Abdul Qader Mohammed Ali
Africa-Press – Burundi. Le recrutement des enfants en Afrique constitue l’un des aspects les plus tragiques des conflits armés qui ravagent plusieurs régions du continent. Les images de ces enfants enrôlés illustrent la dure réalité qu’ils subissent.
Si les causes des guerres sont multiples et leurs conséquences complexes, elles laissent des cicatrices profondes aussi bien au niveau individuel que sociétal.
Des centaines de milliers de jeunes sont confrontés à des épreuves de vie précoces et brutales, où leur enfance s’efface et leurs rêves s’effondrent comme des « dommages collatéraux » de guerres déclenchées par des adultes, mais dont tout le monde paie le prix.
Des chiffres alarmants
Selon l’UNICEF, environ 21 000 enfants ont été recrutés par des forces gouvernementales et des groupes armés en Afrique entre 2016 et 2021.
Un rapport onusien publié en 2023 indique que sur les 14 pays où le recrutement d’enfants a été documenté, sept se trouvent en Afrique, ce qui fait du continent le foyer de près de la moitié des enfants soldats du monde.
Un rapport de 2019 identifie la Somalie comme le pays comptant le plus grand nombre d’enfants soldats (2 300), suivie du Nigeria (1 947).
Ce phénomène n’est pas récent. Selon une étude du professeur P.W. Singer de l’Université d’Arizona, environ 20 000 enfants ont combattu au sein de factions en guerre au Liberia, représentant près de 70 % des combattants.
Au Rwanda, des milliers d’enfants ont participé aux massacres de 1994, tandis qu’au Burundi, au moins 14 000 jeunes ont été impliqués dans le conflit entre Hutus et Tutsis. Des milliers d’entre eux ont été envoyés en formation militaire en République centrafricaine, en Tanzanie et au Rwanda.
L’Armée de résistance du Seigneur en Ouganda est tristement célèbre pour son recours massif aux enfants soldats. De même, l’armée de Laurent-Désiré Kabila en République démocratique du Congo comptait environ 10 000 enfants âgés de 7 à 16 ans lors de la rébellion de 1996.
Des missions dangereuses
Les enfants recrutés sont assignés à diverses tâches: combattants, éclaireurs, cuisiniers, porteurs, gardes ou messagers. Dès leur enrôlement, ils subissent une formation militaire où ils apprennent à manier les armes avant d’être envoyés au front, parfois forcés à tuer ou utilisés comme kamikazes et boucliers humains.
Les filles sont souvent enlevées pour devenir « épouses » de combattants ou être exploitées sexuellement. Certaines sont forcées d’avoir des enfants avec des membres adultes des groupes armés, ce qui rend leur expérience particulièrement traumatisante.
Selon le Forum africain sur la politique de l’enfance (2019), les enfants sont au cœur des conflits affectant particulièrement le Sahel et l’Afrique de l’Est. Un quart des enfants africains vivent dans des zones de guerre.
Les causes profondes du phénomène
Plusieurs facteurs poussent les enfants vers les groupes armés, notamment la pauvreté, qui contraint certaines familles à offrir leurs enfants en échange de nourriture ou d’argent.
Les guerres fragilisent les structures sociales, exposant les enfants aux enlèvements et à la coercition. Le centre de recherche Pharos cite l’exemple de l’Armée de résistance du Seigneur en Ouganda, qui a kidnappé environ 30 000 enfants entre la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle.
L’Afrique abrite également un nombre alarmant d’armes légères. Selon un rapport de 2019 de l’Institut de hautes études internationales et du développement, 40 millions d’armes sont détenues par des acteurs non gouvernementaux sur le continent, facilitant le recrutement des enfants, qui peuvent facilement les utiliser.
Les groupes armés exploitent également la malléabilité des enfants, leur faible coût et leur vulnérabilité à la manipulation.
Le recrutement forcé est une autre dimension tragique du problème. Les enfants sont enlevés dans leurs maisons et leurs écoles, subissant des tortures, des travaux forcés et des formations militaires brutales. Ils sont souvent contraints de commettre des atrocités sous peine de représailles contre eux ou leurs familles.
Les conséquences du recrutement des enfants soldats
Mohamed Galal Hussein, professeur d’anthropologie à l’Université du Caire, qualifie le recrutement forcé de « l’une des pires formes de violence contre les enfants ». Il les prive de leur droit à l’éducation, à la santé et à la liberté, tout en effaçant leur identité culturelle.
Briann Kingsley, chercheuse à l’Université de l’Est du Michigan, souligne que les conflits laissent des séquelles psychologiques graves, notamment l’anxiété, le stress post-traumatique, la dépression, les cauchemars, l’agressivité et les troubles du sommeil.
Sur le plan physique, ces enfants manquent de soins médicaux, étant exposés à des maladies comme le paludisme, la rougeole et le choléra. Leur participation aux combats les expose aux blessures, aux mutilations et aux violences sexuelles, augmentant le risque de maladies comme le VIH/sida.
Sur le plan social, la stigmatisation complique leur réintégration. Beaucoup sont rejetés par leurs familles et leurs communautés, perçus comme des criminels plutôt que comme des victimes.
Certains enfants développent une accoutumance à la violence et deviennent une menace pour la stabilité future de leurs sociétés.
Quelles solutions ?
Des stratégies ont été mises en place par les gouvernements, les organisations internationales et la société civile pour combattre ce fléau.
L’une des premières mesures consiste à renforcer les lois contre le recrutement des enfants. Certains pays africains alignent leurs législations sur les traités internationaux. Par exemple, la Somalie a signé une « feuille de route » avec l’ONU pour éradiquer le phénomène et réinsérer les enfants dans la société.
La responsabilisation des responsables est une autre clé. Le droit international interdit le recrutement d’enfants, et la Cour pénale internationale (CPI) considère cette pratique comme un crime de guerre.
Plusieurs textes juridiques condamnent ce phénomène: le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté 11 résolutions à ce sujet, et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (1999) engage les États à interdire le recrutement des mineurs. Le Statut de Rome, fondateur de la CPI, classe le recrutement des enfants de moins de 15 ans parmi les crimes de guerre passibles de poursuites.
Sur le plan social, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion est essentielle, car ces fléaux poussent les enfants vers les groupes armés. La collaboration avec des organisations humanitaires permet de proposer des alternatives éducatives et professionnelles pour empêcher leur enrôlement.
Des campagnes de sensibilisation impliquant leaders religieux et chefs traditionnels sont également cruciales pour briser la normalisation du phénomène et dissuader les communautés d’offrir leurs enfants aux groupes armés.
L’UNICEF a contribué entre 2013 et 2021 à la libération et à la réintégration de 3 785 enfants soldats en Afrique du Sud-Soudan.
Un défi toujours présent
Malgré ces efforts, le problème demeure. La pauvreté, la violence et l’impunité continuent d’alimenter le recrutement des enfants.
Les situations les plus préoccupantes concernent les pays en guerre prolongée, comme la République démocratique du Congo, la Somalie et le Sud-Soudan. La fin de ce fléau nécessite une action coordonnée entre la communauté internationale, les gouvernements africains et les populations locales pour garantir un avenir sans guerre aux générations futures.
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