Africa-Press – Burundi. Le Gouverneur de la BRB , Dieudonné Murengerantwanri, vient d’être limogé, après un an à peine de service. Au-delà de cette valse, un principe essentiel a été ignoré : l’indépendance de la banque centrale. Eclairage
Comme toujours en pareil cas, Dieudonné Murengerantwari, le désormais ex-gouverneur de la BRB, une année à peine sa nomination, est cloué au pilori sur les réseaux sociaux. C’est l’hallali. Un vrai lynchage médiatique.
Un site conseille « aux jeunes » qui accèdent au poste de responsabilité d’avoir « la notion du temps ». Monsieur Murengerantwari avait 38 ans quand il a été nommé. Son remplaçant est à peine plus « vieux », il a 44 ans. Et puis, j’imagine que celui qui avait nommé Dieudonné Murengerantwari connaissait son âge. Le problème ce n’est donc pas l’âge…
Je ne voudrais pas m’exprimer par rapport aux accusations qui sortent comme par enchantement contre l’ancien gouverneur de la banque centrale qui serait impliqué « dans une histoire de vol de ciment » et autres « détournements de devises ». Douter. Douter. Toujours douter est le crédo de notre métier. Et puis, Dieudonné Murengerantwari -que je ne connais pas -n’est pas là pour se défendre. Je m’interdis donc de participer à la curée médiatique.
Mes collègues devraient aussi, à mon humble avis, adopter cette attitude et demander un procès juste et équitable, si des accusations concrètes existent.
Une chose est certaine, la manière donc il a été limogé, ce décret signé la nuit, est la preuve qu’il y a quelque chose de grave qui se passe à la BRB. Donnons le temps au temps.
Par contre, sur le plan des principes, ce remue-ménage interroge.
Elle rappelle d’abord, la nécessité d’une banque centrale indépendante au Burundi.
L’indépendance de la banque centrale en question
D’après quelques économistes interrogés ce matin, tous convergent sur un principe : l’indépendance de la banque centrale. Et tous soulignent que « ce n’est pas un simple concept théorique ; c’est une nécessité pratique et un principe fondamental de la macroéconomie moderne pour assurer la stabilité économique et la prospérité. »
Quid du Burundi ? Cette indépendance de la banque centrale n’existe plus tout simplement !
Pour rappel, l’article 59 du Décret 100/236 du 21 octobre 2021 portant révision du décret 100/063 du 22 septembre 2020 portant réorganisation des services de la Présidence de la République du Burundi, fait de la Banque de la République du Burundi (BRB), tenez-vous bien un service spécialisé de la Présidence ! Au même titre que le Service National des Renseignements.
Avant ce décret, la Banque Centrale était une entité étatique indépendante sous tutelle du ministre des Finances ( qui co-signait les nominations)
Avant, le Gouverneur de la BRB avait un mandat presque inamovible sous peine de lui payer toutes les années qui restent… Il n’avait pas la menace d’être viré par un refus d’un ordre d’un Directeur du cabinet du Président. Cela lui donnait en partie une grande indépendance dans la prise des décisions.
Or dans la structure actuelle, le décret d’octobre 2021 donne au Directeur de cabinet du Président le droit de donner des instructions sur l’octroi des devises par exemple et il ne peut que s’exécuter, puisque la BRB est un service de la présidence !
Un cadre de la BRB confirme cette information qui est passée inaperçue auprès du grand public : « Notre gouverneur dépend uniquement du Président, car la BRB est un service spécialisé de la Présidence. C’est pourquoi il signe seul sa nomination, comme pour ses conseillers, sans même le contreseing habituel du Premier ministre. Ce qui s’est passé est inédit ! Un Gouverneur d’une banque centrale ne peut pas être constamment un exécutant des ordres du Cabinet du Président. »
Un autre expert international explique qu’ailleurs les gouvernements observent un conseil/accord tacite avec le FMI qui veut que le gouverneur de la banque centrale soit le plus indépendant et le plus stable possible, car, explique ma source « la stabilité du Gouverneur va avec l’indépendance de la Banque Centrale »
Aucun Président américain n’a jamais changé le Gouverneur de la FED sauf en fin de mandat, même le bouillant Trump n’a pu en nommer un tout de suite, pour garantir la stabilité des marchés.
Cette règle est apparemment respectée même en Afrique comme au Rwanda, au Kenya, en Tanzanie, Tunisie, Maroc, etc.
Dans ces pays, expliquent mes sources, les gouverneurs de la banque centrale sont des personnalités que l’on entend rarement, car ils ne sont pas impliqués dans les disputes politiques. « Dans ces pays, souvent quand on remplace un Gouverneur de la banque centrale, c’est parce qu’il est en fin de mandat ou pour lui donner une promotion. » Le nôtre, est « viré », c’est le mot, un week-end, à la veille d’une mission de travail. D’après certaines sources, il aurait passé sa première nuit au cachot. ( A confirmer)
Une sélection rigoureuse
Les experts interrogés expliquent que la manière dont le gouverneur de la Banque centrale est sélectionné dans ces pays est cruciale. Ce sont des personnes dont le processus de sélection a été transparent, fondé sur le mérite et exempt de toute ingérence politique. « L’intégrité dans la sélection du gouverneur garantit que la personne nommée est qualifiée, compétente et capable de prendre des décisions éclairées en matière de politique monétaire », me dit une source à la banque mondiale atterrée par ce qui vient de se passer au Burundi.
