El Niño en cause dans l’extinction de masse du Permien : « un scénario spectaculaire à la Mad Max ! »

El Niño en cause dans l’extinction de masse du Permien :
El Niño en cause dans l’extinction de masse du Permien : "un scénario spectaculaire à la Mad Max !"

Africa-Press – Burkina Faso. C’est une étude majeure dans la compréhension de l’origine des extinctions de masse qu’a connues la Terre. Parue dans la revue Science le 12 septembre 2024, elle explique que le réchauffement climatique de la fin du Permien n’a pas suffi à lui seul à provoquer une extinction de masse aussi dévastatrice.

Des épisodes El Niño plus intenses, plus longs et plus fréquents

Dans ces travaux, l’équipe du Dr Alexander Farnsworth, chercheur principal à l’Université de Bristol, et du Pr Yadong Sun de l’Université chinoise des géosciences de Wuhan, apporte la preuve que la hausse généralisée des températures associée à l’augmentation de la PCO2 (pression partielle de CO2) atmosphérique ont abouti à une variabilité climatique importante avec des épisodes El Niño plus intenses, plus longs et plus fréquents, rendant les milieux terrestres et marins inhospitaliers à la vie, et aboutissant à l’extinction d’environ 90% des espèces vivantes.

Guillaume Leduc, paléo-océanographe au sein du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (CEREGE), revient pour Sciences et Avenir sur les apports de cette étude, les limites que présentent ses résultats et ses implications potentielles dans la compréhension du climat de l’ère moderne. Entretien.

« Les espèces marines ont dû littéralement « cuire » au vu des températures »
Sciences et Avenir: En quoi les résultats de cette étude font-ils avancer notre connaissance des extinctions de masse passées et futures ?
Guillaume Leduc : C’est en effet une étude étonnante et spectaculaire décrivant un scénario d’extinction de masse à la Mad Max ! Pour la première fois, une simulation propose un scénario permettant d’expliquer l’extinction de masse et l’enchaînement des évènements tels que nous les suggèrent les archives géologiques. Si ce scénario de déclenchement d’évènements « méga El Niño », comme ils les nomment, est avéré, cela a au moins l’avantage d’illustrer ce que l’on appelle des « tipping points » du système climatique.

Il s’agit de points bascules du système climatique permettant de provoquer une dérive du climat de la planète irréversible vers un nouvel état d’équilibre. Dans le cas de cette étude, cet état consiste en une planète étuve dans laquelle les évènements extrêmes la rendent inhospitalière aux faunes et flores terrestres et marines. Les espèces marines ont dû littéralement « cuire » au vu des températures reconstruites et simulées dans cette étude !

Comment fait-on pour connaître les climats très anciens, remontant à des millions d’années ?

Lorsque l’on cherche à reconstruire le climat de temps anciens très reculés, la principale difficulté est de parvenir à trouver des archives ayant préservé un signal climatique non altéré. Les échantillons auxquels les auteurs de l’étude ont eu accès sont issus d’une collection autrichienne qui a été rééchantillonnée pour l’occasion.

Cette collection provient d’affleurements de structures géologiques situées à de nombreux endroits, dans ce qui est maintenant la Chine, l’Italie, la Croatie, les Etats-Unis, l’Iran, etc. Le choix judicieux de ces sites les replace au moment de la crise le long de l’équateur, de part et d’autre du paléo-océan Panthalassa, avant de prendre leur place actuelle après 250 millions d’années de dérives des continents.

Des analyses géochimiques de fossiles de conodontes (sorte de lamproies préhistoriques), et en particulier la mesure de leurs isotopes stables de l’oxygène, peuvent être ensuite transcrites en température de l’océan dans lequel ont baigné ces fossiles. Ainsi, c’est en comparant plusieurs sites que les chercheurs ont réussi à reconstruire la différence de température entre l’est et l’ouest de l’océan de l’époque.

