Africa-Press – Burkina Faso. Le 15 mars, le monde a découvert le lauréat du Pritzker 2022. Son nom : Diébédo Francis Kéré. Il est le premier Africain à obtenir cette distinction qui le met au firmament de l’architecture mondiale. Sa particularité : une carrière riche en œuvres d’engagement pour la « justice sociale » avec des constructions durables et adaptées au milieu naturel. Après les hommages à travers le monde et la remise effective du prix le 27 mai à Londres, Francis Kéré est retourné dans son pays, le Burkina Faso, pour un séjour d’une semaine. Objectif : présenter son prix aux autorités et à ses concitoyens, en partager la portée aussi.
Le chef de l’État, Paul Sandaogo Damiba a décerné à l’architecte Francis Kéré la médaille de Commandeur de l’ordre national, l’une des plus hautes distinctions du Burkina.
Pour l’accueillir à l’aéroport international de Ouagadougou, des centaines de Burkinabè ont fait le déplacement. Une cérémonie d’hommage devant un parterre de responsables lui a été offerte, l’occasion pour le pays à travers son chef d’État, Paul Sandaogo Damiba, de lui décerner la médaille de Commandeur de l’ordre national, l’une des plus hautes distinctions du Burkina. Francis Kéré, qui réside habituellement en Allemagne, a passé au Burkina un séjour d’une rare intensité, à la hauteur de la valeur du prix qu’il a obtenu dans toutes ses dimensions, symbolique et pécunaire, soit une médaille dorée accompagnée d’une enveloppe de 100 000 dollars, une distinction qui vient faire souffler un vent d’espoir pour un pays pris dans un contexte difficile de terrorisme sur fond d’inflation et d’épée de Damoclès économique.
Un accueil digne des plus grands héros
Tout aura été spécial dans le retour de ce fils prodige. Les plus superstitieux diront que même Dame Pluie a voulu s’associer à l’évènement en ouvrant, tôt le matin, ses vannes sur la capitale burkinabè, adoucissant ainsi les températures encore assez élevées en cette période de l’année. À l’aéroport international de Ouagadougou, ses confrères de l’Ordre national des architectes du Burkina Faso étaient bien là côtoyés par des représentants des ministères burkinabè de l’Habitat et de la Communication mais aussi de fonctionnaires de l’Office national du tourisme sans oublier des « envoyés spéciaux » d’entreprises privées œuvrant dans le domaine de l’architecture.
Avec sur son corps une peinture « Hommage à Diebedo Francis Kéré » en l’honneur de l’architecte burkinabè auréolé du Pritzker 2022, un homme se tient à l’aéroport de Ouagadougou, le 2 juin 2022, lors de l’accueil de Francis Kéré.
La fierté de toute une famille et de tout un peuple
Mimpamba Thomas Combary, artiste comédien, est un « fan » de Francis Kéré. Il le considère comme « un modèle de réussite ». Thomas se rappelle que durant son séjour d’étudiant à Berlin, de 2019 à 2021, « tout le monde parlait de Francis Kéré là-bas ». « J’ai également eu à travailler dans des bâtiments qu’il a construits, particulièrement le Village Opéra. Et aujourd’hui, c’est pour moi un devoir de l’accueillir. Je suis simplement venu lui dire merci pour l’honneur fait à mon pays et à toute l’Afrique », confie le comédien.
Présence tout aussi remarquée à l’aéroport de Ouagadougou : celle des proches de Francis Kéré, une bonne trentaine de personnes qui observent, tous fiers de leur fils. Aux premières loges, sa maman Azara Zèba dont la présence rend le moment encore plus singulier. Peu diserte, elle manque de mots pour marquer sa joie. « Je ne sais pas quoi vous dire, je suis simplement contente de la distinction faite à mon fils », confie-t-elle. François Kéré, lui, a un peu plus à dire sur Francis, son frère cadet : « Ce prix d’une portée internationale ne fait pas seulement honneur à la famille, il fait honneur à toute la nation », se réjouit-il, le regard dirigé vers le tarmac.
Moment d’intense émotion quand Azara Zèba étreint son fils Francis Kéré.
