Africa-Press – Comores. Aux Comores, Cheikh MC fait figure de pionnier en matière de rap.
Si sa parole porte auprès d’une jeunesse qui rêve de jours meilleurs, il n’entend pas couper les ponts avec l’ancienne génération surtout avec le Twarab.
Dans son nouvel album, on le ressent avec « Daima », « Ahe » mais aussi avec Samra dans « Djibuwe » en 2017. En mai dernier, le Cheikh est monté sur la scène du premier festival de musiques d’influences Twarab qui se tenait à Moroni et revient en détail sur ce rapprochement « naturel » avec la musique traditionnelle. Interview.
Question : En mai dernier, tu as participé au premier festival de musiques d’influences Twarab qui se tenait à Moroni.
En quoi ce festival t’a marquée ?
Cheikh MC :
Déjà qu’on considère qu’on a une musque qui s’appelle Twarab. Et qu’on rassemble autour de ça, c’est déjà intelligent et une forme de considération aux anciens, qui ont travaillé pendant toute leur vie dans le Twarab.
Mais, c’est par respect à des gens comme Salim Ali Amir, qui, aujourd’hui fait un travail énorme pour mettre de la visibilité. Mais pour moi le Twarap est l’occasion de montrer que le Twarab a évolué et évolue encore. Il ne s’est pas arrêté à ce qui s’est passé aux années quatre vingt où on a changé des instruments, nous avons mis des instruments électro.
Aujourd’hui, le Twarab évolue parce que mon ami Sayz fait beaucoup de twarab dans ses chansons, même Soprano et Alonzo, que voir que la couleur qu’eux ramènes sont influencés par les chansons qu’ont écouté leurs parents.
Mon rap, on a parlé de Awadi, j’ai compris très tôt que sa force c’était de pouvoir mélanger le Mbalar et le rap. Ça faisait que tu as un rappeur américain, français et sénégalais, à la différence de ce que nous faisions avant. Donc, j’avais compris et je fais ce mélange, il y a longtemps et le public du rap avait du mal à comprendre.
Question : Quand est-ce que cette influence a pris le dessus ?
C.
M :
J’avais fais un mélange du rap et du twarab au début des années 2000, même aux années 90 avec la chanson Moroni qui est une reprise. Et en 1998, j’ai commencé ma carrière en solo, jusqu’à la chanson Djibuwe en 2017, qui est ma chanson qui a tourné le plus.
Et ce qui est étonnant, c’est la seule fois que j’ai reçu des royalties des Etats Unis, c’est quand j’ai sorti Djibuwe. Je n’ai jamais autant gagné de l’argent des Etats-Unis ou Canada que quand j’ai sorti Djibuwe, parce que ça intrigue.
Les gens voulaient savoir c’est quoi cette douceur qui est mélangé avec du Rap. C’est quoi cette couleur, ca vient de quelle langue. Et quand vous voyez des commentaires aujourd’hui encore, c’est ma chanson le plus vu sur Youtube encore.
Qu’est ce qui se passe ? Pourquoi ? C’était ce mélange là, ce côté oriental mélangé avec le rap américain. Quand j’étais à Marseille pas mal de journalistes m’ont appelé pour faire des articles sur le Twarap. Ça les intrigue vraiment. Les gens veulent savoir d’où vient cette couleur de musique.
Question : Dans ton nouveau projet Idukio, on a répertorié quelques chansons du Twarap
C.
M :
Dans mon nouvel album on retrouve Daima, et Ahe. Et j’ai vraiment envie de pousser encore. Là c’est démocratisé mais avant c’était spécial. Les gens peuvent danser dessus et puis ça m’aide à exploiter des thèmes très profonds de la société qu’elle ignore.
Et ça me permet aussi de parler à ma mère. D’envoyer un message à mère qui écoute ce genre de rap. Avec le Twarap, on a plusieurs générations qui adhèrent.
Question : Le Twarap a changé ta façon de prendre le micro ?
C.
