Disparition des moules et acidification des mers

Disparition des moules et acidification des mers
Disparition des moules et acidification des mers

Africa-Press – Burkina Faso. Nos petits-enfants connaîtront-ils l’indicible plaisir d’une bonne assiette de moules-frites sur une table de bord de mer? Une étude récente, menée par Fabrice Pernot, chercheur à l’Ifremer et Frédéric Gazeau, océanographe à l’observatoire de Villefranche-sur-Mer, dessine un tel scénario. Leur travail a été présenté au congrès One Ocean Science, à Nice du 3 au 6 juin, en prélude à l’UNOC (United Nations Ocean Congress). Il montre qu’à l’horizon 2100 les moules auront peut-être totalement disparu de nos mers devenues trop acides.

L’océan capte aujourd’hui environ 25 % des émissions de CO2 produites par nos sociétés industrielles, ce qui a la vertu de limiter le réchauffement atmosphérique global. Mais une partie de ce gaz, une fois dissous dans l’eau de mer, se transforme en acide carbonique, abaissant le pH de l’eau: concrètement, tout comme le vinaigre élimine le calcaire de nos sanitaires, une mer plus acide menace les organismes à coquille de calcaire (moules, huîtres, oursins, coquilles Saint-Jacques, bénitiers, etc.).

« Des températures de 32°C pendant plusieurs semaines dans l’étang de Thau »

Des séries de mesures, initiées dans les années 1990 à Hawaï, aux Bermudes et aux Canaries, ont permis d’établir un lien clair entre la concentration croissante de CO2 dans l’atmosphère et dans l’eau de mer, et l’augmentation de l’acidité de cette dernière. Le pH moyen de l’océan de surface, estimé à environ 8,2 au XVIIIe siècle, avant l’ère industrielle, a déjà diminué de 0,1 unité, soit une augmentation de 25 % de l’acidité. Selon les scénarios de réchauffement climatique, cette augmentation pourrait s’accroître de 20 à 100% ! « Concrètement, cela correspond à une diminution de la disponibilité d’ions carbonate, nécessaires à l’animal pour constituer sa coquille, explique Frédéric Gazeau. Cela concerne les organismes et les communautés calcifiantes: les coraux, les coquillages, ou encore les coccolithophores, ce phytoplancton dont les dépôts sur des millénaires ont constitué les falaises de craie d’Étretat et de Douvres. Il existe des organismes résilients mais d’autres y sont très sensibles ».

De ce fait, la chaîne alimentaire océanique pourrait à terme être altérée. Cette pression environnementale s’ajoute à celles du réchauffement climatique et de la désoxygénation, également liées aux activités humaines. Mais leur conjugaison dépend des conditions locales. En Méditerranée, dont les eaux sont plus riches en carbonates géologiques, le facteur le plus préoccupant est le réchauffement: « On a ainsi mesuré des températures de 32°C pendant plusieurs semaines dans l’étang de Thau, près de Sète », note Fabrice Pernot. En Arctique, en revanche, l’acidification affecte déjà les coquilles, les eaux froides étant plus propices à la dissolution du CO2. « Certains organismes développent des mécanismes de compensation, mais au prix d’une dépense énergétique accrue, explique le scientifique. Cela peut affecter leur résistance aux maladies, mais aussi leur croissance ». « Si l’on mesure depuis 2003 cette acidification des océans, on n’en connaissait pas jusque-là l’impact sur la production conchylicole dans un environnement soumis à de multiples stress », remarque Frédéric Gazeau.

Le coût énergétique d’une adaptation

Pour répondre à cette question, les deux chercheurs ont imaginé une expérience unique. Ils ont élevé durant 18 mois des moules, des huîtres et des coccolithophores en conditions naturelles dans un conteneur mobile installé à Mèze, au bord de la lagune de Thau, où s’exerce une importante activité conchylicole. Le principe est simple: de l’eau de mer est puisée en permanence dans la lagune et circule sans ajout de nourriture (ce qui limite les biais expérimentaux) dans le conteneur après avoir été plus ou moins chauffée et acidifiée, selon le scénario simulé jusqu’en 2100. Les résultats sont édifiants: si les huîtres montrent une baisse de production de l’ordre de 40 % d’ici la fin du siècle, « pour les moules, on a observé un effondrement de 100% de la production, et ce avec seulement un degré Celsius de réchauffement, alarme Frédéric Gazeau. En 18 mois nous avons pu observer deux générations, la seconde sélectionnant les plus performants, qui éventuellement pourront s’adapter. Encore faut-il qu’il y ait des survivants: dans le cas des moules, il n’y en a pas eu ».

Chez les coccolithophores, qui se reproduisent quotidiennement, une modification du génome a en revanche été observée au bout de 300 générations, signe d’une possible adaptation. C’est surtout au stade larvaire que les organismes calcifiants sont fragilisés. À cette phase, le rapport entre masse corporelle et coquille est élevé et les larves précipitent une forme de calcaire plus soluble qu’à l’âge adulte: ils ont alors plus de mal à former leur squelette externe, à un moment où la prédation est la plus intense. En temps normal, en effet, plus de 90 % des larves n’atteignent pas l’âge adulte ! Chez les juvéniles, les formes de calcaire précipité sont un peu plus stables, mais la compensation aux nouvelles conditions demande une mobilisation métabolique importante: synthèse de protéines spécifiques, transport actif des ions, etc.

Cette adaptation a un coût énergétique, qui se fait au détriment de fonctions essentielles comme la croissance ou la reproduction. Ainsi, au printemps, en période de reproduction, on observe des animaux moins matures, moins féconds, ce qui diminue le recrutement des populations.

Une réponse locale face à une crise globale?

Que faire? « La solution la plus évidente est d’arrêter d’une manière ou d’une autre nos émissions de CO2 », expliquent les deux chercheurs. Mais cet horizon n’étant toujours pas dégagé, il est possible de gagner des marges de manœuvre localement. Notamment en diminuant certaines pressions comme celle de la désoxygénation. Pour cela on peut végétaliser les écosystèmes à l’aide d’algues -notamment les laminaires qui créent des refuges -, d’herbiers de posidonie, ce qui permet d’augmenter localement le pH et l’oxygène.

La Chine pratique déjà largement l’algoculture, notamment à des fins alimentaires ou pharmaceutiques. En Europe, cela ne fait pas partie de nos habitudes de consommation: il faut créer de nouveaux débouchés, en cosmétique par exemple. Mais ce type de solution nécessite de faire des mesures et des recherches localement pour mieux connaître les courants, les forçages des bassins versants, les besoins en sels nutritifs. Autant d’éléments à intégrer dans des modèles à échelle fine.

Il faut ensuite expérimenter les solutions avant de les déployer, même à une échelle locale. « Surtout, insistent les chercheurs, cela nécessite la mise en place d’une politique publique, une véritable planification spatiale marine ». Aujourd’hui, le dispositif expérimental est installé à l’entrée de la rade de Brest, à Sainte-Anne, pour élever cette fois des huîtres creuses et plates. Le conteneur pourra ensuite être déplacé sur tout le littoral, pour tester les oursins, les coquilles Saint-Jacques, les bulots, etc.

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