Par Mohamed Benkacem
Africa-Press – Comores. L’ancien président du Conseil économique et social de l’Union africaine, Khaled Boudali, estime que la question du financement de l’Union africaine constitue l’un des principaux obstacles à son indépendance décisionnelle, en raison de sa forte dépendance à l’égard des bailleurs de fonds internationaux. Les mesures prises jusqu’à présent pour remédier à cette situation n’ont pas donné les résultats escomptés, faute d’engagement concret de la part des États membres.
Boudali explique en détail les trois niveaux à mettre en œuvre pour concrétiser le thème du dernier sommet: la justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine par le biais de réparations. Il s’agit de: la reconnaissance juridique des crimes coloniaux et des compensations financières ; la restitution du patrimoine culturel africain spolié, selon les normes juridiques internationales ; la responsabilité internationale comme mécanisme de justice pénale et historique ; et enfin, les dimensions législatives pour intégrer la justice historique dans les cadres juridiques africains.
Khaled Boudali a occupé la présidence du Conseil économique et social de l’Union africaine à partir de décembre 2022, avant de remettre officiellement le poste à son successeur Louis Cheikh Sissoko lors du sommet africain tenu à Addis-Abeba les 15 et 16 février derniers.
Le Conseil a été créé en juillet 2004 comme organe consultatif composé de divers groupes sociaux et professionnels des États membres de l’Union, avec pour mission d’offrir à la société civile africaine un rôle actif dans l’élaboration et la mise en œuvre des principes, politiques et programmes de l’Union.
Lors du sommet, un entretien a été réalisé avec Khaled Boudali, portant sur plusieurs dossiers économiques de l’Union, notamment l’accord de libre-échange continental africain et le projet de création d’une agence africaine de notation, dans un contexte de domination des agences occidentales.
Quelle est la situation financière actuelle de l’Union africaine ?
La question du financement a toujours été l’un des principaux obstacles à l’efficacité de l’Union africaine, celle-ci dépendant à 60 % de son budget annuel de l’aide extérieure.
Moussa Faki, ancien président de la Commission africaine, a averti que cette forme de financement limitait l’autonomie de décision de l’Union et renforçait sa dépendance aux bailleurs internationaux.
L’Union tente de diversifier ses sources en renforçant la coopération avec les banques africaines et en créant des fonds d’investissement pour soutenir les projets de développement.
Elle a notamment lancé plusieurs initiatives pour favoriser l’autofinancement, dont la plus importante est l’imposition d’une taxe de 0,2 % sur les importations provenant de l’extérieur du continent, décidée au sommet de Kigali en 2016, mais appliquée par peu d’États.
Elle cherche aussi à renforcer l’intégration économique via des investissements intra-africains, encore faibles face aux flux étrangers.
Avec l’aggravation des défis économiques mondiaux, l’autofinancement devient une nécessité stratégique pour exécuter les programmes sans pression externe.
Combien de pays appliquent la taxe sur les importations ?
Les informations sont disponibles, mais ne peuvent être divulguées afin de préserver la confidentialité des États membres.
Comment l’Union africaine compte-t-elle mettre en œuvre le thème du sommet sur la justice et les réparations ?
L’Union fonde son approche sur des principes solides du droit international, notamment la responsabilité des États pour les actes illicites.
Elle s’appuie sur des résolutions comme la 60/147 (2005) qui affirme le droit à réparation pour les victimes de violations graves des droits humains.
Elle invoque aussi la Convention internationale de 1965 contre la discrimination raciale, soulignant la responsabilité des États à réparer les effets de l’esclavage et du colonialisme.
L’Union mène ainsi des démarches juridiques et diplomatiques, notamment des requêtes auprès des Nations unies et de la Cour internationale de justice, pour demander des compensations aux anciennes puissances coloniales pour les préjudices économiques, sociaux et culturels subis.
Elle coordonne également ses efforts avec la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, afin d’instaurer des mécanismes contraignants pour faire appliquer ses revendications via des négociations bilatérales et multilatérales, ainsi que par des pressions politiques et économiques.
