Coup D’État Manqué Au Bénin Suscite Des Interrogations

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Coup D'État Manqué Au Bénin Suscite Des Interrogations
Coup D'État Manqué Au Bénin Suscite Des Interrogations

Africa-Press – Benin. Dimanche 7 avril 2025, le Bénin s’est réveillé sous le choc d’une tentative de coup d’État rapidement déjouée. Un groupe de militaires a brièvement occupé la télévision nationale pour annoncer la chute du président Talon, avant d’être neutralisé par les forces loyalistes. Si le calme est revenu, cet épisode inédit depuis plus de 50 ans soulève de nombreuses interrogations sur le climat politique, les tensions au sein de l’armée et les fragilités d’une démocratie longtemps perçue comme stable.

Dimanche 7 décembre 2025, le Bénin a frôlé le basculement vers un coup d’État militaire. Aux premières heures du jour, des coups de feu ont retenti aux abords de la résidence du président Patrice Talon, à Cotonou. Quelques minutes plus tard, un petit groupe de militaires armés est apparu sur la chaîne publique nationale (ORTB/SRTB), annonçant qu’il venait de « démis le président de ses fonctions » et proclamant la création d’un « Comité militaire pour la refondation », avec le lieutenant-colonel Pascal Tigri à sa tête. Le message des putschistes se résumaint essentiellement en trois ponts. Ils accusaient le gouvernement de « négligence envers les soldats tombés au front et leurs familles » et dénonçaient la « dégradation continue de la situation sécuritaire au nord du Bénin » ainsi que des promotions militaires jugées injustes. Imposant leur discours à la télévision d’État, ces huit à dix militaires ont brièvement prétendu dissoudre les institutions et suspendre la Constitution.

Toutefois, la réplique des forces loyalistes a été rapide. Selon le ministre de l’Intérieur Alassane Seidou, l’armée béninoise « fidèle à son serment » a su « garder le contrôle de la situation et faire échec à la manœuvre » des mutins. Dans le courant de l’après-midi, les militaires rebelles isolés ont été acculés et leurs dernières poches de résistance ont été supprimées avec environ une douzaine de soldats arrêtés en lien avec la tentative de putsch. Le président Talon, s’exprimant le soir même à la télévision nationale, a assuré que la situation était « totalement sous contrôle » et juré que cette « forfaiture ne restera pas impunie ». Son entourage a par ailleurs indiqué qu’il était sain et sauf et que l’État béninois avait repris progressivement le dessus sur ce qui se révélait être « un petit groupuscule de militaires » isolés.

Circonstances politiques internes

Si le putsch a été avorté en quelques heures, les raisons qui ont poussé ces soldats à se révolter témoignent d’un climat politique et sécuritaire tendu. D’un côté, le Bénin demeure une démocratie réputée stable, mais les critiques contre le chef de l’État se sont accumulées ces dernières années. Patrice Talon, président depuis 2016 et réélu en 2021, s’est vu reprocher par ses opposants d’avoir opéré un virage autoritaire et d’avoir verrouillé le jeu politique en vue de la présidentielle d’avril 2026. Le principal parti d’opposition a été mis hors course pour la prochaine élection, ce qui a renforcé la défiance de nombre de Béninois envers la probité du processus électoral. Dans ce contexte, des responsables du pouvoir ont déjà été poursuivis – deux anciens alliés de Talon ont été condamnés pour complot de coup d’État en 2024 – alimentant les rumeurs et les inquiétudes autour des manœuvres de pouvoir. Comme le soulignait récemment certains analyste, le “paysage politique [est] verrouillé au profit du camp de Patrice Talon” et le bilan présidentiel en matière de libertés publiques suscite de sérieuses réserves.

D’un autre côté, les autorités ont en face d’elles un défi sécuritaire majeur. Le nord du Bénin, frontalièrement exposé au Sahel, est régulièrement le théâtre d’attaques djihadistes meurtrières. Le putschiste présumé Tigri et ses collègues insistaient d’ailleurs sur la « dégradation continue de la situation sécuritaire au nord » et la « négligence envers les soldats tombés au front ». Cette situation a pu nourrir un ressentiment au sein de certaines unités militaires, en particulier la Garde nationale qui a fourni la plupart des mutins. Certains observateurs s’interrogent sur les failles de commandement ou les possibles complicités, tant la réaction du groupe a semblé improvisée et déconnectée des réalités béninoises, comme le note un éditorial guinéen: « Les mutins paraissent avoir été séduits par le scénario désormais familier de militaires jusque-là inconnus, accédant brusquement au pouvoir… dans un contexte où ni la CEDEAO ni les partenaires internationaux ne réagissent avec la fermeté d’antan ».

Anciennement République du Dahomey, le pays a connu une série de coups d’État dans les années 1960-70, avec un rythme presque continuel jusqu’au dernier renversement militaire de 1972 sous Mathieu Kérékou. Depuis, le Bénin a mené avec succès plusieurs transitions démocratiques avec le retour au multipartisme en 1990 qui a vu s’enchaîner des élections présidentielles et législatives apaisées, faisant du pays un modèle de stabilité dans la sous-région.

