Africa-Press – CentrAfricaine. Cette situation touche tout le monde. Le petit commerçant, transporté sur une moto et qui va vendre ses légumes à Bangui doit prévoir des billets pour les barrages. L’étudiant qui rentre au village sur sa moto pour le week-end garde quelques pièces dans sa poche, juste pour pouvoir passer. Même les familles qui partent en voyage prévoient maintenant un “budget gendarmes” au même titre que l’essence. À quelques kilomètres de la capitale, les points de contrôle se succèdent. Chaque brigade a ses habitudes, ses tarifs non-dits, ses méthodes. Les motards connaissent par cœur les endroits où il faut ralentir, sortir l’argent et négocier le passage. Cette routine s’est installée dans le quotidien des Centrafricains comme une fatalité.
Mais quand cette logique s’étend aux enterrements, elle franchit une ligne rouge. Récemment, sur la route qui mène au village de Ndangala, des hommes partis creuser une tombe ont été arrêtés plusieurs fois. Leurs motos portaient des branches de palmier, le signe traditionnel qui annonce un décès. Dans la culture centrafricaine, ce symbole devrait garantir le respect et la libre circulation. Mais les gendarmes s’en fichent. Au premier barrage, après pk9, les hommes ont dû payer 1000 francs aux gendarmes de la brigade motorisée pour continuer. Plus loin, à environ 1 kilomètre, un autre groupe des gendarmes, cette fois de la brigade territoriale, leur a demandé encore de l’argent. Ces gens n’étaient même pas en route avec un cercueil, ils allaient juste préparer l’enterrement de leur famille à Ndangala. Mais peu importe: chaque déplacement rapporte.
Le problème vient souvent des papiers du véhicule ou de la moto. Dans le pays, quand quelqu’un meurt, les voisins viennent au secours, parfois ils prêtent leurs motos ou véhicule aux familles endeuillées. C’est la solidarité africaine, un geste normal. Mais celui qui prête sa moto ne donne pas forcément tous ses papiers. Du coup, au barrage, les gendarmes trouvent toujours quelque chose qui manque. Permis de conduire, carte grise, assurance – il y a toujours un document absent pour justifier le paiement.
Cette mécanique brise quelque chose de profond dans la société centrafricaine. Depuis des générations, la mort rassemble les communautés. Les voisins, les amis, les parents éloignés se mobilisent pour aider la famille touchée. On prête son véhicule, on donne un coup de main, on participe aux frais. Cette solidarité fonctionne parce qu’elle est spontanée et désintéressée. Aujourd’hui, cette générosité devient un piège. Prêter sa moto pour un enterrement, c’est prendre le risque que l’emprunteur se fasse racketter faute d’avoir les bons papiers. Résultat: certains hésitent à aider, par peur des complications. La méfiance s’installe là où régnait l’entraide. Les familles pauvres souffrent le plus de cette situation. Elles qui ont déjà du mal à payer l’enterrement voient leurs derniers billets partir dans les poches des gendarmes. Chaque décès devient un double drame: la perte du proche et l’humiliation des barrages.
Parallèlement, cette économie parallèle s’est organisée avec une efficacité redoutable. Chaque brigade connaît les horaires de passage, les types de véhicules les plus rentables, les prétextes qui fonctionnent le mieux. Les gendarmes savent qu’un motard seul paiera plus facilement qu’un groupe, qu’une famille en deuil résistera moins qu’un commerçant habitué. Les montants varient selon les circonstances, mais l’addition grimpe vite. Entre Bangui et un village à 50 kilomètres, un usager peut croiser trois ou quatre barrages. À 500 ou 1000 francs CFA par passage, le voyage coûte plus cher en “taxes” qu’en carburant. Ce système fonctionne parce qu’il reste dans l’informel. Pas de reçus, pas de tarifs affichés, pas de réclamations possibles. Chaque gendarme adapte ses demandes selon l’usager et ses moyens supposés. Cette flexibilité permet de maintenir la pression sans provoquer de révolte ouverte.
Source: Corbeau News Centrafrique
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