Industrie Européenne Du Recyclage Plastique En Naufrage

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Industrie Européenne Du Recyclage Plastique En Naufrage
Industrie Européenne Du Recyclage Plastique En Naufrage

Africa-Press – Benin. Ce devrait être un secteur en pleine santé. Pourtant, en Europe, de nombreuses usines de recyclage de plastique sont en train de fermer leurs portes. Entre 2023 et 2025, les 27 Etats membres de l’Union européenne (UE) ont perdu un million de tonnes de capacité de traitement de PET, PEHD et autres polypropylènes (PP). C’est l’équivalent de l’ensemble du secteur français !

La cause: une matière première vierge aux prix très bas et l’arrivée sur le marché de plastiques recyclés provenant de pays hors UE également bien moins chers. Alors que les secteurs européens du plastique vierge et du recyclage devraient se faire concurrence, ils sont aujourd’hui contraints de publier des communiqués communs pour inciter la Commission européenne à les défendre par des barrières douanières. Des mesures d’urgence de sauvegarde du marché européen devraient être édictées d’ici la fin 2025.

Le recyclage est l’une des solutions à la pollution générale du globe par les plastiques, après la réduction des volumes et la réutilisation. En août 2025, la communauté internationale réunie à Genève a échoué à instaurer un moratoire à la production de plastique, actuellement de 450 millions de tonnes par an et qui pourrait tripler d’ici 2060. Ainsi, en moyenne, un Européen génère 36 kilos de déchet plastique par an. Or, moins de 10% de cette masse est actuellement collectée et recyclée.

« En Europe, avec le règlement sur les emballages et déchets d’emballages, révisé fin 2024, les Etats ont des objectifs des taux de recyclage à atteindre pour chaque matériau, détaille Sophie Sicard, vice-présidente de la section plastique de la Fédération des entreprises du recyclage (FEDERREC) et présidente de la branche plastique de la Confédération européenne des entreprises du recyclage. Les industriels, eux, ont désormais des obligations d’incorporation de plastique recyclé dans les emballages qu’ils mettent sur le marché. Des obligations du même type sont en cours de négociation pour les plastiques automobiles ». En 2030, toutes les bouteilles plastiques devront comporter 30% de matière issue du recyclage.

Des filières spécialisées pour les catégories de plastique mises sur le marché

En France, les premières unités de recyclage des emballages plastique ont été créées à la fin des années 1990, à la suite de l’adoption du principe « pollueur payeur » et de l’instauration de la responsabilité élargie des producteurs d’emballages. Via Eco-emballages, qui collecte l’écocontribution des producteurs, ces derniers participent au financement de la collecte, du tri et du recyclage. « La filière est désormais bien structurée entre les entreprises de collecte et de tri, les intermédiaires et les régénérateurs, ceux qui vont produire ce qu’on appelle la matière première recyclée », poursuit Sophie Sicard.

La principale voie de transformation est aujourd’hui le recyclage mécanique qui consiste à rassembler des lots homogènes des différents plastiques, à les laver, les broyer, les fondre et les extruder pour produire des granulés aptes à être de nouveau utilisés. Par exemple, cette technologie permet depuis 15 ans de refaire des bouteilles PET avec des déchets de bouteilles. La plupart des thermoplastiques les plus utilisés ont aujourd’hui des filières dédiées. Le recyclage chimique, qui regroupe plusieurs technologies émergentes, consiste à utiliser des solvants et la pyrolise (traitement en atmosphère sans oxygène) pour reconstituer les monomères d’origine, extraire les additifs et colorants, et ensuite les recombiner en polymère, ce qui permet une plus grande flexibilité dans l’utilisation des matières recyclées. Cette technologie, très gourmande en énergie, peine à émerger du fait des coûts de traitement.

Du pétrole en excès

Le syndicat national des régénérateurs de matière plastique (SRP) revendique aujourd’hui plus d’une cinquantaine d’entreprises françaises dont 77% sont des PME qui traitent principalement des déchets industriels. Les grands groupes tels Veolia, Suez ou Paprec sont les seuls à pouvoir intégrer collecte et traitement des déchets ménagers. En 2024, selon les statistiques de FEDERREC, 312 600 tonnes de plastiques ménagers ont été collectées, soit un recul étonnant de 10% par rapport à 2023 malgré la généralisation des extensions de consigne de tri. Les flux industriels progressent eux de 8% à 711 300 tonnes. Avec une capacité de recyclage de près d’un million de tonnes, les régénérateurs français pourraient traiter ce volume mais la concurrence des polymères vierges et des plastiques recyclées provenant hors UE met à mal la compétitivité d’un plastique recyclé européen trop cher.