Ceci suggère une dynamique de l’océan pouvant être au moins en partie expliquée par des anomalies interannuelles récurrentes des températures des eaux de surface, à la manière de ce que l’on observe actuellement pendant les épisodes El Niño.

Enfin, les simulations climatiques d’une planète avec une reconfiguration des continents au sein du modèle, lui-même perturbé par des augmentations de CO2, a permis d’identifier une dynamique de type « El Niño » dans le modèle. Les simulations ont montré des « El Niño » avec une ampleur si importante qu’ils ont fini par perturber les écosystèmes, rendant les continents et l’océan invivables dans la plupart des régions de l’époque.

C’est la convergence de cet ensemble d’indices qui a permis à l’équipe de chercheurs d’élaborer un tel scénario cataclysmique, qui bien entendu a fait le buzz !

« L’extinction à la fin du Permien est tellement ancienne qu’il est très difficile d’obtenir des enregistrements continus »
Voyez-vous des aspects de cette étude qui devraient être interprétés avec prudence ?

Oui, il y en a beaucoup: les auteurs eux-mêmes listent un grand nombre d’incertitudes dans leur analyse.

Du point de vue des données, il peut bien entendu y avoir des incertitudes sur la répartition exacte des continents pendant la crise, ainsi que sur le type de fossile étudié qui a disparu depuis des centaines de millions d’années. L’extinction à la fin du Permien est tellement ancienne qu’il est très difficile d’obtenir des enregistrements continus. Il peut également y avoir une altération possible des échantillons étudiés due au fait qu’ils ont tout de même… 250 millions d’années (même les dinosaures n’étaient pas encore apparus !).

S’agissant des simulations climatiques, les teneurs en gaz à effet de serre, la configuration de l’orbite terrestre et l’intensité de la luminosité solaire de l’époque sont autant d’incertitudes qui laissent de nombreux degrés de liberté dans la réalisation de simulations climatiques associées à des temps aussi reculés. Aussi, les auteurs admettent eux-mêmes les limites des modèles climatiques, qui ont déjà du mal à simuler les évènements El Niño pour des périodes beaucoup plus récentes.

De plus, ces modèles climatiques sont affectés par des biais liés aux hautes latitudes ne permettant pas de reconstruire le gradient entre l’équateur et les pôles de manière fine, et par des biais liés à la modélisation de la végétation étant donné que les espèces végétales de l’époque avaient des niches écologiques particulières sur lesquelles subsistent de grandes incertitudes.

« L’analogie entre cette crise climatique et ce que nous vivons serait hasardeuse »
Quel éclairage cette étude apporte-t-elle sur l’évolution future du climat ?

Pas grand-chose que l’on ne savait déjà: plus on chatouille l’atmosphère en lui rajoutant du CO2 à travers les ressources fossiles que l’on brûle, plus on perturbe le système climatique qui risque à tout moment de s’emballer.

Pour rappel, selon les trajectoires actuelles, le réchauffement climatique mondial dépassera allègrement les 2°C avant la fin du siècle. Les conséquences de ce réchauffement seront alors désastreuses: il est fort probable que la fonte du Groenland devienne irrémédiable, que les écosystèmes terrestres souffrent tellement qu’ils deviennent plutôt sources que puits de CO2, que l’enchaînement des évènements extrêmes rende les écosystèmes continentaux et marins de plus en plus vulnérables aux aléas météorologiques et climatiques, et que l’océan perde peu à peu son oxygène en asphyxiant les écosystèmes marins.

Cependant, la planète il y a 250 millions d’années était tellement différente de ce qu’elle est de nos jours que l’analogie entre cette crise climatique et ce que nous vivons serait hasardeuse. La Terre il y a 250 millions d’années était trop différente pour que l’on puisse y voir un réel analogue à un climat futur qui nous pendrait au nez, même si tous les signaux sont au rouge, malheureusement, à l’heure actuelle.

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