Des hôpitaux et des mouroirs

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Des hôpitaux et des mouroirs
Des hôpitaux et des mouroirs

Africa-Press – Burundi. Lors du Conseil des ministres du 30 août, la ministre de la Santé publique a présenté un projet-décret portant Code de l’éthique et déontologie pour les prestataires de services de santé. Parmi les recommandations, un point a étonné. Alors que le système de santé fait face à moult défis, l’idée de construire un hôpital pour les grandes personnalités a été émise. De quoi susciter la colère et l’indignation de la population qui se demande entre elle et ces grandes personnalités, celui qui en a le plus besoin.

« La charité bien ordonnée commence par soi-même », a dit François Barthélemy Arlès-Dufour. Apparemment, lors dudit Conseil des ministres, la ministre de la Santé publique s’est rappelé les paroles de cet illustre philosophe français…

Alors que des milliers de Burundais meurent ou voient leur santé se dégrader faute de soins de santé appropriés, faute de médecins dans les hôpitaux, suite au manque de laboratoires pour faire des examens cliniques approfondis…

Dans cette matinée du 30 août, Sylvie Nzeyimana a douché les espoirs de tous ceux qui espéraient une réponse aux problèmes qui hantent le système sanitaire burundais. La ministre a fait la part belle à ses « convives » comme elle à la table du Chef. Cette grande famille des privilégiés dont elle fait partie.

En effet, ce qui devrait être une occasion pour faire un diagnostic approfondi de tous les défis auxquels est confronté le système de santé burundais n’a été qu’un bref moment de rappel de quelques principes élémentaires de base qui doivent caractériser tout professionnel de santé.

Dans son exposé, ni la question des causes de l’exode massif des médecins et autres professionnels de santé, ni celle relevant de l’absence d’infrastructures adaptées ou la difficile accessibilité de la population aux soins de santé à cause de son faible pouvoir d’achat, n’ont été évoquées.

De quoi se demander à quoi finalement ont servi ses descentes sur terrain, si elle n’a pas eu le courage de rapporter ce qu’elle a vu. « En tout cas, point besoin d’être prestataire de santé pour comprendre la dure réalité quotidienne du Burundi profond. Ces Centres de Santé (CDS) qui n’ont pas d’électricité, les médecins impuissants devant une simple césarienne, faute de bloc opératoire, etc. », explique A.D., médecin communal.

Selon lui, à moins qu’elle ne l’ait fait sciemment, parce que jusqu’à maintenant, elle n’a pas encore élaboré un plan stratégique, ce Conseil des ministres aurait été une bonne opportunité de proposer une stratégie à mesure d’apporter des vraies réponses à ce secteur en perdition.

Avant, l’éthique et la déontologie professionnelle

Au-delà des recommandations « moralisantes » sur l’éthique et la déontologie, un point a retenu l’attention : cette possibilité d’identifier un hôpital de référence qui pourrait accueillir les grandes personnalités et l’équiper pour limiter d’être pris en charge à l’étranger. Une pilule que la population a eu du mal à avaler. En effet, sur la toile, les réactions ont fusé de partout. « Ces élites, sont-elles censées jouir de tous les privilèges parce que nous leur avons fait confiance ? ».

Ignorance totale du principe de la redevabilité. La population interrogée voit une ségrégation à peine cachée. « Le ministère de tutelle se fiche mal de retaper, équiper un tant soit peu les hôpitaux publics. Dorénavant, il y a ceux qui vont mourir dans des structures sanitaires mal équipées alors que d’autres autres dormiront dans des pavillons super équipés et pris en charge par les meilleurs spécialistes du pays. Tout cela grâce aux impôts et taxes du contribuable ? », se demande Jean, infirmier à Hôpital Prince Régent.

« Apartheid » à peine caché

Au-delà des inégalités sociales qu’une telle structure hospitalière risque d’engendrer, cet infirmier craint l’exacerbation des divisions politiques. « Déjà, partout dans tous les services étatiques, le favoritisme, le clientélisme se sont érigés en règle. Est-ce qu’avec cet hôpital, les “autres grandes personnalités” qui ne sont pas du parti au pouvoir n’auront pas le droit de s’y faire soigner ? » Selon lui, il n’y a aucun doute, c’est un apartheid à peine caché qui sera en train de s’ériger.

Des craintes partagées par Sylvain Habonakiza, porte-parole du Cadre d’Expression pour les Malades au Burundi (Cemabu). « Si, dorénavant pour être soigné, il faut que tu sois une grande personnalité. Que va devenir ce paysan du fin fond du pays ayant à peine les soins de santé élémentaires parce que son hôpital communal n’a pas suffisamment de médecins ou de produits pour faire un banal examen de laboratoire ? » Avant de poursuivre, dépité : « Si c’est ainsi, est-ce que demain, il n’y aura pas certaines pharmacies réservées à ces grandes personnalités, refusant de vendre les médicaments à quiconque désire en acheter ? »

À S.H., comptable dans un hôpital, n’y va pas de main morte : « La ministre, plus que n’importe qui, sait que ces personnalités n’ont pas besoin d’un hôpital qui leur est réservé pour se faire soigner. Car, quand elles en ont besoin, elles ont les moyens, elles peuvent se faire soigner dans n’importe quelle clinique privée du pays ou de l’étranger. Ce qui n’est pas le cas par exemple pour un paysan de Mwakiro, des fois, obligé d’attendre une ambulance pour être évacué à l’hôpital de Muyinga. Sans compter que le directeur de ce dernier peut décider le transfert du malade à Ngozi faute de réaliser tous les examens cliniques nécessaires ».

Ce comptable voit mal la pérennité d’un tel projet. « Le problème, ce ne sont pas les infrastructures qui manquent, c’est l’absence d’une vision sur le long terme ». Allusion faite à l’hôpital du Cinquantenaire de Karusi qui avait été construit pour être une référence dans la sous-région, mais qui périclite actuellement (absence de plateau technique, exode des médecins spécialistes, etc.)

Pour lui, l’urgence est ailleurs, notamment, dans la stabilisation des carrières des prestataires de soins, les médecins en tête, qui ne cessent de déserter leurs postes d’attache au sein des hôpitaux communaux au profit des cliniques privées.

A l’instar de feu Thomas Sankara qui disait qu’en tant que dirigeant, des fois, il faut faire un choix : « Soit du champagne pour les uns ou de l’eau potable pour tous ». Cet infirmier abonde dans le même sens. « A l’état actuel des choses, le gouvernement devrait faire pareil. Soit un hôpital moderne pour les uns ou équiper tous les hôpitaux publics, comme il se doit, stabiliser les carrières des médecins afin que la population burundaise puisse bénéficier des soins de santé de qualité », conclut-il.

Nous avons contacté, en vain, la ministre de tutelle. Idem pour son porte-parole.

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