Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – CentrAfricaine. Pour mettre à découvert cette situation, il faut d’abord savoir que la géographie sociale de la République centrafricaine, qui a obtenu son indépendance de la France en août 1960, est riche et diversifiée. Son économie repose sur le secteur agricole, qui contribue à plus de la moitié du Produit Intérieur Brut, ainsi que sur la foresterie et les mines, où environ 60 % de la population vit dans des zones reculées. Le bois, les diamants, l’uranium, l’or et le coton constituent l’essentiel des revenus des exportations.
D’un autre point de vue, la République centrafricaine est considérée comme l’un des pays africains les plus pauvres, bien qu’elle dispose d’une grande richesse minérale et animale qui a fortement contribué à soutenir les économies d’autres pays. Cela peut être dû à une corruption endémique et à une mauvaise gestion, où le Centrafrique a vécu des époques complexes et entrelacées de guerres civiles à caractère religieux, et de coups d’État militaires qui ont enraciné l’oppression, la pauvreté et la misère.
Pouvoir de Transition
La transition du pouvoir dans ce pays pose un défi majeur à sa stabilité et a contribué à la complexité du paysage politique et social car, depuis son indépendance, les gouvernements ont changé cinq fois par des coups d’État militaires. En 2013, le pays a connu un conflit multiple dans lequel le politique, le religieux et l’ethnique se sont mélangés entre les forces de l’Alliance Seleka et les forces Anti-Balaka.
Début 2017, la France était à la recherche d’armes à fournir aux soldats centrafricains formés par une mission européenne. Mais Paris s’était heurté au coût.
Plus tard, le président centrafricain rencontre Sergueï Lavrov à Sotchi. Le ministre russe des Affaires étrangères propose de faire cadeau des armes nécessaires, notamment 5.200 kalachnikovs, 840 mitrailleuses et 270 lance-roquettes. L’ONU donna son accord.
Et, depuis un an, des militaires russes, dont le nombre et les missions sont mal connus, vivent à Bangui, suscitant bien des questions sur les ambitions de Moscou.
Cette arrivée de soldats, dont beaucoup sont en fait des mercenaires dépendant d’une société privée, préoccupe la France, qui joue un rôle prépondérant dans son ancienne colonie.
L’intervention russe en Afrique, ses motifs et ses dimensions

La présence russe sur le continent africain a connu un déclin après la fin de la guerre froide et l’effondrement de l’Union soviétique, ce qui a nécessité la fermeture d’un certain nombre de missions diplomatiques et de centres culturels russes en Afrique et des programmes d’aide et de subventions économiques ont été annulés.
Ce déclin n’a cependant pas duré longtemps. Après l’arrivée au pouvoir du président Vladimir Poutine à Moscou en 1999, il a opéré des changements radicaux dans la politique étrangère jusqu’à ce que la Russie, héritière de l’Union soviétique, retrouve sa position et son influence parmi les grandes puissances actives et influentes de la politique internationale. Dans ce contexte, le sommet russo-africain de Sotchi, en septembre 2019, sous le slogan de la paix, de la sécurité et du développement, a annoncé la nouvelle présence russe.
C’est à partir de cet instant que la coopération militaire entre la Russie et les pays africains était devenue l’épine dorsale du partenariat, et il existe un nombre limité de pays africains qui entretiennent de solides relations militaires avec la Russie par le biais de contrats de fourniture d’armes et d’équipements militaires, ainsi que par la formation, la consultation et les accords de coopération en matière de sécurité et de renseignement.
A noter que l’Afrique est le deuxième importateur d’armes russes après l’Asie, et les plus importants de ces pays sont : « l’Algérie, le Nigeria, l’Angola, le Soudan, le Cameroun, le Sénégal et le Mozambique », d’une part, et elle signifie également beaucoup pour la Russie car c’est une source importante de ressources naturelles « pétrole, gaz, minéraux, bois et bétail », d’autre-part.
Début de la présence russe en Centrafrique

La présence de la Russie en République centrafricaine a commencé en 2017 lorsque le président nouvellement élu, Faustin-Archange Touadéra, avait appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à lever l’embargo sur les armes, imposé à son pays, afin que le gouvernement puisse importer des armes et du matériel militaire pour se défendre et protéger les civils.
Touadéra pariait sur la France, qui avait proposé d’envoyer 1.400 AK-47 (un fusil d’assaut conçu par l’ingénieur soviétique Mikhaïl Kalachnikov), mais la Russie a opposé son veto à l’idée française, tout en proposant de faire don d’armes légères à la République centrafricaine, une proposition qui a été approuvée par tous les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Néanmoins, ce qui a commencé par un « don russe limité d’armes légères » s’est rapidement transformé en une présence de sécurité efficace, après que Moscou ait envoyé 170 formateurs civils et cinq militaires en mission de sécurité, sous le faux prétexte de surveiller et garder les matériaux et les hôpitaux que la Russie construisait en Centrafrique.
Peu de temps après, il s’est avéré que les civils étaient des forces mercenaires russes d’élite des groupes « Sewa Security Services » et « Wagner », qui sont dirigés par l’homme d’affaires Yevgeny Prigozhin, un richissime homme d’affaires russe proche du président russe Vladimir Poutine.
Partenariat officiel russo-centrafricain

