Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Burkina Faso. Ce phénomène a commencé à faire surface en Afrique, depuis une vingtaine d’année, où les groupes d’autodéfense se sont multipliés. Leur apparition semble être la conséquence du mécontentement et de la méfiance des populations face aux difficultés des autorités à les protéger de la violence et de la criminalité, d’un côté, et des menaces terroriste, d’un autre côté.
Se sentant abandonnées par les forces de sécurité publiques concentrées dans les villes, les communautés, en particulier celles situées dans les zones rurales, tentent de s’organiser pour assurer elles-mêmes leur sécurité.
Il s’agit là d’initiatives devenues une préoccupation politique et sécuritaire majeure, notamment en Afrique de l’Ouest, mais beaucoup n’en savent pas grand-chose, d’où des questions ne cessent d’être posées à ce sujet:
-D’où viennent les groupes d’autodéfense?
-À quoi servent-ils?
-Pourquoi sont-ils plébiscités par les populations?
-Quelles sont leurs méthodes et leurs liens avec les États?
• Comprenons d’abord ce que veut dire « Groupe d’autodéfense »
Un groupe d’autodéfense est un groupe composé de civils, souvent jeunes, qui s’organisent dans l’objectif de protéger les membres de leur communauté contre toutes les formes d’insécurité. Ce genre de groupes relève de ce qu’on qualifie de « vigilance », ce qui consiste à maintenir l’ordre ou à rendre la justice au nom d’une collectivité, mais en dehors de tout cadre légal. Un groupe d’autodéfense n’est pas une milice, car il n’est ni politisé, ni affilié à des autorités légalement établies.
• Ces groupes se multiplient en Afrique de l’Ouest, malgré certaines dérives inquiétantes
Dans ce contexte, il faut reconnaître que la plupart des groupes ouest-africains ont été mis sur pied par les populations pour réagir localement contre toute forme de criminalité. Ils poursuivent et arrêtent les délinquants, les remettent à la justice, et fournissent entre-autres des informations aux forces de sécurité, en ciblant prioritairement les voleurs, les grands bandits, les coupeurs de route ainsi que les braqueurs.
Leurs interventions ont souvent permis de réduire le banditisme, sachant que parallèlement certains groupes d’autodéfense ont évolué pour combattre la menace des groupes armés djihadiste.
C’est pourquoi les communautés ont appris à leur faire de plus en plus confiance tout en les soutenant financièrement
Ancrés dans les mobilisations communautaires, ces groupes ne sont pas nouveaux dans la région, et à titre d’exemple, les « Dozos » sont des confréries de chasseurs traditionnels, nées à l’époque de l’empire mandingue entre le XIIIe et le XIVe siècle. Cette société initiatique a toujours recruté dans tous les groupes sociaux et toutes les communautés, devenant ainsi les « Gardiens des populations ».
• Où les groupes d’autodéfense sont-ils aujourd’hui les plus actifs en Afrique de l’Ouest?
Dans les années 2000, d’anciens groupes d’autodéfense ont été revitalisés et d’autres sont apparus dans toute la région.
Les chasseurs Dozos, cités en exemple, ont ainsi connu un regain d’activité dans le contexte de la guerre en Côte d’Ivoire en se rangeant aux côtés des rebelles. Ils ont ensuite été très actifs au Mali et au Burkina Faso et restent aussi très influents en Guinée.
Par ailleurs, dans le centre du Mali, le groupe Dana Ambassagou (ou Dan Na Ambassagou ou Dan Nan Amassagou), qui en dialecte dogon signifie « les chasseurs qui se confient à dieu », aurait été créé pour protéger la communauté dogon du Delta du Niger, tout en affrontant souvent des groupes d’autodéfense des communautés peules.
Dans la région de Diffa au Niger, des « comités de vigilance » non armés ont aussi été créés dans certaines communes.
Enfin au Burkina Faso, les fameux Keogl Weogo (ou Koglweogo) sont devenus des pourvoyeurs de sécurité absolument clé.
