Africa-Press – Benin. Dans un amphithéâtre rempli d’étudiants, de chercheurs et de curieux, les rires fusent. Il n’est pas commun que la science soit si amusante. Et pourtant c’est le pari qu’a fait Marc Abrahams, il y a 35 ans de cela, en inventant les prix Ig Nobels, des parodies « ignobles » des prix Nobels. L’objectif est de récompenser des découvertes scientifiques insolites, qui « font d’abord faire rire les gens, puis les font réfléchir ».
« Nous choisissons les vainqueurs parmi 9000 propositions »
Comme le précise Marc Abrahams, également éditeur et cofondateur du magazine scientifique humoristique Annals of Improbable Research, « nous choisissons d’abord les vainqueurs, parmi 9000 propositions, puis nous en déduisons les catégories ». Ceci explique pourquoi, en 2025, un Ig Nobel de Nutrition à été attribué à des chercheurs venus du Nigeria, du Togo, de l’Italie et de la France ayant démontré que les lézards arc-en-ciel avaient une préférence marquée pour les pizzas quatre fromages…
La remise des dix prix de 2025 a eu lieu, comme chaque année, à l’université d’Harvard, à Boston (Etats-Unis) en septembre. Les recherches ont été présentées par des lauréats du prix Nobel, notamment Esther Duflo, prix Nobel d’Economie 2019, et Moungi Bawendi prix Nobel de Chimie 2023, témoin que cette parodie est bien vue de la communauté scientifique. Il est d’ailleurs arrivé qu’un physicien britannique, Andre Geim, obtienne à la fois un Nobel – pour ses expériences sur le graphène – et un Ig Nobel pour avoir réussi à faire léviter une grenouille.
Après cette cérémonie officielle aux Etats-Unis, les Ig Nobel partent en tournée, faisant escale dans de grandes institutions scientifiques: l’École polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse), la Royal Institution de Londres (Grande-Bretagne)… Ce 9 décembre, la France a donc été mise à l’honneur pour la première fois, en accueillant un show de la tournée de la 35ème édition. L’instigateur de cette soirée, le Dr. Roman Hossein Khonsari, est le lauréat français du prix Ig Nobel d’Anatomie de 2024. En collaboration avec le Dr. Marjolaine Willems, ils avaient étudié le sens d’enroulement des cheveux humains en fonction de l’hémisphère de naissance.
Une tournée française pour la 35ème édition des Ig Nobels
Le show a donc pris place dans un grand amphithéâtre en bois de l’école Chimie Paris, sous les rires et les applaudissements. Marc Abrahams, coiffé d’un haut-de-forme, rappelle la vocation de ces récompenses: « Nous souhaitons montrer aux nouvelles générations que la science est sérieuse, mais pas dénuée d’humour’. Il s’agit en effet d’une ‘affaire sérieuse’, puisque tous les lauréats ont publié leurs découvertes dans des journaux scientifiques et ont donc été adoubés par leurs pairs. Mais cette science n’a pas changée: « Les propositions sont toujours aussi drôles, les chercheurs ne sont pas devenus plus sérieux avec le temps », confie Marc Abrahams à Sciences et Avenir.
D’anciens gagnants des Ig Nobel montent sur scène pour présenter les travaux qui leur ont valu une renommée internationale. Dr. Roman Hossein Khonsari et le Dr. Marjolaine Willems schématisent leur l’enroulement des cheveux sur un tableau de craie. Daniel Bonn et Antoine Deblais, Ig Nobel de Chimie 2024, vulgarisent leur méthode de séparation de vers ivres et sobres grâce à la chromatographie. Marc-Antoine Fardin, Prix Ig Nobel de Physique 2017, explique pourquoi, mathématiquement, les chats peuvent être considérés à la fois comme des solides et des liquides. Quand leurs présentations s’éternisent, ceux-ci sont interrompus par des « banana time keepers », des doctorants en costume de banane.
Un invité emblématique fait également son apparition: Kees Moeliker, un biologiste néerlandais et ancien conservateur du musée d’histoire naturel de Rotterdam, qui est également titulaire du prix Ig Nobel de Biologie de 2003.
L’histoire de sa découverte avait fait sensation: il avait observé et documenté le premier cas de nécrophilie homosexuelle chez un canard colvert. Kees Moeliker avait été le témoin de la mort d’un palmipède qui s’était écrasé contre la fenêtre de son bureau et avait ensuite fait l’objet de tentatives d’accouplement par un autre canard mâle. « En tant que scientifique, j’ai vu quelque chose qui m’a surpris, interloqué, j’ai donc cherché dans tous recueils de biologie si quelque chose de tel avait déjà été observé. Rien. Je me suis donc dit qu’il fallait que je partage au monde ma découverte », explique-t-il à Sciences et Avenir. « C’est comme les premiers explorateurs, ils étaient au bon endroit au bon moment ».
« Toutes ces découvertes proviennent de la vie quotidienne »
Finalement, le prix Ig Nobel de cette année, Daniel Maria Busiello, déguisé en cuisinier, présente son sujet d’investigation, la transition de phase dans la sauce « cacio e pepe » pour les pâtes. En combinant un appareil de cuisson et des outils de mesure, il a évalué les paramètres permettant d’obtenir la sauce la plus onctueuse, en évitant les grumeaux de fromage, liés à la hausse de température. « Le secret, connu des cuisiniers et des gourmets, est de conserver l’eau de cuisson des pâtes riche en amidon, car celle-ci augmente la température seuil où le fromage coagule », conclut Daniel Maria Busiello.
La soirée se conclut sur des conseils des lauréats: « N’ayez pas peur de vos idées farfelues », « Entourez-vous des bonnes personnes » et « Sortez des sentiers battus ». Comme le souligne Matthieu Labousse, chercheur au CNRS et organisateur de la soirée: « Toutes ces découvertes proviennent d’observations et de questionnements de la vie quotidienne. La science c’est aussi de la créativité. Les idées ne naissent pas qu’entre 9 heures et 18 heures ! ».





