Rapprochement Burkina Faso-Niger avec les Talibans

Rapprochement Burkina Faso-Niger avec les Talibans
Rapprochement Burkina Faso-Niger avec les Talibans

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Burkina Faso. Dans une démarche qui ne cesse de soulever de nombreuses questions, une délégation du Burkina Faso, conduite par son ambassadeur en Iran, Mohamadi Kaboré, a été reçue dans les bureaux de l’ambassade d’Afghanistan à Téhéran, le lundi 12 mai 2025, et la photo publiée à l’occasion par l’ambassade afghane mettait en valeur l’émissaire de Ouagadougou, tout sourire, assis avec son homologue le Chargé d’affaires des talibans en Iran, Mawlawi Fazal Mohammad Haqqani, devant une tapisserie persane représentant « la Kaaba sacrée », et encadrée des drapeaux du supposé « Emirat islamique ».

Ceci confirme clairement que le gouvernement taliban recevait, sans tambours battants, le gouvernement Burkinabé, sur un territoire plus ou moins « neutre » qui n’appartient ni à l’Afghanistan et ni au Burkina Faso.

Dans ce contexte, on peut d’ores et déjà « affirmer » que le Burkina Faso et le Niger cherchent à renforcer leurs liens avec le régime taliban, bien qu’ils soient la cible d’une insurrection armée menée par des groupes liés à l’organisation d’Al-Qaïda.

• Un rapprochement qui donne à réfléchir

Ce rapprochement témoigne d’une tentative de redessiner les alliances régionales et internationales, compte tenu de l’isolement diplomatique croissant auquel sont confrontés les gouvernements militaires de Ouagadougou et de Niamey, à la suite des récents coups d’État.

L’information liée à la rencontre burkinabé-afghane a été largement diffusée sur les médias, et selon le magazine international « Jeune Afrique », l’ambassade des talibans à Téhéran a effectivement vécu cet évènement, le 12 mai dernier, et les deux parties auraient discuté du renforcement de la coopération dans les domaines du commerce, de l’agriculture et des mines, en plus de l’organisation de visites de délégations du secteur privé, dans le but de renforcer les relations économiques.

Jeune Afrique a rapporté que ce rapprochement entre les deux parties intervient à un moment remarquable, car il a coïncidé avec une attaque sanglante lancée par « Ansar al-Islam », une filiale du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) lié à Al-Qaïda, dans le nord du Burkina Faso, ayant tué des dizaines de personnes tout en s’emparant de positions militaires et du siège du gouvernement dans la ville de Djibo.

• Qu’ont les Talibans derrière la tête

Il faut dire que, malgré les liens historiques des talibans avec l’organisation d’Al-Qaïda, ils seraient en train de chercher à briser leur isolement international, et ce, depuis leur retour au pouvoir en Afghanistan, sachant que des progrès ont été réalisés à cet égard par:

-d’abord la Chine qui avait accepté la nomination d’un ambassadeur taliban accrédité à Pékin, vers la fin 2023,

-puis la Russie qui a retiré le mouvement de sa liste d’organisations terroristes, en avril dernier,

-et enfin les Nations Unies et certaines grandes puissances qui sont en train de promouvoir une politique d’« engagement conditionnel » avec les talibans.

• Les ambitions des Talibans au Sahel

Au cours de l’entretien des deux diplomates, les deux parties ont exprimé leur volonté de renforcer leur coopération dans des secteurs stratégiques, et les discussions ont également porté sur l’élargissement de la coopération politique, économique, culturelle et éducative.

Ces aspects sont jugés essentiels pour consolider les liens entre les deux nations et créer de nouvelles synergies.

Pour l’Afghanistan, cette ouverture vers le Burkina Faso s’inscrit dans une stratégie plus large visant à diversifier ses partenariats internationaux, sachant que depuis le retour des Taliban au pouvoir le 15 août 2021, à l’issue d’une offensive éclaire et du retrait précipité des forces américaines, Kaboul chercherait à compenser son isolement diplomatique en développant de nouvelles alliances.

• Le cas du Niger

De son côté, l’ambassadeur du Niger à Téhéran, Seydou Zataou Ali, en poste depuis le 12 août 2024, a également rencontré son homologue Talabani, le 23 avril 2025, lors d’une réunion axée sur la coopération diplomatique et économique. Cela indique une tendance coordonnée au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) vers des partenariats non traditionnels.