M:
Oui. Mais moi je préfère me mettre plus côté rap que Twarap. Peut être ça dépend des endroits. Au Canada je serais plus Twarap que rap. Mais, j’ai envie de ne pas décoller avec les gens, la nouvelle génération plus précisément.
Il y a des Twarab ce n’est pas ce qui manque. En cette période, il y a des twarab chaque jour, partout où tu passes. Moi c’est plus l’emmener le twarab dans le rap, et ça va changer plus la vision de composer les morceaux, et les jeunes adhèrent.
Nous avons des Bledart, Pedro, Ibou Blak des jeunes qui assument ce côté twarab, que Dadi Poslim et Moutaz et autres qui s’étaient éloignés. Mais, depuis Djibuwe il y a eu un changement, les gens assument.
Et ça tombe aussi en Tanzanie, où il y a Diamond qui est venu démocratiser. Moi j’assumais alors les chanteurs eux même de twarab n’assumaient pas. Ils chantaient dans leurs villages mais ne voulaient être des stras à cause du twarab.
Les gens ont négligé. Moi j’ai forcé avec Mwadzani que j’ai produit pour Dadi. C’est que maintenant que les jeunes se lâchent. Même quand on était en train d’enregistrer Djibuwe, les jeunes qui étaient là ont dit que je suis en train de faire du Twarab, ce n’est pas bien.
Ils n’ont pas compris au départ. Mais moi, mon rôle c’est de démocratiser et on se retrouve. On ne peut faire une cassure comme ça, qui a une génération qui écoute une musique et une autre qui écoute une autre.
Ce qui se passe dans les lieux Parisiens qui fait que les générations ne se parlent pas, ils ne s’écoutent pas. Je n’ai pas envie de faire ça, j’envie que Salim Ali Amir soit encore potable dans des générations et générations à venir. C’est un génie, c’est notre Johnny Hollyday, notre Bob Marley.
Question : Un artiste que tu as produit, Dadiposlim, le fait aussi à sa façon…
C.
M :
C’est sa spécialité en vari. Il a un peu renié, un peu éloigné mais c’est sa spécialité. Je l’ai repéré dans les chants religieux et c’était très dure pour lui de percer de ce côté-là, parce que ça l’emmenait dans un clan DJ et clan twarap.
Il ne voulait pas être dans cette étiquette et du coup, il a préféré faire le RNB. Et même dans la RNB, on a vu la poésie comorienne. Ce qui fait que les gens sont attachés de cette musique jusqu’à maintenant.
Il n’y a personne qui peut faire que lui, dans ce domaine là. D’ailleurs, la star tanzanienne Daimond est très fan de lui, il l’adore. Là je pense qu’avec son nouvel album, on va vraiment sentir son côté oriental qui est encré en lui.
Question : Comment expliques-tu le manque de notoriété de cette musique au-delà de sa communauté ?
C.
M:
Les chanteurs de twarab se laissent prendre par les mariages, le busines du mariage prend le dessus. Donc il y a beaucoup de tendances, avec les compositions des chansons de mariage et les répétitions des twarab du soir.
Ils n’ont pas le temps de composer une nouvelle couverture du twarab au niveau international. Seush danse souvent de la danse traditionnelle mais il a pu modeler de façon à ce que l’international valide.
Certes de valoriser notre tradition, tout en modernisant d’une façon que ça soit bien apprécié à l’international. Par exemple, tu prends la Sambé, ça dure 10 à 20 ou 30 minutes, comment tu vas le passer à la télé.
Moi j’ai pris le Sambé avec Still Nas, mais il a fait en sorte que ça puisse passer à l’international. D’ailleurs ça a bien fonctionné avec Alonzo qui chante dessus, lui-même découvre un nouveau Sambé, qui est potable et qui passe au niveau international.
Les mariages ça gagne bien car ça te permet de subvenir aux besoins quotidiens mais ça t’éloigne de cette notoriété internationale. Et c’est dommage pour nous tous. Djibuwé, on l’a fait et ça passe à la télé. Peut être les gens ne se rendent pas compte, mais c’est du twarab.
Propos recueillis par Nassuf Ben Amad
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