C’est donc ainsi, qu’en peu de temps, les Russes ont pris le contrôle de toutes les missions de sécurité importantes en République centrafricaine, y compris la garde du président Faustin-Archange Touadéra. Et dans un mouvement qui reflète l’étendue de la coopération entre Moscou et Bangui, le Russe Valery Zakharov, un ancien officier des services de renseignement, a été nommé au poste de conseiller à la sécurité nationale du président Faustin Archange.
La relation a culminé en août 2018, permettant aux deux pays de signer ensemble un accord de coopération militaire et d’autoriser l’ouverture d’un bureau pour représenter le ministère russe de la Défense à Bangui, sachant que le président centrafricain a annoncé que son pays envisageait d’autoriser l’implantation d’une base militaire sur son territoire, ainsi que le contrôle de vastes zones comprenant des mines de diamants, d’or et d’uranium.
Début du litige franco-centrafricain / franco-russe

Pour contrer les avancées russes en République centrafricaine, la France a retiré une partie de son état-major, gelé son aide de 10 millions d’euros et suspendu la coopération militaire bilatérale sur fond d’accusations selon lesquelles le gouvernement de Faustin-Archange était complice d’une campagne anti-française menée par la Russie.
La présence russe est allée au-delà de la forme militaire, mais la France a exprimé sa préoccupation face à l’influence russe et à la domination des entreprises russes sur l’or et les diamants, ainsi qu’aux violations des droits de l’homme « exécutions massives et torture » par les forces russes.
Il ne faut pas oublier, dans ce contexte, que la République centrafricaine est un levier important de l’économie française, où de nombreuses entreprises françaises sont actives en investissant dans de nombreux domaines, notamment dans le domaine de l’exploitation minière « diamants, or et cuivre » et travaillant également dans le transfert de l’uranium du sud du pays vers la France.
Nous devons tout de même mettre l’accent sur un fait, c’est que le seul perdant dans le conflit franco-russe est le peuple de la République centrafricaine, étant donné que sa patrie s’est transformée en une plate-forme pour le « mouvement par procuration » pour étendre l’influence géopolitique représentée par les motifs politiques et économiques associés au contrôle des ressources naturelles et des minéraux.
On peut donc affirmer que Moscou a réussi à affaiblir l’influence française, puissance coloniale historiquement dominante, et en peu de temps le Centrafrique est devenu un modèle d’exportation en s’appropriant les avantages du rôle français dans les domaines de la formation de l’armée, la garde présidentielle, la sécurité des institutions, et des mines d’or, de diamants, de platine et de chrome, moyennant une part des revenus et des bénéfices économiques.
Quant à la coopération militaire russe, elle ne se limitait pas à la dimension officielle et systémique, car il a été révélé que des mercenaires Wagner ont été envoyés, vu qu’ils s’appuient sur la stratégie consistant à fournir des armes et du matériel militaire et à les transférer discrètement hors des yeux des organes des droits de l’homme, en approfondissant les conflits internes à travers des méthodes et des techniques de cyber-guerre, ainsi que la dépendance de la Russie des mercenaires de Wagner comme fer de lance de son influence en Centrafrique pour éviter la responsabilité directe ou la responsabilité pour ce qu’entreprenaient les mercenaires de Wagner.
Conclusion
La concurrence internationale entre l’Occident et la Russie fera des pays africains un terrain de règlement de comptes et de rivalités politiques entre la Russie et la Chine d’un côté, les États-Unis d’Amérique et la France de l’autre. Cette bousculade internationale risque d’amener les pays africains à se scinder en axes multipolaires, ce qui accélérera le rythme des armes et de l’armement entre les pays africains concurrents qui soutiennent les projets des grandes puissances.
L’invasion de l’Ukraine par les russes en a été témoins, dernièrement, lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a voté le 2 mars 2022, après que le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a pas réussi à adopter une résolution condamnant l’invasion russe.
Ce jour-là, les pays africains étaient divisés en deux groupes, l’Égypte, le Kenya, le Ghana, le Gabon, le Rwanda, Djibouti, le Congo, la Somalie et la République démocratique du Congo qui ont voté en faveur de la condamnation, tandis que 17 pays africains se sont abstenus, à savoir le Burundi, le Sénégal, le Soudan du Sud , l’Afrique du Sud, l’Ouganda, le Mali, la Mozambique, l’Éthiopie, le Burkina Faso, la Guinée, la Guinée Bissau, le Togo, le Maroc, et le Soudan, alors que l’Érythrée a voté contre.
Par conséquent, on constate que la position des pays africains sur la crise ukrainienne a reflété récemment l’ampleur de la polarisation, qui affecte négativement les indicateurs économiques et de développement.
Ce qui en découle que la stratégie de la Russie repose sur des formules à multiples facettes, notamment :
• une présence officielle du ministère russe de la Défense relativement conforme au droit et aux pactes internationaux,
• avec une autre présence semi-officielle représentée par le groupe Wagner concerné par la résolution militaire.
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