Cette réunion intervient moins d’une semaine après la visite du commandant en chef des forces de sécurité iraniennes au Niger, où il a annoncé de nouveaux domaines de coopération et de formation pour la police et la garde nationale nigériennes, notamment une formation à l’Académie de police iranienne.

Dans ce contexte, le ministre nigérien de l’Intérieur, le général-major Mohamed Toumba, a déclaré aux médias que la réunion « s’est conclue par la signature d’un protocole d’accord global couvrant plusieurs domaines de coopération entre les deux pays ».

A noter également que le Burkina Faso et le Niger souffrent de pressions économiques étouffantes:

-Le premier est confronté à une forte hausse de sa dette intérieure, qui atteint 7 milliards d’euros,

-Tandis que le second a suspendu ses exportations de pétrole en raison de différends avec une entreprise chinoise et d’une crise diplomatique avec le Bénin.

• Du côté « terrorisme »

Les données de l’Indice mondial du terrorisme 2025 indiquent que la région du Sahel représente plus de la moitié des victimes du terrorisme dans le monde, le Burkina Faso étant en tête de liste pour la deuxième année consécutive.

Pour leur part, les observateurs estiment que l’ouverture de canaux avec les talibans pourrait être une tentative indirecte d’entamer un dialogue avec les dirigeants des groupes extrémistes, en quête d’une solution politique à la crise croissante dans la région du Sahel, compte tenu des résultats militaires limités et des coûts humanitaires et sécuritaires croissants du conflit.

Il importe de noter que le Burkina Faso a souffert ces dernières années d’une rébellion armée croissante, dont certains membres auraient des liens officieux avec les talibans.

Ce pays enclavé, qui compte 23 millions d’habitants, est devenu ces dernières années un symbole de la crise sécuritaire dans la région du Sahel au sud du Sahara, ayant été soumis à de violentes attaques de groupes extrémistes liés à Al-Qaïda et à Daech.

Après leur retrait de la CEDEAO, les trois pays, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, ont ensuite établi leur propre partenariat de sécurité, connu sous le nom d’Alliance des Etats du Sahel, et ont rompu leurs liens militaires avec leurs partenaires occidentaux traditionnels, tels que les États-Unis et la France, se tournant plutôt vers la Russie pour obtenir un soutien militaire.

Par ailleurs, le Burkina Faso et l’Alliance des Etats du Sahel recherchent des partenaires alternatifs depuis que les juntes militaires ont pris le pouvoir dans ces pays. Selon la Fondation Konrad Adenauer à Bamako, ils « veulent moins dépendre des entreprises occidentales et se concentrer davantage sur ce qu’ils appellent de nouveaux partenaires », soulignant à ce propos que « l’Iran s’efforce de renforcer la coopération avec la coalition du Sahel et a été actif au Burkina Faso en envoyant de l’aide, dont une cargaison est arrivée à l’aéroport de Ouagadougou ».

• Conséquences d’un tel rapprochement

Le rapprochement récent entre le Burkina Faso, le Niger et les Talibans d’Afghanistan pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs géopolitiques, sécuritaires et idéologiques, dont ci-après certaines raisons:

1. Convergence anti-impérialiste et opposition aux puissances occidentales

Inutile de rappeler que le Burkina Faso et le Niger, gouvernés par des juntes militaires farouchement hostiles à l’influence française et américaine, glorifient les Talibans qu’ils considèrent comme un acteur ayant vaincu les États-Unis en Afghanistan.

Restés isolés sur la scène internationale, les Talibans se sont lancés à la recherche d’alliés parmi les États en rupture avec l’Occident, et leurs nouveaux interlocuteurs en font partie.

2. Stratégie sécuritaire contre le terrorisme extrémiste violent

Il n’échappe donc pas aux observateurs et experts des affaires africaines que ces deux pays africains font face à des insurrections de groupes armés issus d’Al-Qaïda, Daech, et Boko Haram. Certains responsables pensent qu’un dialogue avec les Talibans pourrait servir de médiation ou inspirer des tactiques de contre-insurrection.

Dans ce contexte, il faut noter que les Talibans, bien qu’étant eux-mêmes une organisation extrémiste radicale, ont combattu l’organisation Daech en Afghanistan, et les juntes militaires pourraient espérer un partage de renseignements.