De même, au Nigeria, des groupes se sont formés dans les États de Zamfara, de Niger et de Katsina, pour lutter contre le banditisme. Et dans l’Etat de Borno, les Yan Gora, également connus sous le nom de CJTF pour force conjointe civile, ont été déployés face à Boko Haram.
Il importe de note que, dans les pays du Sahel, les groupes d’autodéfense visent principalement à combler le vide sécuritaire et à protéger les communautés, mais ils sont devenus partie intégrante d’un problème complexe en raison de leur absence de responsabilité et de leur implication dans le cycle de la violence. La lutte contre ce phénomène nécessite de renforcer les capacités de sécurité nationale et de s’attaquer aux causes profondes des conflits.
• Principaux objectifs de leur prolifération dans le Sahel
La prolifération des groupes d’autodéfense dans les pays du Sahel (comme le Mali, le Niger et le Burkina Faso) est une réponse directe à la dégradation de la sécurité et à l’incapacité des armées nationales à faire face aux menaces croissantes des groupes armés. Ces groupes cherchent à combler le vide sécuritaire et à protéger les communautés locales, mais posent également des défis en matière de gouvernance et de redevabilité.
1. Combler le vide sécuritaire
Face à la multiplication des attaques de groupes armés (comme Al-Qaïda et Daech dans la région) et au déclin des capacités des armées nationales, des groupes d’autodéfense se sont constitués pour protéger les villages et les zones reculées, souvent inaccessibles aux forces gouvernementales.
Dans certains cas, les gouvernements soutiennent indirectement ces groupes dans le cadre d’une stratégie de contre-insurrection, notamment après le retrait des forces françaises et onusiennes de la région.
2. Protéger les communautés locales
Ces groupes visent à assurer une protection directe aux civils contre les attaques des groupes armés qui ciblent les villages et provoquent des déplacements massifs de population. Au Burkina Faso et au Mali, par exemple, des milices locales se sont constituées pour défendre les villages contre les attaques ciblant les civils et détruisant les infrastructures telles que les écoles et les réseaux d’eau.
3. Réponse aux violences sectaires et ethniques
Dans certaines régions, des groupes d’autodéfense émergent en réponse aux violences sectaires ou ethniques. Certains groupes armés exploitent les rivalités ethniques pour inciter à la violence entre communautés.
Ces groupes peuvent parfois servir d’instruments de vengeance ou de protection des intérêts d’un groupe particulier, complexifiant ainsi le paysage sécuritaire.
4. Soutien populaire et légitimité locale
Certains groupes d’autodéfense bénéficient d’un soutien local en raison de l’incapacité du gouvernement à assurer la sécurité. Dans certaines régions, ils sont perçus comme plus efficaces que les forces gouvernementales pour faire face aux menaces immédiates.
Cependant, ce soutien peut diminuer si ces groupes commettent des exactions contre les civils ou se livrent à des violences aveugles.
5. Défis et risques
a) Absence de responsabilité: Nombre de ces groupes opèrent en dehors du cadre légal, ce qui peut entraîner des violations des droits humains et une escalade de la violence.
b) Implication dans les conflits: Certains groupes d’autodéfense deviennent parties prenantes au conflit, compliquant davantage la situation et menaçant la stabilité régionale.
c) Exploitation des groupes armés: Les groupes armés peuvent exploiter ces milices, soit en recrutant des membres, soit en incitant à la violence entre elles et d’autres communautés.
La prolifération des groupes d’autodéfense dans le Sahel répond à un besoin immédiat de protection des populations, mais elle s’inscrit également dans des stratégies politiques plus larges où État et acteurs non étatiques interagissent de manière complexe. Si ces groupes peuvent temporairement améliorer la sécurité locale, ils risquent aussi d’aggraver les fractures communautaires et de saper l’autorité étatique à long terme.
Une approche purement militaire ne suffira pas à stabilier la région: elle doit impérativement s’accompagner de développement économique, de renforcement de la gouvernance locale et de justice inclusive.
