du pays, la Soraz, « ne peut plus répondre à la demande locale », en hausse depuis plus d’un an, une situation qui est due à l’absence du florissant marché noir du Nigeria voisin, géant économique et l’un des plus grands producteurs de pétrole au monde.
Selon la SONEDEP, le carburant importé frauduleusement du Nigeria « représentait environ 50 % des parts du marché » et alimentait d’importantes régions proches du Nigeria, telles que Zinder et Maradi (au sud), et Tahoua et Dosso (au sud-ouest).
D’ailleurs, les rares stations encore en activité furent attaquées par des dizaines d’automobilistes et de motocyclistes, sachant que des gérants de stations-services en périphérie de la capitale avaient réagi en expliquant: « Nos réservoirs sont à sec depuis plusieurs jours, et personne ne peut nous dire quand nous serons réapprovisionnés. C’est l’incertitude la plus totale ».
• Dépendance à la production nationale
Il importe de rappeler que, depuis 2011, le Niger produit 20.000 barils d’essence raffinée et de diesel par jour et n’a pas encore augmenté sa capacité, et les exportations ont été interrompues l’année dernière.
La SONIDEP disposait également d’un « important stock d’essence » dans le port de Lomé, au Togo, qui a été acheminé dernièrement vers Niamey sous « escorte militaire spéciale » via l’est du Burkina Faso, cible d’attaques djihadistes meurtrières.
La baisse des prix du carburant imposée par le régime militaire au Niger depuis 2023 a également dopé la consommation nationale, selon les syndicats de la profession.
Le pays exporte également du pétrole brut, transporté via un oléoduc reliant Agadem (nord-est du Niger) au port de Sèmè-Kaboji au Bénin, sauf qu’un conflit entre la junte militaire nigérienne et le Bénin perturbe ces exportations depuis des mois.
A noter que les autorités nigériennes du Pétrole, avaient annoncé au mois de mai 2024 que leur pays avait suspendu ses exportations de pétrole vers la Chine via l’oléoduc s’étendant jusqu’aux côtes du Bénin, aggravant ainsi le conflit entre les deux pays d’Afrique de l’Ouest.
Le ministre du pétrole lui-même aurait supervisé personnellement la fermeture d’une section de l’oléoduc long de 2.000 kilomètres de long dans le champ pétrolier d’Agadem, dans l’est du Niger, qui devait alimenter la Chine en vertu d’un protocole d’accord avec le géant pétrolier public China National Petroleum Corporation (CNPC) pour un contrat de 400 millions de dollars (comme cité plus haut).
A noter que les relations transfrontalières sont demeurées tendues, notamment depuis que le Bénin a bloqué durant le même mois les exportations de pétrole brut via son port en provenance du Niger, exigeant que la junte militaire rouvre sa frontière aux marchandises béninoises et normalise les relations avec lui.
Par ailleurs, début juin dernier, les autorités béninoises avaient arrêté cinq ressortissants nigériens accusés d’être entrés sous de faux prétextes dans le terminal de l’oléoduc de Sèmè-Kaboji au Bénin, accusations rejetées par le Niger.
Le Bénin accusait le groupe d’être présent pour superviser le chargement de pétrole brut dans le cadre d’un accord avec le Bénin. Expliquant la raison de la fermeture de l’oléoduc, le ministre nigérien du Pétrole a déclaré: « Nous ne pouvons pas rester les bras croisés pendant que d’autres volent notre pétrole, car nous sommes absent du lieu où il est chargé », selon la télévision d’État.
• La sécurité énergétique de nos jours: un élément de la sécurité nationale et économique
Il n’échappe pas aux observateurs que toutes les entités politiques cherchent constamment à sécuriser leurs besoins en pétrole et en gaz, en garantissant un approvisionnement durable et sûr à des prix abordables. Les énergies fossiles constituent l’épine dorsale de l’économie mondiale et le principal moteur des bases industrielles et des équipements militaires.
Les grandes puissances, quant à elles, disposent d’importantes économies industrielles à forte intensité énergétique, de forces militaires massives et de flottes navales qui patrouillent les eaux territoriales pour sécuriser les voies maritimes internationales et les routes commerciales mondiales. Elles ont donc constamment besoin d’approvisionnements massifs, continus et sûrs en combustibles fossiles.
Par conséquent, le contrôle des énergies fossiles est devenu primordial pour les grandes puissances et une forme de concurrence stratégique entre elles, susceptible de conduire à des guerres et à des conflits armés visant à contrôler ces sources d’énergie. L’invasion américaine de l’Irak en 2003 en est un parfait exemple.
• La Chine se dit avoir trouvé sa place en Afrique
La Chine, deuxième économie mondiale, qui devrait devenir la première d’ici 2030, son économie connaît une demande constante et croissante en énergies fossiles, notamment en pétrole et en gaz naturel. Ces sources d’énergie sont principalement concentrées dans plusieurs régions du monde, notamment le Caucase et la mer Caspienne, zones d’influence russe explicite, et le golfe Persique, zone d’influence américaine explicite.
Dans un contexte de conflits historiques entre la Russie et la Chine, de concurrence stratégique entre les États-Unis et la Chine, et d’une politique de non-confrontation avec les grandes puissances, la Chine a évité, dans sa recherche de sources d’énergie, d’entrer en conflit avec les sphères d’influence russes dans le Caucase et la mer Caspienne, ou avec les sphères d’influence américaines dans le golfe Persique.
Elle a recherché de multiples alternatives pour satisfaire ses besoins en énergie fossile, tout en se distanciant des sphères d’influence traditionnelles des grandes puissances, pour se concentre sur l’influence chinoise et la géopolitique pétrolière et gazière en Afrique.
La Chine reconnaît que la sécurisation de l’approvisionnement énergétique en pétrole et en gaz naturel de la deuxième économie mondiale est l’un des éléments les plus importants de sa sécurité nationale. Elle reconnaît également que pour y parvenir, elle doit s’engager dans une concurrence féroce avec les grandes puissances sur le marché mondial du pétrole et du gaz. À cela s’ajoute l’importance d’aligner ses objectifs sur ceux des marchés producteurs afin de créer un terrain d’entente de coopération lui conférant un avantage préférentiel sur ses concurrents internationaux.
C’est pourquoi, le secteur pétrolier au Niger, comme dans d’autres pays africains, ne doivent pas lui filer entre les doigts.
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