Il est ainsi remarquable que le dernier coup d’État réussi au Bénin date de 1972. Durant plus de cinq décennies, aucun rival n’a su interrompre la voie démocratique, malgré des tensions et des réformes controversées. Ce long parcours explique sans doute la vigueur de la riposte face à la tentative de décembre 2025: « C’est sans doute [cette] longue tradition de stabilité… qui a contribué à enrayer la tentative », résumait avec justesse un éditorial africain.

Réactions nationales

Au sein de la classe politique béninoise, la tentative de putsch a été unanimement dénoncée. Du côté des autorités, le président Talon et ses ministres ont immédiatement salué la loyauté des forces armées qui ont rétabli l’ordre. Dans son allocution de la soirée, Talon a remercié « les militaires et leurs responsables qui sont restés républicains et loyaux à la patrie » et a réaffirmé son engagement à ce que les instigateurs de la mutinerie répondent de leur acte. L’entourage présidentiel a souligné que des « aventuriers » avaient voulu semer le chaos, mais que « l’armée régulière a repris le contrôle de la situation ».

Du côté des partis politiques, et plus largement de la société civile, la réaction a été prudente mais ferme et aucun leader notable n’a soutenu les putschistes. Bien que l’opposition institutionnelle ait récemment dénoncé les dérives autoritaires du pouvoir, elle a pour l’instant limité ses propos à saluer le rétablissement rapide de la légalité républicaine et à appeler au calme. De même, les organisations religieuses et syndicales du pays ont incité les citoyens à la retenue et à faire preuve de confiance envers les institutions militaires fidèles.

Mais en coulisses, souligenent certains observateurs, il sera difficile pour la majorité au pouvoir comme pour l’opposition d’ignorer les divisions internes révélées par ce coup manqué. Sur le plan judiciaire, le Bénin pourrait connaître des procès retentissants comme Talon l’a lui-même promis, « cette forfaiture ne restera pas impunie ».

Réactions internationales

L’attentat contre l’ordre constitutionnel béninois a suscité une condamnation quasi unanime sur la scène internationale. Au niveau régional, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a très tôt montré sa détermination. Dans la soirée du même jour, elle a annoncé le « déploiement immédiat » de sa force en attente sur le territoire béninois, composée de troupes du Nigeria, de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire et du Ghana, pour « préserver l’ordre constitutionnel ». Cette décision, saluée par Cotonou, est la première mobilisation de ce type depuis longtemps et témoigne de la volonté des voisins de ne pas tolérer de nouveaux renversements de gouvernement. Signe de soutien actif, le Nigeria – puissance militaire de la région – a précisé avoir envoyé des avions de chasse pour sécuriser l’espace aérien béninois et avoir déployé des troupes terrestres afin d’épauler l’armée loyale dans la reprise des installations stratégiques.

Plus largement, le coup manqué a été aussitôt qualifié de « menace grave pour la stabilité » par les institutions internationales. L’ONU, par la voix de son Représentant spécial pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, a fermement condamné la tentative de coup d’État, la jugeant contraire à la Constitution et aux valeurs démocratiques. L’Union africaine a exprimé son « inquiétude profonde », rappelant sa « tolérance zéro » face aux changements anticonstitutionnels de pouvoir et appelant les putschistes à « retourner immédiatement dans leurs casernes ». L’Union européenne a elle aussi dénoncé l’attaque contre l’ordre démocratique béninois, exigeant le respect immédiat de la légalité constitutionnelle. Ces réactions internationales s’inscrivent dans un contexte régional très sensible, marqué par plusieurs coups d’État récents au Mali, au Burkina Faso, au Niger, en Guinée et en Guinée-Bissau.

Enjeux et incertitudes

Malgré l’échec de la mutinerie, de nombreuses questions restent en suspens. Qui a véritablement orchestré cette « mutinerie »? A-t-elle bénéficié d’appuis occultes, militaires ou civils? Que signifie cette crise à quelques mois de l’élection présidentielle? Les Béninois redoutent que les autorités exploitent l’incident pour durcir encore la gestion de la crise sécuritaire ou resserrer leur emprise politique. D’ores et déjà, certains observateurs relèvent le paradoxe qu’alors même que « le Bénin [était] l’une des démocraties les plus stables d’Afrique de l’Ouest », des militaires ont été tentés de défier l’autorité légale.

Faut-il y voir la conséquence d’une fracture sociale ou identitaire latente, ou simplement l’effet contagieux d’une mode des putschs en Afrique? Et pourquoi c’est sous le régime de Patrice Talon que cette actualité devient récurente au Bénin? Quelles seront les conséquences sur le fonctionnement futur des forces armées et sur l’équilibre des pouvoirs à Cotonou? Enfin, au-delà des seules frontières nationales, les manœuvres du Nigeria et des troupes régionales rappellent l’étroite interconnexion sécuritaire du pays, posant la question de la souveraineté: jusqu’où le Bénin pourra-t-il compter sur ses alliés tout en préservant son indépendance politique?

Le coup d’État manqué du 7 décembre 2025 reste donc riche d’enseignements, même en échec. Reste à observer si cette expérience conduira au renforcement de la cohésion nationale ou, au contraire, à de nouvelles lignes de fracture dans la jeune démocratie béninoise.

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