le procès de deux chefs anti-balaka s’est ouvert à la Cour pénale internationale

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Centrafrique : le procès de deux chefs anti-balaka s’est ouvert à la Cour pénale internationale
Centrafrique : le procès de deux chefs anti-balaka s’est ouvert à la Cour pénale internationale

Africa-PressCentrAfricaine. « Au niveau de mon domicile, les choses ont débuté vers 4 heures du matin. Les miliciens anti-balaka sont sortis, ils ont tué tous les musulmans qui vendaient sur le marché de Boeing. De 4 heures jusqu’à 5 heures, ils ont tué tous les musulmans. »

Jean de Dieu Denamna, qui représente les victimes de Bimbo 3, un quartier de Bangui, n’a rien oublié : « Plus de vingt personnes ont perdu la vie ce jour-là. Sans compter ceux qui ont été kidnappés puis égorgés quelque part. »

C’était il y a un peu plus de sept ans. A l’époque, la Séléka, une coalition de groupes armés à forte composante musulmane, avait pris le pouvoir dans la capitale centrafricaine. Pillages, extorsions, meurtres : la violence, omniprésente, prend une tournure confessionnelle. Dans le pays, des milices d’autodéfense se forment pour contrer la Séléka : ce sont les anti-balaka. Peu structurés au début, ses membres se joignent à certains partisans du président déchu, François Bozizé, et mènent une attaque coordonnée contre Bangui le 5 décembre 2013.

Parmi les leaders de ces groupes figurent Alfred Rombhot Yekatom, un « comzone » (commandant de zone) craint pour sa cruauté, et Patrice-Edouard Ngaïssona, considéré comme le coordinateur national des anti-balaka. Tous deux ont été arrêtés fin 2018 puis transférés et incarcérés à la Cour pénale internationale (CPI). Leur procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité s’est ouvert à La Haye ce mardi 16 février.

« Ils ont versé dans le même banditisme que la Séléka »

Selon l’acte d’accusation retenu contre les deux hommes, « en plus de leur objectif principal, légitime en soi, de renverser le régime de la Séléka et de chasser celle-ci de Centrafrique, les anti-balaka ont développé une politique criminelle consistant à s’en prendre à la population musulmane. [Les musulmans] étaient considérés comme collectivement responsables des crimes qui auraient été commis par la Séléka, comme complices de celle-ci ou comme lui apportant leur soutien ».

Boulata, Boeing, Kokoro 2 : dans ces quartiers périphériques de Bangui, les combats entre Séléka et anti-balaka ont été particulièrement âpres. « Le 5 décembre, j’étais dans la maternité et j’aidais à des accouchements, se souvient une femme qui préfère rester anonyme. Pendant que dans le quartier on tuait des gens, on a dormi avec les cadavres. »

Les violences des anti-balaka envers les populations civiles vont rapidement égaler celles de leurs ennemis. Alfred Rombhot Yekatom installe une base dans l’école mixte de Kokoro 2. « Au départ, ils ont dit qu’ils étaient venus combattre la Séléka, insiste Jean de Dieu Denamna. Mais à un moment donné ils ont versé dans le même banditisme. Ils ont commencé à prendre l’argent des gens, à piller leurs maisons. Ils sont devenus eux-mêmes des bandits. Tout le monde sait que Rombhot était leur chef. » Au plus fort des événements, le « comzone » dirigeait près de 3 000 hommes, selon la CPI.

« Beaucoup se sont reconvertis par la suite,

assure Jean de Dieu Denamna. Mais il y en a également qui sont repartis en brousse pour rejoindre les groupes armés. » Certains, restés fidèles à leur ancien chef, sont encore dans la nature et peuvent nuire aux victimes et aux témoins potentiels. Leurs méfaits ont laissé des traces dans les quartiers touchés par les violences, où de nombreuses maisons ont été détruites et pillées. Près de 900 habitations ont depuis été réhabilitées, mais elles sont souvent trop petites pour les familles concernées. Seuls ceux qui avaient un peu d’argent ont pu se bâtir un logement plus grand.

Des audiences retransmises en public et en direct à Bangui

Pour les victimes de ces violences, le procès d’Alfred Rombhot Yekatom et de Patrice-Edouard Ngaïssona marque donc une première étape, même si beaucoup aimeraient que de plus gros « poissons » soient jugés à La Haye. Les audiences sont retransmises en public et en direct à Bangui, et des témoins seront auditionnés par visioconférence. Beaucoup d’entre eux, placés sous le programme de protection des témoins de la CPI, vont déposer sous pseudonyme.

Mardi 16 février, les deux ex-chefs de milices ont rejeté devant la cour toutes les charges à leur encontre. « Les preuves dans cette affaire établiront la responsabilité pénale de Ngaïssona et de Yekatom au-delà de tout doute raisonnable », a de son côté déclaré le procureur Kweku Vanderpuye. Selon lui, les crimes qui leur sont reprochés sont d’une telle « ampleur qu’ils transgressent la nature même de notre humanité. »

Le procès s’ouvre alors que le pays est plongé depuis mi-décembre dans un nouveau cycle de violences. Plusieurs groupes armés issus de l’ex-Séléka ont fusionné avec des groupes anti-balaka pour faire cause commune dans une nouvelle alliance, la Coalition des patriotes pour le changement (CPC). Dénonçant l’accord de paix du 6 février 2019, ses membres ont fortement perturbé le processus électoral fin décembre et se sont confrontés aux troupes gouvernementales et à leurs alliés, allant jusqu’à mener une attaque aux portes de Bangui le 13 janvier.

Le gouvernement centrafricain considère l’ancien dirigeant François Bozizé, dont la candidature à la présidence avait été rejetée par la Cour constitutionnelle, comme l’un des principaux artisans de cette alliance. Les événements récents permettront-ils à la CPI de dresser un mandat d’arrêt contre lui ? Personne, à La Haye ou à Bangui, ne confirme ni ne commente cette possibilité. La cour place généralement sous scellés ses mandats d’arrêt, le temps de permettre l’arrestation des suspects.

François Bozizé avait échappé une première fois à une enquête conduite par la CPI sur les crimes commis pendant la guerre de 2002-2003. Après avoir renversé le président Ange-Félix Patassé en mars 2003, il s’était tourné vers la Cour, lui demandant d’enquêter contre ce dernier et ses alliés, le Congolais Jean-Pierre Bemba et le général Abdoulaye Miskine. A la suite de l’arrestation de M. Bemba en Belgique et de son transfert à La Haye, en mai 2008, et craignant que les accusations ne se retournent finalement contre lui, M. Bozizé avait écrit au secrétaire général de l’ONU pour lui demander la suspension de l’affaire engagée contre l’ancien vice-président congolais. Il assurait alors que son gouvernement était prêt à « tourner la page », en faveur de la paix.

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