Concernant le patrimoine culturel, elle s’appuie sur des références internationales, telles que la Convention de La Haye de 1954 et celle de l’UNESCO de 1970, qui exigent la restitution des biens culturels à leurs propriétaires légitimes.
Elle mène des consultations avec des organisations internationales et se base sur des rapports d’experts pour recenser les objets culturels africains spoliés et détenus dans les musées occidentaux.
Des efforts ont déjà abouti à la restitution d’œuvres comme les bronzes du Bénin, rendus par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Le défi reste d’imposer un calendrier contraignant de restitution, en lieu et place des promesses symboliques souvent utilisées pour maintenir une influence culturelle.
Par ailleurs, l’Union travaille sur des dossiers juridiques pour poursuivre les auteurs de violations durant la colonisation, en s’appuyant sur des précédents judiciaires comme celui du Kenya contre le Royaume-Uni, où la Haute Cour britannique a reconnu en 2013 le droit à indemnisation des victimes de torture coloniale.
Elle cherche à étendre les compétences de la Cour africaine pour inclure les crimes historiques, et demande à la Cour pénale internationale d’ouvrir des enquêtes sur les crimes coloniaux, comme cela a été fait pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
L’Union développe aussi un cadre juridique interne pour consacrer la justice historique dans les constitutions et lois nationales.
La Commission juridique prépare une charte africaine de la justice historique, destinée à obliger les États à adopter des politiques réparatrices et à reconnaître dans leurs législations les crimes de l’esclavage et du colonialisme.
Un fonds pour la justice historique et le développement durable sera également mis en place, partiellement financé par les réparations obtenues, pour soutenir les communautés les plus affectées.
Enfin, l’Union coordonne avec des institutions financières pour établir un mécanisme de compensation via l’annulation des dettes issues du colonialisme, sur la base du principe des « dettes odieuses ».
Où en est la mise en œuvre de l’accord de libre-échange continental ?
L’accord représente un tournant historique dans l’intégration africaine. Il s’agit de la plus grande zone de libre-échange au monde en nombre de pays signataires, avec 54 États.
Son objectif est de créer un marché unique de 1,3 milliard de personnes et un PIB cumulé de plus de 3 400 milliards de dollars.
Entré en vigueur le 1er janvier 2021, son application concrète reste limitée: seuls 47 pays l’ont ratifié, certains rencontrant des difficultés d’adaptation juridique et douanière.
L’Union joue un rôle central en fournissant le cadre juridique et en coordonnant la résolution des différends commerciaux.
Elle a lancé, avec Afreximbank et le système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS), des mécanismes pour faciliter les transactions financières intra-africaines.
Mais la réussite de l’accord dépend aussi d’une volonté politique forte, d’une amélioration des infrastructures et de réseaux de transport, actuellement un frein majeur aux échanges.
Pourquoi créer une agence africaine de notation ?
Ce projet reflète la volonté de l’Afrique de disposer d’outils financiers autonomes. L’agence fournirait une évaluation plus équitable du risque financier des pays africains.
Les agences occidentales comme Moody’s, Standard & Poor’s ou Fitch attribuent souvent des notes basses aux pays africains, ce qui renchérit leurs emprunts et limite les investissements.
Une agence africaine améliorerait l’image économique du continent, offrirait des évaluations plus justes et renforcerait la confiance des institutions comme la Banque africaine de développement.
Mais sa réussite dépendra d’un consensus politique et d’un cadre de gouvernance transparent et indépendant.
Quelle est l’utilité de la plateforme numérique africaine d’investissement ?
Elle vise à connecter les investisseurs aux opportunités du continent, en centralisant les données sur les projets, les régulations, les incitations fiscales et les infrastructures.
L’Afrique souffre d’un déficit de financement de plus de 200 milliards de dollars par an pour ses infrastructures. La plateforme est donc essentielle pour attirer les capitaux vers des secteurs clés comme l’énergie, l’agriculture ou la fintech.
Elle facilitera aussi la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale, en rendant l’information plus accessible aux PME souhaitant se développer au-delà de leurs frontières.
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