À mesure que les minutes d’attente passent, l’ambiance se remplit de plus d’énergie. Deux chantres de la musique traditionnelle burkinabè, Kisto Koinbré et Sidpayété, venus accueillir en mélodies « le digne fils du pays », improvisent un concert. Leurs danseurs rivalisent de style au rythme du son des tambours et des balafons. Au même moment, des banderoles à l’effigie de Francis Kéré sont agitées par une haie d’honneur spontanément constituée de part et d’autre de l’allée conduisant au salon d’accueil. Il est 19 heures et l’oiseau de fer qui doit ramener Francis Kéré se fait toujours attendre, mais pas de quoi troubler l’ambiance heureuse de l’aéroport. Finalement, peu avant 20 heures, il atterrit avec à son bord Francis Kéré.
Émotion
Francis Kéré apparaît enfin, assez décontracté mais visiblement ému de voir la foule mobilisée en son honneur. Sa maman l’étreint longuement. Aux côtés d’Azara Zèba et de son fils, se tiennent des membres du gouvernement, dont le ministre d’État chargé de la Réconciliation nationale, Yéro Boly. Les premiers mots du lauréat du Pritzker expriment sa joie de « dédier cette distinction » à son pays. Comme d’autres fans, Nimpaba Thomas Combary est venu accueillir Francis Kéré qu’il considère comme un modèle.
« C’est un sentiment de fierté, de grand respect, de reconnaissance à ce peuple dont ma famille qui m’a inculqué l’esprit combatif qui m’a toujours accompagné. Je dédie ce prix à tout le Burkina Faso, ses hommes, ses femmes, cette jeunesse qui se bat mais qui n’a pas la chance ou la visibilité que j’ai. J’ai juste eu la chance de partir dans un domaine où très peu de nous ont eu la chance et encore la persévérance ou le courage de continuer ».
Francis Kéré pendant son allocution à l’aéroport de Ouagadougou lors de sé réception après le Pritzker 2022.
Pour Francis Kéré, 57 ans, retourner au Burkina dépasse le symbolique. « Il y a des milliers de jeunes Burkinabè qui ont du talent et qui œuvrent dans un domaine où il leur manque une certaine assurance », a-t-il indiqué. Le ministre en charge de la Réconciliation lui répond : « Par cette distinction, vous prouvez que la jeunesse burkinabè doit s’inspirer de l’exemple du travail, de la volonté de réussir quelles que soient les difficultés. Grâce à vos efforts, vous avez réussi à planter le drapeau du Burkina et celui de toute l’Afrique sur le Panthéon de la gloire », a tonné Yéro Boly.
L’autre sens du Prix Pritzker
Sur un autre plan, le prix de Francis Kéré et sa venue au Burkina Faso sont perçus par nombre de personnes comme l’opportunité d’une révolution dans le secteur de l’architecture, alors même que les constructions durables et adaptées au climat restent un gros défi. Car c’est là la particularité de Francis Kéré, engagé dans l’utilisation intelligente des matériaux locaux ». Cela a été salué par les organisateurs du Pritzker qui ont mis en exergue l’école primaire de Gando, le village où Francis Kéré est né. Dans cette bourgade située à 189 km à l’est de Ouagadougou, une école à base de matériaux prélevés sur place a été conçue pour résister à la chaleur. Celle-ci résume à elle seule la philosophie que Francis Kéré se fait du premier art, à savoir : bâtir avec et pour la communauté dans le but de briser les inégalités sociales.
Des écoliers jouent à l’école Village-Opéra, conçue par l’architecte Diebedo Francis Kéré, à Laongo, le 16 mars 2022.
Une révolution de l’architecture, oui, mais pour les autorités du pays tout comme pour bien des citoyens, ce sacre du natif de Gando est également perçu comme un défi dans un environnement à sécuriser. « Je sais que notre pays a une grande priorité, qui est la lutte contre le terrorisme. Malgré cette crise, le gouvernement s’est dit que cette médaille que Francis Kéré a reçue constitue une fierté pour toute la nation, une bouffée d’oxygène », a dit l’architecte, à l’issue d’un entretien avec le Premier ministre, Albert Ouédraogo, conscient des urgences auxquelles le pays est confronté. L’un de ses projets phares, la construction de la future Assemblée nationale en lieu et place de l’ancienne, disparue sous les cendres lors de l’insurrection populaire de 2014, reste suspendue à ce contexte sécuritaire qui se dégrade depuis sept ans. « C’est vrai que j’ai dessiné l’Assemblée nationale. Je l’admire, et tout le monde l’admire, mais pour le moment, ce n’est pas la priorité », a-t-il dit. Et d’ajouter : « Je sais dans quel combat le Burkina se trouve actuellement. L’urgence, c’est d’apaiser les cœurs, de trouver des solutions pour le retour de la paix ».
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