Africa-Press – Burundi. Comme cynisme, peut-être qu’il n’y a pas pire dans l’histoire de la justice burundaise. La décision de la procureure générale près la Cour d’appel de Gitega restera dans les annales. Elle a refusé de signer un mandat d’élargissement de Mevain Shurweryimana acquitté par la justice. Malade, il est décédé en prison, à 33 ans, malgré les appels de la directrice de la prison de Gitega qui demandait l’application de ce qui était un droit pour Mevain : sa libération. C’est quand elle a appris la mort du jeune homme que la procureure a signé finalement le mandat d’élargissement. D’un mort. Enquête.
Il s’appelait Mevain Shurweryimana, il était animateur dans l’Association pour la défense des droits humains et lutte contre le SIDA (MUCO). Cette association agréée en 2018 avait comme objectifs : la défense et la promotion des droits de tous les groupes discriminés, la lutte contre le VIH/SIDA/IST au sein de ces groupes et la promotion de l’épanouissement tant moral que matériel de tous les groupes discriminés. Cette association a été radiée sous l’injonction du parquet.
Mevain Shurweryimana a été arrêté, le 22 février 2023, avec 24 autres personnes par la police et le Service national de renseignement (SNR) alors qu’ils suivaient une formation sur l’entrepreneuriat organisée par l’Association Muco. « Dans un premier temps, ils ont été arrêtés pour homosexualité. Par après, le parquet a ajouté une autre infraction d’incitation à la débauche pour les 7 membres du staff de Muco. Mais le parquet n’avait pas de preuves tangibles. »
Le 21 août 2023, Mevain Shurweryimana et 17 coaccusés poursuivis pour homosexualité et incitation à la débauche sont acquittés par le Tribunal de Grande Instance de Gitega.
Pour la famille de Mevain, c’est le soulagement, car le jeune homme est très malade. Sauf que la Procureure Félicité Nishemezwe refuse de signer le mandat d’élargissement, le sésame pour sortir de la prison. Sans ce mandat, la directrice de la prison ne peut pas laisser sortir un détenu. Ce qui est logique.
A cette demande, assure une source à la Cour d’appel, elle aurait répondu : « Il ne faut pas être des avocats du diable. Vous savez combien de personnes acquittées, mais qui sont toujours en prison. Je les libérerai au moment opportun. »
Entretemps, l’état de santé de Mevain continue de se dégrader. Le 24 août 2023, un jour avant sa mort, la directrice de la prison de Gitega, Josiane Nishimwe, va rappeler au procureur l’article 262 du Code de Procédure pénale.
Dans une correspondance officielle, elle demande les mandats d’élargissement pour les détenus acquittés, dont Mevain, dans le dossier RMPG 8022/ND.J.D. L’article avancé par la directrice de la prison de Gitega, très professionnelle, rappelle que : « Le prévenu qui au moment du jugement est en état de détention préventive et qui est acquitté ou condamné à une simple amende est mis immédiatement en liberté, nonobstant appel, à moins qu’il ne soit détenu pour une autre cause. » Mais la procureur Félicité Nishemezwe ignore la correspondance et la loi.
Le détenu Mevain Shurweryimana mal en point a été évacué vers l’hôpital de Gitega. Le 25 août 2023, Mevain meurt. Son décès est constaté par un médecin de l’Hôpital de Gitega. « Il est mort à 3 heures du matin », confie un infirmier.
Ainsi fini à 33 ans la vie de Mevain Shurweryimana détenu jugé et acquitté par la justice et mort en détention faute d’un mandat d’élargissement refusé par la procureure.
Et c’est alors que commence ce qui sera le cynisme qui entrera dans l’histoire. En apprenant la mort de Mevain Shurweryimana, confie une source à la Cour d’appel de Gitega, Félicité Nishemezwe va signer un mandat d’élargissement pour Mevain. La signature de ce mandat d’élargissement à une personne décédée a choqué l’opinion.
Au moment où nous mettons sous presse, d’après les familles des détenus et les avocats de la défense, la procureure générale près la Cour d’appel de Gitega rechigne toujours d’appliquer la loi, de libérer les jeunes acquittés.
L’adieu à Mevain
Il est 11 heures ce mardi 29 août 2023 au cimetière de Mushasha. Les fossoyeurs s’activent. Une tente est érigée pour abriter la famille de Mevain Shurweryimana. Les amis du défunt commencent à arriver. Après quelques minutes, le corbillard arrive. Six jeunes gens soulèvent le cercueil où se trouve la dépouille de Mevain. C’est un cercueil simple avec des couleurs blanches et bleues. Devant la famille, un jeune homme porte la photo de Mevain en costume. La famille et les amis s’installent sous la tente. L’épouse de Mevain porte sa fillette de 4 ans sur les genoux. Elle garde le visage penché sur le sol. Elle ne veut pas montrer sa peine. Elle murmure tout le temps quelques mots à son enfant qui est assis sur son genou. Cette dernière ne comprend peut-être pas ce qui se passe. La mère de Mevain pleure discrètement. Derrière la famille, des gens pleurent à chaudes larmes. La douleur se lit sur leurs visages.
En prenant la parole, le grand frère de Mevain prévient d’emblée que la cérémonie sera courte. « Il n’y aura pas de discours de ses amis ni de ses collègues. Continuez seulement de prier. » Il brosse une biographie succincte de son frère. « Mevain est né en 1990 sur la colline Higiro en commune Gitega. Il a fait ses études primaires et secondaires avant de venir « chercher la vie » dans la ville de Gitega. Il s’est marié il y a 4 ans et il laisse une petite fille. J’arrête là, car les mots sont inutiles. » Lorsque le cercueil est mis en terre, son épouse ne parvient plus à se retenir. Elle éclate en sanglots. Elle est inconsolable. Elle vient peut-être de réaliser que c’est la fin. Des gerbes de fleurs sont déposées : l’épouse accompagnée de sa fille, la mère, les autres membres de la famille et c’est tout. La cérémonie n’a pas duré plus de 45 minutes.
Toutefois, quelques personnes suscitent l’attention du public. Un homme circulait dans l’assistance en écoutant ce que les gens sont en train de dire. « Je le connais. C’est un juge de la Cour d’Appel de Gitega. Il n’est pas membre de la famille. Je ne sais pas ce qu’il est venu faire ici. Peut-être qu’il est venu pour le compte de la procureure générale », murmure un homme venu assister à l’enterrement. « J’ai vu aussi certains informateurs du Service national de renseignement », renchérit une autre personne à côté de lui.
Au cimetière de Mushasha dans la ville de Gitega, la tombe de Mevain Shurweryimana se démarque de celles qui se trouvent aux alentours. Pas d’épitaphe. Pas de photo ni de croix. Une tombe anonyme. Selon les proches, c’est la coutume chez les membres de la communauté des Témoins de Jéhovah, son Eglise. Quelques gerbes de fleurs sont déposées sur la tombe avec quelques inscriptions : « Nous, tes frères et sœurs, nous t’aimions beaucoup. On se reverra dans un Nouveau Monde. » ou « Tu as été un ami cher et fidèle, on ne t’oubliera jamais ».
Choquée et traumatisée, la famille n’a pas souhaité s’exprimer, un proche du disparu a confié : « Nous avons perdu un être cher, je n’ai rien à ajouter. Tout ce qu’on a écrit sur les réseaux sociaux est vrai. »
Ainsi finit la vie de Mevain Shurweryimana (fleur de Dieu), arrêté pour « homosexualité », jugé, acquitté et décédé en prison. Parce que la procureure lui a refusé ce que la justice avait décidé: la liberté.
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