• En quoi le bilan des groupes d’autodéfense est-il contrasté?
La plupart des groupes ouest-africains ont été mis sur pied par les populations pour répondre localement à la criminalité, certes, mais certains groupes violent la loi pour maintenir l’ordre. Plusieurs types de dérives ont été constatées:
– d’abord, des groupes d’autodéfense jugent et sanctionnent eux-mêmes les personnes interpellées, au mépris de la présomption d’innocence,
– certains commettent des exactions et pratiquent des châtiments corporels, des tortures, des lynchages, voire des exécutions sommaires,
– ils détiennent parfois illégalement des armes,
– des affrontements peuvent se produire entre différents groupes,
– la corruption et les extorsions de fonds se multiplient. Les groupes recourent de plus en plus au trafic et au vol pour financer leurs patrouilles, leur déploiement et le paiement de faibles primes.
• Principal objectif des groupes d’autodéfense: Suppléer la défaillance de l’État en matière de sécurité
Les communautés locales ont formé des groupes d’autodéfense pour se protéger. L’initiative a été prise pour faire face à la montée des groupes armés extrémistes (comme le JNIM et Daech dans le grand Sahara) et à la faible présence des forces de sécurité étatiques dans les zones rurales et frontalières.
Au Niger, par exemple, l’émergence récente de ces groupes dans les régions de Tillabéri et Tahoua est une réponse directe à l’incapacité de l’État à contenir la violence.
• Instrumentalisation de ces groupes par les élites politiques et étatiques
Dans certains cas, ces groupes sont soutenus, encadrés ou même créés par les États pour servir des intérêts politiques ou sécuritaires.
-Au Burkina Faso, les Koglweogo et les Dozos ont été intégrés dans le dispositif étatique via les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), officialisant ainsi leur rôle dans la lutte contre le terrorisme.
-De même, au Mali, l’État a historiquement soutenu des milices ethniques comme les Ganda Koy ou Dan Na Ambassagou pour contrer les rebellions.
• Lutte contre l’expansion des groupes jihadistes et exacerbation des tensions communautaires
Les groupes d’autodéfense sont souvent perçus comme un rempart contre l’expansion des groupes armés extrémistes, qui imposent leur loi dans les zones délaissées par l’État. Ils visent à reprendre le contrôle du territoire et à assurer la sécurité des populations locales, comme cela a été observé dans le Liptako-Gourma (zone frontalière entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger).
Si leur objectif affiché est protecteur, ces groupes contribuent souvent à aggraver les violences intercommunautaires. Par exemple, au Mali, les milices d’autodéfense dogon (Dan Na Ambassagou) ont été accusées de commettre des exactions contre les populations peules, alimentant ainsi un cycle de vengeances et de violences ethniques.
• Constituer des acteurs hybrides de gouvernance locale
Ces groupes tendent à remplir des fonctions étatiques (sécurité, justice, imposition de l’ordre) dans des zones où l’État est absent. Cela participe à l’émergence de formes de gouvernance hybrides, où cohabitent acteurs étatiques, coutumiers et non étatiques.
• Objectifs et impacts des groupes d’autodéfense dans le Sahel: Impact et Conséquence
a) Suppléer la défaillance étatique au Niger, notamment dans le Tillabéri: Protection locale, mais risque de dilution de l’autorité de l’État
b) Instrumentalisation politique au Burkina Faso, notamment les Koglweogos intégrés aux VDP: Renforcement temporaire de la sécurité, mais risque d’accaparement par les élites
c) Lutte anti-jihadiste au Mali avec le soutien à GATIA et Dan Na Ambassagou: notamment contre l’insurrection, mais exactions ethniques ciblées
d) Exacerbation des tensions: Attaques contre les Peuls au Mali et Burkina Faso avec cycles de violences intercommunautaires
e) Gouvernance hybride Comités de vigilance historique au Burkina Faso: Alternative à l’État, mais justice informelle et violente
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burkina Faso, suivez Africa-Press