Compétent, indépendant, le gouverneur de la Banque centrale peut donc se concentrer avec sérénité sur son travail, prendre des décisions fondées sur des données et des analyses, et résister aux pressions politiques à court terme.
Ma source à la banque mondiale enfonce le clou : « L’indépendance de la Banque centrale signifie que ses décisions en matière de politique monétaire ne sont pas influencées par des pressions politiques. Cela permet à la Banque centrale de prendre des décisions objectives basées sur des données économiques et des analyses techniques. »
En fait, lorsque la Banque centrale est sous le contrôle direct de la présidence, comme c’est le cas au Burundi, il existe un risque accru de corruption et d’abus de pouvoir. Car, une Banque centrale indépendante est moins susceptible d’être utilisée à des fins personnelles ou politiques.
Une de mes sources explique aussi que cette indépendance de la banque centrale garantit que « les décisions monétaires ne sont pas influencées par des intérêts particuliers ou des favoritismes politiques, ce qui renforce l’intégrité du système financier. »
Un gain important de l’indépendance de la banque centrale est le « capital-confiance »: les investisseurs nationaux et étrangers sont plus enclins à placer leur confiance dans un pays dont la Banque centrale est indépendante, car cela réduit le risque de manipulation politique des politiques économiques. Cela peut attirer des investissements étrangers, stimuler la croissance économique et faciliter l’accès aux marchés financiers mondiaux.
Les conséquences de cette valse à la BRB
La nomination de deux gouverneurs de banque centrale en si peu de temps, en un an à peine, peut avoir plusieurs implications économiques pour un pays comme le Burundi .
Toutes mes sources, experts en économie et cadres dans les organisations financières internationales confirment que ce qui vient de se passer va l’encontre de la stabilité souhaitée par les investisseurs. Voici un résumé, leurs craintes :
1. Continuité et cohérence des politiques : Les banques centrales jouent un rôle essentiel dans l’élaboration de la politique monétaire d’un pays. Des changements fréquents de direction peuvent perturber la continuité et la cohérence des politiques. Chaque gouverneur peut avoir sa propre approche et ses propres priorités, ce qui peut entraîner des changements dans l’orientation de la politique monétaire. Cela peut créer de l’incertitude parmi les entreprises, les investisseurs et les marchés financiers, ce qui peut nuire à la stabilité économique.
2. Confiance des marchés : La stabilité et la confiance sont cruciales sur les marchés financiers. Les changements fréquents de direction de la banque centrale peuvent éroder la confiance des participants au marché. Les investisseurs peuvent hésiter à engager des capitaux dans le pays, craignant une volatilité et une incertitude accrues sur les marchés financiers.
3. Volatilité des taux de change : Les changements dans la direction de la banque centrale peuvent avoir une incidence sur les taux de change. Les marchés des changes réagissent souvent aux changements de politique monétaire et de leadership des banques centrales, ce qui peut entraîner une volatilité des taux de change. Cela peut avoir des répercussions sur le commerce, l’inflation et la compétitivité globale de l’économie du pays.
4. Inflation et stabilité des prix : Les banques centrales sont responsables du maintien de la stabilité des prix en contrôlant l’inflation. Des changements fréquents de direction peuvent perturber les efforts de ciblage de l’inflation, ce qui peut entraîner des taux d’inflation plus élevés. L’inflation érode le pouvoir d’achat de la monnaie d’un pays, affectant à la fois les consommateurs et les entreprises.
5. Perception des investisseurs : Les investisseurs internationaux surveillent de près le leadership des banques centrales lorsqu’ils prennent des décisions d’investissement. Des changements fréquents peuvent susciter des inquiétudes quant à la stabilité politique et à la gestion économique du pays. Cela peut décourager l’investissement étranger direct et d’autres entrées de capitaux vitales pour la croissance économique.
6. Crédibilité et confiance : L’indépendance et la crédibilité des banques centrales sont étroitement liées. Les changements fréquents de leadership peuvent soulever des questions sur les raisons de ces changements et sur la question de savoir si des motivations politiques sont en jeu. Cela peut éroder la confiance dans la banque centrale et sa capacité à prendre des décisions impartiales en matière de politique monétaire.
7. Planification économique à long terme : Les banques centrales sont chargées de mettre en œuvre des politiques monétaires qui favorisent la stabilité et la croissance économiques à long terme. Les changements fréquents de direction peuvent rendre difficile l’exécution de stratégies cohérentes à long terme, ce qui peut entraver le développement économique du pays.
En conclusion. Il ne faut pas être expert en économie pour comprendre que l’indépendance de la Banque centrale est un élément crucial de la macroéconomie moderne. Elle garantit que les politiques monétaires sont axées sur l’intérêt public à long terme, favorisent la stabilité économique, renforcent la confiance des marchés et préviennent les abus de pouvoir.
La Banque centrale doit donc être indépendante de la présidence ou de toute autre autorité politique pour remplir efficacement son rôle dans la gestion de l’économie d’un pays.
Le nouveau gouverneur de la BRB est, semble-t-il, un excellent chanteur. Mais il n’est pas sûr qu’il pourra jouer sa musique. Toutes les partitions sont écrites à la présidence.
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