Anguille, Tradition Gastronomique Japonaise en Débat

1
Anguille, Tradition Gastronomique Japonaise en Débat
Anguille, Tradition Gastronomique Japonaise en Débat

Africa-Press – Benin. Attablées dans un restaurant spécialisé dans les anguilles près de Tokyo, quatre amies s’apprêtent à déguster ce plat particulièrement prisé des Japonais, un poisson menacé dont la conservation fera l’objet d’un débat international à partir du lundi 24 novembre 2025. « C’est un mets de luxe, que l’on mange pour se faire plaisir ou pour célébrer une occasion », explique Yukiko Takahashi, une commerciale de 52 ans.

Jusqu’à 85 % de la consommation mondiale d’anguille se fait en Asie de l’Est, et notamment au Japon, qui, pour répondre à la demande, importe massivement: 73 % des 61 000 tonnes consommées dans le pays en 2024 provenaient de l’étranger. Tokyo voit donc d’un mauvais œil une proposition de l’Union européenne, du Honduras et du Panama visant à inscrire les 17 espèces mondiales d’anguille à la Convention sur le commerce international des espèces menacées (CITES), dont la réunion s’ouvrira lundi à Samarcande, en Ouzbékistan. En cas d’adoption, le commerce de l’anguille serait soumis à une réglementation beaucoup plus stricte.

Cycle de vie encore mystérieux

Le déclin mondial des populations d’anguilles est attribué par les scientifiques à une combinaison de facteurs: pollution des cours d’eau, destruction des zones humides, barrages hydroélectriques et pêche excessive.

L’estimation des populations est rendue difficile par le cycle de vie complexe de ce poisson, ce qui complique également sa conservation. L’anguille du Japon, espèce commune en Asie de l’Est, se reproduit à l’ouest des îles Mariannes, à 2 000 à 3 000 km des côtes japonaises. Ses larves deviennent des civelles à l’approche des côtes, puis vivent en eau douce pendant 5 à 15 ans avant de retourner pondre dans l’océan, où elles meurent.

Dans l’archipel, les prises de civelles ont chuté à moins de 10 % de leur niveau des années 1960. L’anguille du Japon, ainsi que les variétés américaine et européenne — inscrites depuis 2014 sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) — représentent la quasi-totalité de la consommation mondiale.

Mets de luxe

L’anguille, appelée unagi au Japon, y est dégustée depuis des millénaires. Elle est généralement préparée en kabayaki, des brochettes grillées et nappées d’une sauce à base de soja et de mirin (alcool de riz).

Pour perpétuer cette tradition, les Japonais sont prêts à payer le prix fort. « Les clients comprennent que c’est un mets de luxe », commente le chef Tomoyuki Takashino, derrière les fourneaux, avant d’embrocher une anguille qu’il vient de préparer. Le unaju, un plat composé d’une anguille servie sur du riz dans une boîte en laque, est facturé 5 250 yens (29 euros au cours actuel). M. Takashino note que le prix a plus que doublé en quinze ans. La quasi-totalité des anguilles consommées au Japon provient de l’élevage en aquaculture, qui repose entièrement sur la pêche ou l’importation de civelles, le poisson ne se reproduisant pas en captivité.

« Nous achetons les civelles, que nous élevons dans ces six bassins », explique Takayuki Hiranuma, directeur de la ferme aquacole attenante au restaurant. Derrière lui ondulent 80 000 anguilles, dans une eau maintenue à 30 °C et filtrée en permanence. En dix mois d’élevage, leur poids sera multiplié par 1 000, avant d’être vendues ou cuisinées sur place.

Si la proposition d’inscription des anguilles était adoptée, « on dit que le commerce international ne serait plus aussi fluide. C’est un point qui nous inquiète énormément », admet M. Hiranuma, jugeant que l’impact sur la filière serait « considérable ». Pour cette raison, le gouvernement japonais s’oppose à la proposition de l’UE, s’appuyant notamment sur une étude de l’Université océanographique de Tokyo selon laquelle la population d’anguille du Japon a triplé depuis 1990. Le Japon a également mis en place des systèmes de quotas de pêche et de permis d’élevage, souligne Tetsuya Kawashima, responsable à l’Agence japonaise de la pêche.

« Nous coopérons également avec la Chine, la Corée du Sud et Taïwan, territoires où vit l’anguille du Japon, pour limiter les quantités de civelles capturées et améliorer la gestion des stocks », ajoute-t-il. Tokyo cite aussi l’avis d’experts de la FAO — organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture — qui jugent « faible » le risque d’extinction des anguilles japonaise et américaine.

« Le plus grand crime contre la faune »

Mais pour Andrew Kerr, de l’organisation Sustainable Eel Group (SEG), ces constats ignorent le trafic d’anguilles, qu’il qualifie de « plus grand crime contre la faune » de la planète. « Toutes sortes de stratagèmes sont utilisés pour faire passer une espèce pour une autre, ce qui permet au trafic de prospérer », explique-t-il. L’approvisionnement asiatique recourt à la contrebande de civelles depuis l’UE, qui en a interdit l’exportation en 2010. Chaque année, quelque 100 tonnes de civelles continueraient ainsi de transiter selon Europol. « Mais avec les nombreuses arrestations et le démantèlement de chaînes d’approvisionnement illégales, l’arrivée depuis l’Europe a diminué, et nous voyons l’essor des expéditions d’anguilles depuis les Caraïbes », note M. Kerr. L’anguille américaine est « désormais menacée », souligne-t-il.

S’il ne s’agit pas d’un risque imminent d’extinction, M. Kerr insiste sur l’enjeu: « créer une sorte d’ordre mondial dans le commerce de l’anguille ».

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Benin, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here