3. Recherche de nouveaux partenaires diplomatiques

Après les coups d’État au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023), ces pays qui ont été marginalisés par la CEDEAO et les Occidentaux, s’étaient tournés vers des régimes similaires (Russie, Mali, Talibans) pour briser leur propre isolement.

Les Talibans, non reconnus par la communauté internationale, y voient une occasion d’élargir leur réseau diplomatique.

4. Affinités idéologiques partielle avec les Talibans

Les juntes au pouvoir à Ouagadougou et Niamey instrumentalisent la religion l’islam pour légitimer leur autorité, bien qu’elles ne soient pas aussi radicales que les Talibans.

Certains groupes armés au Sahel partagent une vision salafiste-jihadiste proche de celle des Talibans, créant des ponts idéologiques.

5. L’influence de la Russie et les jeux d’alliances

La Russie, proche des juntes sahéliennes et des Talibans, pourrait encourager ce rapprochement pour affaiblir davantage l’influence occidentale en Afrique et en Asie centrale.

Les mercenaires du groupe Wagner (devenu actuellement Africa Corps) présents au Sahel, jouent un rôle dans cette dynamique.

6. Risques et limites

Ce rapprochement est très controversé, car les Talibans sont un régime « paria », et une telle alliance pourrait aggraver l’isolement du Burkina Faso et du Niger, sachant que les populations sahéliennes, majoritairement modérées, pourraient rejeter une association trop étroite avec un mouvement aussi extrémiste.

On peut dire en résumé, que cette alliance s’inscrit dans une logique de realpolitik anti-occidentale et de recherche de soutiens inédits, malgré les risques réputationnels et sécuritaires.

Pour beaucoup, ce rapprochement décidé à Téhéran traduit une volonté partagée de bâtir des passerelles diplomatiques Sud-Sud, à l’écart des circuits traditionnels dominés par les grandes puissances.

• Menaces sécuritaires accrues

De ce point de vue, nous avons relevé deux facteurs de grande importance quant à la sécurité de la région:

a) Renforcement des groupes armés

Si des combattants ou des ressources transitent entre l’Afghanistan et le Sahel (via le Moyen-Orient ou l’Afrique du Nord), cela pourrait aggraver l’insécurité.

b) Déstabilisation régionale

Les pays du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) sont déjà fragilisés par des coups d’État aussi bien que par la présence de divers groupes terroristes.

Une radicalisation accrue serait ainsi très préoccupante, car le Sahel africain et l’Afghanistan sous les Talibans, sont deux régions distinctes, mais certaines dynamiques pourraient susciter des inquiétudes quant à une possible influence ou inspiration des Talibans dans la région du Sahel.

D’un autre point de vue, on peut dire que les Talibans ne ciblent pas directement le Sahel, mais leur victoire en Afghanistan pourrait indirectement renforcer l’idéologie « jihadiste » dans la région, sauf que la communauté internationale surveille de prés cette dynamique pour éviter une contagion de l’extrémisme.

Les contextes d’émergence des dissidences au Sahel et en Afghanistan diffèrent, hors mis l’idéologie islamiste. En plus, il importe de reconnaître que l’extrémisme violent au sahel ne concerne pas un seul territoire étatique, sachant que les groupes armés terroristes y font encore aujourd’hui l’objet de décomposition et de recomposition incessantes.

C’est là une dimension importante voire même un avantage à considérer rapidement dans la structuration de la lutte, car le cas afghan peut galvaniser et même consolider les stratégies au Sahel.

• Le Sahel sera-t-il le prochain Afghanistan?

Cette question a été soulevée tant de fois à plusieurs niveaux, mais le cas afghan reste une invite particulière pour les Etats sahéliens à l’invention de leurs propres réponse face au péril sécuritaire, surtout lorsqu’on tient compte de l’insurrection des périphéries qu’elle sécrète.

Toutefois, les groupes armés présents au Sahel misent sur le long terme, démontrant résilience et patience depuis le début de leur combat. Là, on peut faire un rapprochement avec la stratégie talibane, qui applique une pression constante pour que l’adversaire en devienne basané.

Bien qu’il n’y ait pas de preuve directe d’une implication des Talibans au Sahel, des groupes liés à des organisations comme Al-Qaïda ou Daech (qui ont des liens avec certains mouvements sahéliens) pourraient tirer des leçons de leur stratégie.

Enfin, pour conclure, cette analyse n’est que géopolitique et ne reflète pas de menace immédiate avérée.

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