Actuellement, le monde baigne dans le pétrole. Dans son rapport mensuel d’octobre 2025 sur le marché pétrolier, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) s’alarme que le surplus de production de pétrole a été de 1,9 million de barils par jour depuis le début 2025. L’AIE prévoit un surplus « insoutenable » selon elle, de 4 millions de barils par jour en 2026 provenant principalement des Etats-Unis et d’Arabie Saoudite. En conséquence, les prix du pétrole sont bas, ce qui permet de produire beaucoup de polymères vierges à faible coût.

Des pratiques de dumping

Ce qui est nouveau, c’est que des pays comme l’Arabie Saoudite et des pays du sud-est asiatique se sont dotés de capacité de production en pétrochimie. Aujourd’hui, le recyclage européen fait donc face à une crise sans précédent et des usines ferment, d’abord parce que les prix des plastiques vierges s’effondrent. « Ces acteurs ont un double avantage, dénonce Sophie Sicard. Ils ont à disposition une énergie beaucoup moins chère et une législation sociale et environnementale bien moins ambitieuse qu’en Europe. Dans certains cas, les Etats apportent aussi des aides ». Recyclages mécanique et chimique exigent en effet beaucoup d’énergie, ce qui grève les coûts. Dans le cas du PET, l’Union européenne a réagi aux pratiques de dumping en imposant des droits de douanes sur ce plastique provenant de Chine. Mais ces volumes passent aujourd’hui par le Vietnam, si bien que le problème demeure.

Les cours mondiaux des monomères et polymères depuis octobre 2024. Copyright PWC

Un deuxième effet vient aggraver la situation: les recycleurs européens ont vu arriver des tonnes de plastique recyclé à des prix imbattables, attirés par les obligations d’incorporation qui n’existent qu’en Europe. « Nous dénonçons une concurrence déloyale, sans aucune garantie de conformité avec nos règlementations sanitaires et environnementales. Notre législation d’avant-garde sur les plastiques doit créer des solutions pour les déchets européens, des usines et des emplois en Europe », s’insurge Sophie Sicard.

Ainsi, en octobre 2024, l’Etat chinois a créé une société nationale baptisée « China Ressources Recycling Group » (CRRG). Selon l’agence Chine Nouvelle, le président chinois Xi Jinping a déclaré à l’occasion que « la création de cette société est une décision importante et une initiative du Comité central du parti communiste chinois pour construire une économie verte, bas carbone et circulaire et promouvoir la construction d’une Chine belle sur tous les sujets ». CRRG a donc été créée directement par l’Etat et fait partie des entreprises qui inonde le marché européen de plastique recyclé à bas coût.

Une réponse de la Commission européenne attendue cet hiver

Cet épisode montre bien à quelle vitesse le domaine du recyclage évolue. Avant 2018, l’Union européenne ne disposait pas de capacités suffisantes pour ses plastiques collectés, aussi de très gros volumes étaient envoyés en Chine pour traitement. En 2018, la Chine a décidé de fermer ses frontières à ce commerce provoquant, selon les propos de l’époque du bureau international du recyclage (BIR), « un choc sur toute la planète ». C’est ainsi qu’on a retrouvé des containers de déchets plastiques européens dans presque tous les pays d’Asie du Sud-Est où des entreprises peu scrupuleuses, européennes et asiatiques, ont tenté de se débarrasser de ces volumes en peine de solution de recyclage. En moins de sept ans, le secteur industriel européen a donc réussi à construire une filière qui donne aujourd’hui à l’UE son autonomie en la matière. Revoilà donc la Chine, mais dans une relation commerciale inversée. C’est elle aujourd’hui qui vend à l’Europe non plus un déchet, mais une matière secondaire.

« Cette situation va à l’encontre des volontés politiques de réindustrialisation de l’Europe, d’accélération de l’économie circulaire et d’atteinte des objectifs environnementaux ambitieux de l’Union européenne », écrivent les acteurs du recyclage plastique dans un communiqué du 20 novembre 2025. Ils demandent donc de taxer ces importations plastiques et de renforcer les contrôles aux frontières, de réserver aux recycleurs européens les taux d’incorporation du recyclage dans les produits neufs et de s’assurer que ces nouvelles obligations sont bien respectées. La commission doit répondre à ces demandes dans un « winter package » qui doit paraître avant la fin de l’année.

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